La dépréciation sans précédent de la livre libanaise face au dollar et la crise judiciaire inédite ont accentué récemment les inquiétudes concernant une possible détérioration de la situation sécuritaire. D’aucuns estiment cependant que le Liban reste à l’abri de secousses et qu’il n’y a pas lieu de redouter des troubles similaires, à titre d’exemple, à ceux qui avaient secoué le Liban le 7 mai 2008. À l’époque, le Hezbollah avait envahi la capitale et s’était engagé dans des affrontements armés pour protester contre une décision du gouvernement de Fouad Siniora de remplacer le responsable de la sécurité à l’aéroport de Beyrouth.

Les tenants de cette thèse soulignent dans ce contexte la parfaite aptitude de l’armée à préserver la sécurité et à s’opposer à toute tentative de déstabilisation. Selon les informations communiquées à Ici Beyrouth par un ancien responsable des forces régulières, l’armée, frappée de plein fouet, comme tout le Liban, par la chute libre de la livre, a trouvé moyen de faire face à la crise et d’apporter à ses effectifs ce dont ils ont besoin pour maintenir leur cohésion et leur aptitude à mener à bien leurs missions. Selon cette source, le commandement en chef de l’armée a assuré à ses soldats une couverture santé globale qui leur donne droit à des soins médicaux gratuits quel que soit leur coût. Une initiative de ce type n’a pas sa pareille au Liban, étant donné le coût exorbitant des soins de santé qu’il incombe aux patients de payer en devises étrangères, en dollars américains notamment.

Les militaires, sans distinction de rang, ont également droit à des aides alimentaires et en nature, et disposent d’une latitude pour rejoindre leurs postes en raison du coût élevé des transports. Enfin, les soldats bénéficient d’une aide financière versée en espèces –  dollars américains – conformément au programme de soutien à l’armée libanaise et aux Forces de sécurité intérieure lancé par l’ambassade des États-Unis à Beyrouth et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

Dans un communiqué récent, un représentant des Nations unies avait annoncé que "le PNUD allouera 72 millions de dollars, à titre de soutien financier temporaire, aux soldats de l’armée libanaise et aux agents des FSI, à raison de 100 dollars mensuels par individu éligible". Cette aide s’étalera sur six mois.

Au cours d’une conférence organisée récemment à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth sur le thème "Le chemin vers l’État", le général à la retraite Pierre Georgiou a mis en avant la capacité de l’armée à assurer avec succès toutes les missions dont elle peut être chargée, en insistant particulièrement sur son aptitude à contrôler l’ensemble des frontières libanaises. Une aptitude qui, pour se concrétiser, a besoin d’une volonté et d’une décision politiques pour le moment inexistantes.

Le général Georgiou a présenté dans ce contexte les projets de sécurité relatifs aux frontières terrestres et maritimes. Sa compagnie, Prosec, avait remporté l’appel d’offres lancé en 2019 par une compagnie étrangère pour fournir à l’armée libanaise du matériel de sécurité. Le matériel est désormais la propriété de l’armée libanaise.

M. Georgiou a précisé lors de son intervention que ce matériel permet de contrôler environ 70% des frontières terrestres et l’intégralité des frontières maritimes. Selon lui, l’armée "est capable de mener à bien cette mission et de ne rien laisser passer, même pas une mouche". "En dépit de la vacance présidentielle, le Conseil des ministres peut la charger de cette mission", a-t-il estimé.

Mais la Troupe serait-elle en mesure de surveiller rigoureusement les frontières terrestres, dont une partie est contrôlée par le Hezbollah, notamment dans l’est du pays, dans la région du Hermel où la contrebande bat son plein et où les hommes armés circulent en toute liberté? Pourrait-elle s’imposer sur la frontière nord – à Wadi Khaled, dans le Akkar – où les clans règnent en maîtres incontestés? M. Georgiou a répondu par l’affirmative et a cité l’exemple de l’opération "Fajr al-Jouroud", lancée en août 2017, lors de laquelle les forces armées libanaises étaient parvenues à éliminer la présence des miliciens de Daech. Le général à la retraite a aussi expliqué que le matériel audiovisuel installé à la frontière est relié au bureau des opérations du ministère de la Défense et que tout ce qui se déroule dans ces zones est surveillé. M. Georgiou a estimé qu’il existe non moins de 150 points de passage illégaux le long de la frontière entre le Liban et la Syrie et s’est demandé si les postes frontaliers réguliers sont bel et bien contrôlés de bout en bout: "Si une décision politique est prise, il sera possible de surveiller les frontières et de juguler le trafic transfrontalier."

Pierre Georgiou a considéré que la situation sécuritaire semble s’améliorer dans le pays depuis la délimitation des frontières maritimes avec Israël, en octobre 2022, "avec le consentement de principe du Hezbollah".

Depuis quelques jours, l’armée libanaise a déplacé des fils barbelés, installés par Israël à la frontière sud, au niveau de vallée de Hounin et de Markaba, et les a placés au-delà de la Ligne bleue. Du côté des frontières terrestres de l’est avec la Syrie, une unité de l’armée a effectué des descentes dans le village de Kneissé, à Baalbeck, à la recherche de repris de justice.

Au lancement du programme de soutien aux soldats de l’armée libanaise et aux FSI, le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, avait déclaré: "La communauté internationale se soucie de la protection de nos institutions militaires. Cela indique que la situation sécuritaire au Liban ne se détériorera pas."

Tout cela ne signifie-t-il pas que l’armée libanaise est une institution fiable pour assurer la sécurité nationale et le contrôle des frontières?