Un an après le retrait de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et du courant du Futur de la vie politique, comment se présente le " paysage parlementaire sunnite " ? La diversité qui caractérise ces 27 députés, est-elle un signe d’éparpillement ou plutôt de renouveau ? Quel est l’impact de cette mosaïque sur la présidentielle ?

Il y a un an, le 24 janvier 2022, l’ancien Premier ministre Saad Hariri annonçait la " suspension " de son action politique et appelait son parti, le courant du Futur, à en faire de même et à ne pas participer aux élections législatives qui devaient avoir lieu quatre mois plus tard. Cet appel a été respecté et les quelques " haririens " qui ont mené la bataille l’ont fait après avoir démissionné du courant bleu.

Aujourd’hui, et à l’occasion du retour – momentané – à Beyrouth de Saad Hariri, pour la 18eme commémoration de l’assassinat de son père, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, il est intéressant d’analyser l’impact du retrait haririen sur la composition de la Chambre issue des élections de 2022.

Même si les larges blocs parlementaires présidés successivement par Rafic Hariri et Saad Hariri étaient multiconfessionnels, ils étaient considérés comme des " leaders sunnites ", voire même chacun d’eux, comme le " zaïm" incontesté de la communauté. D’ailleurs, jusqu’aujourd’hui, les Hariri gardent une grande place dans le cœur de " la rue sunnite ", même si d’autres personnalités commencent à s’y forger une petite place.

En l’absence du " Moustaqbal ", dont seuls deux anciens députés ont été reconduits, comment se répartissent les élus sunnites au Parlement et quelles sont leurs principales affiliations ? Cette diversité est-elle un signe d’éparpillement ou de renouveau ? Le Premier ministre sortant, Najib Mikati, auquel les députés sunnites rendent souvent visite, a-t-il quelque part hérité du leadership sunnite du fait de sa présence au Grand Sérail ? Quel est l’impact de cette nouvelle mosaïque sunnite sur le dossier de l’élection présidentielle ?

Ici Beyrouth tente de répondre à ces questions, non pas dans le cadre d’une démarche confessionnelle, mais pour apporter un éclairage politique sur ce grand changement au niveau de la représentation sunnite au Parlement, "l’institution-mère", qui n’est pas seulement le pouvoir législatif, mais qui a aussi pour responsabilité d’élire le président de la République et de désigner le Premier ministre.

Comment se répartissent les 27 députés sunnites élus en 2022 ?

Quatre tendances principales émergent dans cette Chambre, sachant que chacune d’elle pourrait être nuancée.

  • Les centristes :

Le bloc de la Modération nationale s’inscrit clairement dans la tendance centriste. Il regroupe 6 députés du Akkar et du Liban-Nord, dont quatre sunnites (Ahmed Kheir, Walid Baarini, Mohammed Sleiman et Abdel-Aziz Samad), un alaouite (Ahmed Rustom), et un grec-orthodoxe (Sajih attieh).

Ses membres sont des " anciens haririens " pour la plupart. D’ailleurs, deux de ces députés, Walid Baarini et Mohammed Sleiman, tout comme le secrétaire général du bloc, Hadi Hobeich, étaient membre du bloc parlementaire du Futur. L’un d’entre eux en particulier, Ahmed Kheir, est considéré très proche du courant du Futur.

Ce groupe est allié à deux députés sunnites de Beyrouth, Nabil Badr (président du club de football Ansar) et Imad Hout (membre de la Jamaa Islamiya).

Ces huit députés coordonnent la plupart de leurs positions. Par exemple, au niveau de l’élection présidentielle, ils déposent depuis le départ des bulletins portant l’inscription " Liban nouveau " dans l’urne. Ils sont considérés comme proches de l’Arabie saoudite et attentifs à ses directives. Ils constituent avec des indépendants comme Bilal Hchaimi, Nehmat Frem, Ghassan Skaff et Jamil Abboud, un groupe parlementaire plus large appelé la Rencontre parlementaire indépendante. Même s’ils sont centristes, ils sont plus proches des blocs souverainistes que de ceux du 8 Mars.

Également au centre se situent les deux députés sunnites de Saïda, Oussama Saad et Abdelrahman Bizri. Ils coordonnent parfois avec le député maronite de Jezzine, Charbel Massaad, mais ont chacun sa spécificité. Si M. Bizri est plus proche de la Modération nationale et de la Rencontre parlementaire indépendante, Oussama Saad, qui lors du mandat du Parlement de 2018 était dans la mouvance du 8 Mars, est maintenant plutôt proche des députés du Changement. D’ailleurs, le premier a souvent voté " Liban nouveau " lors des séances présidentielles, alors que le second, lui, accorde sa voix, à l’instar d’un groupe de députés de la contestation, au professeur Issam Khalifé.

Un autre élu du Liban-Nord se distingue quelque peu des députés centristes, même si son père était membre du bloc du Futur. Il s’agit de Abdelkarim Kabbara, fils de l’ancien député Mohammed Kabbara, dont la famille est influente à Tripoli. Seul candidat élu sur la liste appuyée par le Premier ministre sortant Najib Mikati, il devait faire partie du bloc de la Modération après les élections, mais il a finalement décidé de rester indépendant. Lors des séances électorales pour élire le chef de l’État, il déposait dans l’urne un bulletin portant la mention " la ligne politique de Rachid Karamé " (Premier ministre libanais assassiné en 1987), puis " Pour le Liban ". Selon certaines sources parlementaires, il serait proche du président du Parlement Nabih Berry, ce qui expliquerait, entre autres, son élection comme membre du bureau de la Chambre.

  • Les députés du 8 Mars :

Plusieurs députés sunnites peuvent être considérés comme faisant partie du 8 Mars. Il s’agit de Kassem Hashem (membre du bloc du président du Parlement Nabih Berry), Yanal Solh et Melhem Hojairi (élus sur la liste Amal-Hezbollah à Baalbeck-Hermel), Mohammed Yéhia (élu sur la liste du Courant patriotique libre au Akkar), Jihad Samad et Hassan Mrad (fils de l’ancien député Abdelrahim Mrad).

Le positionnement de ces députés est clair. Après le retour Place de l’Étoile en novembre de Faycal Karamé (à la faveur d’une décision du Conseil constitutionnel qui a invalidé la députation de Rami Finge, élu de la contestation, décision jugée partiale par de nombreux observateurs), un large groupe de députés sunnites du 8 Mars peut se constituer.

Les deux députés Ahbaches, Taha Naji et Adnane Traboulsi, pourraient se joindre à eux, même si plusieurs sources parlementaires soulignent que ces derniers semblent s’éloigner du Hezbollah et se rapprocher de la Modération nationale et de l’Arabie saoudite.

Il convient de rappeler que MM. Karamé, Samad, Hashem et Traboulsi, ainsi que le père de Hassan Mrad et Ismail Succarié, avaient constitué lors du mandat du précédent Parlement un bloc appelé la Rencontre consultative, qui jouait clairement le jeu du 8 Mars, tout en prétendant être indépendants.

  • Les députés souverainistes

Les députés sunnites souverainistes, proches de la mouvance du 14 Mars, sont très peu nombreux dans la Chambre élue en 2022. Et là aussi, chacun a sa spécificité. Un de leur point commun pourrait notamment être le fait qu’ils votent pour le candidat présidentiel des blocs souverainistes, Michel Moawad.

À titre d’exemple, Bilal Abdallah, membre de la Rencontre démocratique (PSP), fait partie de ce groupe.

Les deux membres sunnites du bloc du Renouveau (qui compte aussi M. Moawad et Adib Abdelmassih), à savoir Ashraf Rifi et Fouad Makhzoumi, peuvent certainement être classés dans ce groupe. Le premier, ancien directeur des Forces de sécurité intérieure, et qui était proche de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, est considéré comme un faucon du camp anti-Hezbollah. Le second, homme d’affaires et chef du parti du Dialogue national, avait déjà été élu député en 2018. Mais il a durci ses positions depuis sa réélection en 2022 et s’est rapproché du camp souverainiste.

Un autre député s’est distingué par sa position nuancée. Il s’agit de Bilal Hchaimi, député de Zahlé, élu sur la liste appuyée par les Forces libanaises et l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. Il avait démissionné du courant du Futur pour se présenter aux élections, après la décision du parti bleu de boycotter l’échéance. Considéré comme proche de M. Siniora, il est le seul des candidats appuyés par ce dernier à avoir été élu.

M. Hchaimi vote, dès le départ, pour M. Moawad. Mais cela ne l’empêche pas de garder de très bonnes relations avec les parlementaires de la Modération nationale et de participer aux réunions de la Rencontre parlementaire indépendante.

Parmi les députés sunnites du Changement, un seul pourrait véritablement être classé dans le groupe des parlementaires " souverainistes ". Il s’agit de Waddah Sadek, directeur exécutif du mouvement " Khatt ahmar " (ligne rouge), qu’il avait lancé en 2019 pendant le soulèvement populaire. Au départ, il a essayé de coordonner toutes ses positions avec ses collègues de la contestation. Cependant, en octobre dernier, il est sorti du bloc, en raison de désaccords sur de nombreux dossiers, emboitant le pas à son collègue Michel Doueihy qui l’avait précédé quelques jours auparavant. Mais si M. Doueihy essaie de se trouver une place à part, Waddah Sadek a voté le jour même pour Michel Moawad, et ses positions se sont révélées proches de celles du 14 Mars, même s’il assure appuyer ce courant mais pas ses leaders. M. Sadek est d’ailleurs l’un des nouveaux députés sunnites qui sont sortis du lot et ont su s’imposer et se faire connaitre de l’opinion publique.

Il convient de noter que malgré leur sortie du bloc, MM. Sadek et Doueihy continuent de se concerter avec leurs collègues du Changement, mais en gardant leur liberté d’action. Dans ce cadre, on note que deux autres députés du Changement, Najat Saliba et Mark Daou, votent depuis plusieurs séances pour M. Moawad. Leur parti, Taqaddom, faisait d’ailleurs partie, aux côtés de Khatt Ahmar, du Front de l’opposition, qui regroupait aussi, avant les élections législatives, les Kataëb et Michel Moawad.

Egalement parmi les députés sunnites figure Ihab Matar, un indépendant qui n’est pas bien connu de ses collègues car il est souvent en voyage. Mais il a également voté à maintes reprises pour Michel Moawad.

  • Les députés du Changement

Des treize députés du Changement élus en mai dernier, cinq sont sunnites. Cependant, l’un d’entre eux, Rami Finge (Tripoli) a perdu en novembre sa députation en faveur de Faycal Karamé. Lors de sa présence au Parlement, il avait été très actif dans les commissions parlementaires et s’était distingué d’autres membres de son bloc en votant à plusieurs reprises pour Michel Moawad.

Parmi les députés actuels, Yassine Yassine est assez proche des positions de Waddah Sadek. Cependant, il relève d’un groupe de la contestation, " Sahlouna wal jabal ", et doit tenir compte de ses opinions. De ce fait, il vote pour le professeur Khalifé.

Quant à Halima Kaakour et Ibrahim Mneimné, qui sont très proches au niveau politique et prennent souvent les mêmes positions, ils sont considérés comme l’extrême gauche des députés du Changement. Ils rejettent en bloc tous les partis politiques et considèrent qu’ils se valent tous. Ils se veulent également laïcs et ont refusé d’assister à la réunion à laquelle le mufti de la République Abdellatif Deriane avait convié les députés sunnites.

Paysage inédit depuis 1996

C’est ainsi que se répartissent les députés sunnites. Ce paysage est inédit depuis l’entrée des Hariri au Parlement dès les premières élections de l’après-guerre, mais en force à partir des législatives de 1996. Il convient de rappeler qu’en 1996, le bloc Hariri comptait 25 députés, et avait atteint 26 députés en 2000.

En 2005, à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri, le bloc présidé par Saad Hariri rassemblait 37 élus, dont 17 sunnites, 16 chrétiens, deux chiites et deux alaouites. En 2009, après l’invasion le 7 mai 2008 par le Hezbollah de plusieurs régions de Beyrouth et de la montagne, le bloc du Futur comptait 32 parlementaires, dont 16 sunnites et deux chiites. En 2018, à la suite de l’adoption de la loi électorale actuelle, le nombre avait diminué, passant à 20, dont 16 sunnites. Et en 2022, le courant du Futur n’a pas participé aux élections en raison de la décision prise à ce sujet par Saad Hariri.

Tentatives d’unification

Les efforts en vue d’une unification des députés de la communauté sunnite, menés notamment par le mufti de la République Abdellatif Deriane et l’ambassadeur saoudien Walid Boukhari, n’ont pas vraiment abouti, en raison des divergences de points de vue entre ces élus.

On rappelle que le mufti Deriane a réuni le 24 septembre dernier à Dar el-Fatwa, un mois avant la fin du mandat de l’ex-président Michel Aoun, la grande majorité des députés sunnites. Parmi les invités, seuls Ibrahim Mneimné, Halima Kaakour et Oussama Saad ont boycotté la rencontre. Quelques heures plus tard, l’ambassadeur Boukhari recevait les députés sunnites à diner, sachant que seuls quelques-uns, proches du Hezbollah, n’avaient pas été conviés. Également à la veille des concertations contraignantes pour désigner un Premier ministre, la résidence de l’ambassadeur Boukhari à Yarzé avait été le théâtre d’un défilé de personnalités sunnites, notamment des députés.

Ces efforts saoudiens marquent un retour de Riyad sur la scène politique locale, après une longue absence, sachant que l’Arabie avait déjà tenté d’influer sur la composition des listes électorales avant les législatives. La conférence organisée par l’ambassade saoudienne à Beyrouth en novembre dernier pour défendre l’accord de Taëf à l’occasion du 33e anniversaire de sa signature s’inscrit également dans ce contexte.

Rappelant que Saad Hariri a été très affaibli par le retrait par l’Arabie de son soutien au chef du courant du Futur, des observateurs insistent sur l’importance du rôle saoudien dans le processus d’émergence d’un leader sunnite, déplorant l’absence actuellement d’une telle intervention qui aurait accéléré les choses. Selon eux, l’opinion de l’Arabie est prise en considération par tous les députés sunnites, à l’exception de ceux qui font partie des blocs du Hezbollah, d’Amal et de leurs alliés.

Au niveau des efforts d’unification des rangs, il convient de noter que plusieurs parlementaires sunnites ont tenté et tentent encore d’unifier les rangs des députés de la communauté, notamment Fouad Makhzoumi et Ihab Matar.

Force ou faiblesse ?

Cette diversité qui caractérise les députés sunnites est-elle un signe de force ou de faiblesse ? Aux yeux des autres blocs parlementaires, c’est un signe de faiblesse. En fait, ces blocs seraient surtout dérangés par le fait qu’ils n’ont plus un interlocuteur sunnite unique avec lequel ils peuvent s’entendre.

Pour les députés sunnites actuels, en revanche, il s’agit d’un point fort. Chacun peut prendre sa propre décision, ou en concertation avec un petit nombre de collègues, sans revenir à un chef qui mène le jeu. Certains d’entre eux soulignent dans ce cadre que Saad Hariri a imposé à son bloc et à sa communauté des décisions qu’ils n’approuvaient pas, notamment le compromis qui a abouti à l’élection de Michel Aoun. Parmi les erreurs aussi, selon eux, figure son acceptation d’une loi électorale élaborée dans l’intérêt du 8 Mars et qui a surtout porté atteinte aux sunnites et au courant du Futur.

D’ailleurs, notent des sources parlementaires, le bloc du Futur issu des élections de 2018 était moins large que les précédents. Relevant que le bloc centriste sunnite compte avec ses alliés alaouite et chrétien près de onze députés, une source parlementaire estime que même si l’ancien Premier ministre avait participé aux élections en mai dernier, il aurait obtenu tout au plus une dizaine de députés, en raison de son changement d’alliance.

Ainsi, selon des analystes, le paysage politique sunnite qui était traditionnel auparavant " se renouvelle et se diversifie " par le biais " d’une nouvelle génération, plutôt jeune, dont certains ont des affiliations et des idées claires, et d’autres sont en voie de les trouver, sans qu’aucun ne s’impose aux autres ou monopolise la représentativité ". Il y a là plus de démocratie, qui annonce " le Liban nouveau " qui va voir le jour, estiment des députés centristes.

Quoi qu’il en soit, le plus grand zaïm sunnite libanais, au niveau du pays tout entier, était Rafic Hariri. Il a joué ce rôle, selon des analystes, car il était " exceptionnel ". Par la suite, Saad Hariri a réussi à rassembler une large partie de la communauté. Après son retrait de la vie politique, les sunnites se sont éparpillés. Actuellement, ils passent par une phase transitoire, plutôt saine, pour constituer de nouveaux leaderships. Celle-ci pourrait durer, en l’absence d’une intervention saoudienne.

Diversité saine

" Cette diversité est saine, car chaque député décide pour lui-même sans avoir à suivre un chef ", souligne Bilal Hcheimi. " Cela distingue les députés sunnites des autres. Et si les autres communautés bénéficiaient de la même diversité, le pays se porterait mieux, loin de ce système marqué par les échecs et qui a mené le pays là où il se trouve actuellement. D’ailleurs, on aurait déjà élu un président, après avoir choisi le meilleur entre trois ou quatre candidats ", ajoute-t-il. " Évidemment, pour les autres communautés, la diversité sunnite est dérangeante, car ils n’ont pas un interlocuteur unique avec lequel ils peuvent s’entendre pour choisir un président de la République ou un Premier ministre", précise le député de Zahlé.

La même opinion est partagée par le député Waddah Sadek , selon lequel "les sunnites ont à présent plus de chances que les autres communautés d’aller vers un projet national, non bâti sur des leaderships confessionnels ". Soulignant que " la division sur des bases communautaires ainsi que les intérêts personnels nous ont menés à la situation actuelle ", il reconnait que " cette étape est difficile car il s’agit d’une période transitoire durant laquelle il n’y a pas un interlocuteur sunnite unique ". " Mais ce point faible deviendra rapidement un point fort car la communauté est prête à aller vers un projet national, et non un projet confessionnel relevant du zaïm ", ajoute-t-il.

De son côté, le député Ashraf Rifi remarque que la communauté sunnite traverse une phase transitoire, en attendant l’émergence d’un nouveau leadership. Selon lui, ce leadership ne sera pas unifié, mais réparti en plusieurs pôles régionaux qui coordonneraient entre eux. Néanmoins, parce que la communauté sunnite est la seule qui connaît cette étape, alors que les autres ont des leaders " forts ", certains pourraient considérer que c’est un point faible, ajoute-il.

Le député Nabil Badr estime quant à lui que " les sunnites ont précédé les autres communautés dans le renouvellement de leur représentation parlementaire ", soulignant que celles-ci suivront et auront de nouveaux leaders. Il reconnait que les sunnites sont quelque peu éparpillés à présent, mais relève qu’ils auront à l’avenir l’avantage de s’être renouvelés plus vite que les autres. Il note dans ce cadre que " la Rencontre parlementaire indépendante s’efforce de rassembler le plus grand nombre de députés qui se ressemblent, dans un effort fédérateur, dans l’espoir que ce noyau s’élargira par la suite pour aboutir à la formation d’un front, d’une organisation ou d’un courant politique ".

" La communauté sunnite est celle qui est marquée par la plus grand part de renouveau au Parlement", estime également le député Abdelrahman Bizri, qui y voit " un défi, un risque et une aventure, qui vont conduire à l’émergence d’une nouvelle réalité ".

Mikati, le nouveau zaïm ?

Même si le courant du Futur est officiellement absent du Parlement, il garde une certaine présence, à travers les " anciens haririens " et les députés " proches " de ce parti. Par contre, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, n’a pas de bloc parlementaire, et la liste officiellement appuyée par lui à Tripoli n’a obtenu qu’un seul siège, celui de Abdelkarim Kabbara.

Cependant, il occupe actuellement le poste sunnite le plus prépondérant. Il a d’ailleurs effectué une visite à Ryad en décembre, où il a rencontré le prince héritier Mohammad ben Salmane. Lorsqu’il a été désigné pour former un gouvernement au lendemain des élections de 2022, il a clairement bénéficié d’un appui saoudien, qui lui a permis de recueillir une grande partie des suffrages sunnites. Il a notamment été désigné par les députés sunnites de la Modération nationale, des Ahbaches, de la Jamaa Islamiya, du 8 Mars et plusieurs indépendants, mais n’a pas obtenu les voix des élus de la contestation, ni celles des parlementaires de Saïda, ou de MM. Rifi et Makhzoumi.

Du fait du système clientéliste, les députés libanais ne peuvent pas uniquement se consacrer à la législation, qui devrait être leur principale responsabilité, mais sont souvent obligés de faire le suivi des formalités de leurs électeurs. C’est notamment pour cela que la plupart d’entre eux, notamment les sunnites, se rendent régulièrement chez le Premier ministre sortant Najib Mikati.

Cela signifie-t-il pour autant qu’il est devenu le nouveau zaïm sunnite? Plusieurs observateurs répondent par la négative, et considèrent que ce rôle de premier plan est ponctuel et directement lié à sa présence au Grand Sérail. En outre, certains députés reconnaissent que s’ils appuient parfois M. Mikati contre l’ex-président Michel Aoun, ou le député Gebran Bassil par exemple, c’est surtout pour défendre la position de la présidence du Conseil, symbole politique des sunnites, plus que le Premier ministre lui-même.

L’élection présidentielle

Cette diversité sunnite, qui a empêché jusqu’à présent de faire pencher la balance un peu plus vers les bulletins blancs du 8 Mars ou les votes en faveur de Michel Moawad, pourrait-elle la faire pencher vers le député Sleiman Frangié ou le commandant de l’armée, le général Joseph Aoun, si la bataille venait à les opposer ?

Plusieurs sources parlementaires estiment qu’une telle bataille n’aura pas lieu, car l’accession du général Aoun à la Première Magistrature nécessitera un amendement constitutionnel, la Constitution interdisant aux fonctionnaires de première catégorie de se porter candidats avant un délai de deux ans suivant leur démission ou leur départ à la retraite. Pour cela, l’aval des deux-tiers de la Chambre sera requis. Si cet amendement a lieu, le même nombre de députés pourrait voter en faveur du commandant de la troupe.

Parmi les députés sunnites, peu sont opposés à la candidature du général Aoun. Si certains, comme les députés de la Modération nationale, peuvent se sentir proches de M. Frangié, pour des raisons géographiques notamment, d’autres parmi leurs alliés et les souverainistes opteraient plutôt pour le commandant de la troupe.

Dans tous les cas, relèvent des sources parlementaires, il est certain que Ryad pourra influer sur le choix de nombreux députés sunnites – et d’autres communautés – lorsque le dossier présidentiel sera sur le point d’être finalisé.