Contrairement à ce qui avait été officieusement annoncé il y a une dizaine de jours, les deux juges d’instruction français sont arrivés à Beyrouth lundi. Ils étaient supposés atterrir au Liban le 23 janvier. Leur venue anticipée s’est déroulée dans la plus grande discrétion.

Mercredi dans la journée, ils se sont entretenus avec le juge Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. La réunion qui a duré plus de quatre heures ne semble pas avoir été satisfaisante pour les magistrats français. Ces derniers espéraient, selon des sources judiciaires proches du dossier, recueillir des éléments techniques, que seul le juge Bitar aurait pu leur révéler, pour mener à bien leurs investigations en France. De l’avocat général près la Cour de cassation, Sabbouh Sleimane, ils n’ont pas non plus réussi à obtenir ce qu’ils souhaitaient.

Comme M. Bitar n’a plus la mainmise sur l’affaire, en raison des multiples recours présentés contre lui par d’anciens ministres et députés dont il a retenu la responsabilité administrative, il s’est abstenu de procéder à toute coopération judiciaire. Les commissions rogatoires lancées au lendemain de la déflagration meurtrière du 4 août sont donc désormais suspendues. L’enquête française devient par conséquent étroitement liée à son homologue libanaise, ce qui fait que dans les deux pays, elles sont actuellement interrompues.

Une nouvelle qui ne semble pas faire le malheur de certains juristes. Ces derniers estiment que lorsque la justice libanaise avait sollicité l’aide de la France dans le cadre des investigations peu après l’explosion apocalyptique, le président Emmanuel Macron s’était contenté de dire que les satellites français n’étaient pas tournés vers le Moyen-Orient. "Propos futiles", s’indigne un juriste, qui estime que la France refuse de fournir au Liban les images satellites dont elle dispose, pour éviter que l’affaire ne débouche sur une autre, plus dangereuse.

D’ailleurs, lors de la réunion qui s’est tenue mercredi matin, dans l’enceinte du Palais de justice, des avocats et des représentants des familles des victimes ont réussi à obtenir un bref entretien avec les juges français, en présence de leur homologue libanais. Ils en ont profité pour leur exposer leur désarroi du fait du blocage de l’enquête libanaise à cause des ingérences politiques dans le dossier, les incitant à leur accorder un rendez-vous et leur réclamant les images satellites.

Concernant la demande de rendez-vous, les juges français ont répondu qu’ils ne pouvaient pas s’entretenir avec les familles des victimes, puisque leur mission au Liban est strictement liée à l’instruction française et que leur travail consiste à enquêter sur la mort de deux ressortissants français. Au sujet des images réclamées, les juges se sont contentés d’émettre des réserves, sans donner davantage d’informations.

De son côté, le juge Bitar a précisé qu’il ne se désisterait pas et qu’il irait jusqu’au bout de l’affaire, réitérant son incapacité à fournir des éléments du dossier à ses collègues français tant qu’il est dessaisi de l’enquête.

De cette visite qui coïncide avec celle de la délégation de juges européens, présents actuellement au Liban pour une enquête sur de présumées malversations financières, l’on attend la suite. Selon une source judiciaire, aucune réunion avec le juge Bitar n’est prévue pour jeudi. Cependant, les magistrats français pourraient rencontrer dans les jours qui viennent les membres du bureau d’accusation du Barreau de Beyrouth.

En soirée, la chaîne MTV a rapporté que M. Bitar a tenu en soirée une deuxième réunion avec les deux magistrats, en sa résidence.