"De quelle Église rêvez-vous?" C’est à cette question directe et à d’autres tout aussi franches, que sont invités à répondre quelque 120 membres d’une assemblée réunie, jusqu’à samedi, au centre des congrès Bethania, près de Harissa, dans le cadre d’une consultation voulue par le pape François et placée sous le thème "Pour une Église synodale: communion, participation et mission". Le processus en est à sa phase "continentale", après avoir franchi une première étape nationale. Il sera conclu, à l’automne, à Rome même, dans le cadre d’une session spéciale de l’assemblée du synode des évêques, une institution créée par le pape Paul VI, et dont les Libanais sont familiers, puisque c’est elle qui s’est penchée sur le pays du Cèdre, en 1995, pavant la voie à la visite historique du pape Jean-Paul II, en 1997.

Lors de l’ouverture des travaux du synode sur la synodalité qui se tient jusqu’à samedi au centre des congrès Bethania, près de Harissa. ©DR

La consultation touche les sept Églises catholiques orientales, copte, syriaque, maronite, melkite, chaldéenne, arménienne et latine, tenues pour un "continent" en elles-mêmes, à côté des autres continents, comme l’Europe ou l’Amérique du Nord. Venus écouter "ce que l’Esprit dit aux Églises" aux sociétés orientales, les membres de cette assemblée de 120 personnes représentent, outre leurs Églises, le Liban, la Terre sainte, la Jordanie, la Syrie, l’Égypte, l’Irak, l’Arménie et les pays du Golfe arabo-persique. Les laïcs en forment un bon tiers.

Les membres de l’assemblée, choisis par la hiérarchie pour représenter la diversité des croyants, religieux et laïcs, y compris les marginaux, ont été répartis en onze groupes internationaux et inter-ecclésiaux. Les échanges personnels se font suivant un processus marqué par l’écoute mutuelle, le dialogue et le discernement.

Ils doivent permettre aux priorités pastorales de l’heure de faire surface, grâce à des prises de conscience successives issues du dialogue et de l’écoute, et de remonter par capillarité de la base au sommet. Ils se font sous la supervision du père Dany Younès, provincial des jésuites au Moyen-Orient, et de Sandra Chaoul, une laïque attachée au discernement des conversions et des vocations, appelée au Vatican avec d’autres personnalités proches du pape jésuite.

Le thème de cette rencontre formera la matière première du synode qui se tiendra à Rome à l’automne. Ils doivent conduire normalement à une meilleure communication au sein de l’Église et, surtout, à une meilleure participation au processus de prise de décision, éventuellement par la création de nouvelles structures. Pour les vaticanistes, il s’agit tout prosaïquement d’un processus de décentralisation. Pour l’Église catholique elle-même, il en va un peu autrement. C’est "l’esprit" de communion dans la prise de décision, l’action et la prédication chrétienne qui compte.

Chrétiens ensemble

C’est par un appel prophétique à une "action d’ensemble" de type synodal, que le modérateur de la session, le père Khalil Alwan, en a ouvert lundi les travaux. "En Orient, nous serons chrétiens ensemble ou nous ne serons pas", a-t-il rappelé, citant un extrait du message adressé à l’ensemble du peuple chrétien par les patriarches catholiques d’Orient, publié en 1992.

Le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, en compagnie du secrétaire général de l’assemblée du synode, le cardinal Mario Grech. ©DR

Dans leur message, les patriarches disaient en particulier: "La diversité est une caractéristique essentielle de l’Église universelle comme de l’Orient chrétien. Cette diversité a toujours été une source de richesse pour toute l’Église, quand nous l’avons vécue dans l’unité de la foi et dans la charité. Malheureusement, cette diversité s’est transformée en division et séparation à cause des péchés des hommes et de leur éloignement de l’esprit du Christ. (…) Nonobstant ses divisions, la chrétienté d’Orient représente à la base une unité dans la foi que rien ne peut morceler. Nous sommes chrétiens ensemble pour les bons et les mauvais jours. La vocation est une, le témoignage est un et le destin aussi. Nous sommes donc requis à travailler ensemble par les divers moyens disponibles (…). En Orient, nous serons chrétiens ensemble ou nous ne serons pas."

Un rapide sondage des participants donne une première idée des thèmes qui pourraient figurer au centre des débats, qui se tiennent à huis-clos. Ces thèmes ne sont pas éloignés de ceux que soulève la longue citation du père Alwan: établissement d’une Église de proximité, solidarité face aux persécutions et à l’intolérance religieuse, purification de la mémoire de la guerre, simplification des rapports entre fidèles et clergé, coopération entre les Églises présentes sur un même territoire, coopération et renforcement du travail de groupe au sein des Églises, transparence de vie, lutte contre les insensibilités, rivalités et jalousies, etc.

Présidée par le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, la consultation se tient en présence des cardinaux Mario Grech, secrétaire général de l’assemblée du synode, et Jean-Claude Hollerich, son rapporteur général. Dans une allocution liminaire, le cardinal Grech s’est fait fort de rappeler, dans un esprit œcuménique, que les Églises orthodoxes ont conservé "d’antiques formes synodales, bien que sans y intégrer la primauté de Rome", et que "certaines Églises et communautés réformées ont développé des synodalités du peuple de Dieu, au détriment de la fonction propre des pasteurs".

Et le cardinal Grech d’ajouter que l’Église universelle "dans le respect de la Tradition", pourrait s’en inspirer pour développer de nouveaux modèles de synodalité, de collégialité et de primauté, "dans le respect des fonctions propres du Peuple de Dieu, du collège épiscopal et de l’évêque de Rome". "Nous sommes tous des apprenants, a-t-il commenté par la suite. C’est une grande erreur que de prétendre tout savoir."

Adossés à la théologie du sensus fidéi (sens de la foi), cet instinct spirituel qui permet aux croyants de séparer le vrai du faux, et qui mérite un plus grand développement, la consultation tiendra-t-elle sa promesse? Les Églises orientales en sortiront-elles édifiées? Du haut en bas de la hiérarchie, on espère qu’il ne s’agit pas, une fois de plus, de "belles paroles".