Quelle heure est-il?
La polémique autour du passage à l’heure d’été ne cesse d’enfler. Depuis dimanche minuit, les Libanais sont temporellement divisés. Une polémique qui a malheureusement pris (volontairement?) une tournure sectaire, puisque la décision concerne surtout le mois de Ramadan et que ses auteurs sont deux ditrigeants musulmans, dans un contexte d’absence d'un président de la République chrétien.

Pour certains, le passage à l’heure d’été, dimanche, a des motivations sectaires. Mais, contrairement à ce que peuvent penser les défenseurs du Premier ministre sortant ainsi que M. Mikati lui-même, le problème est loin d’être communautaire.

La vidéo de l’entretien entre le président du Conseil des ministres et le président de la Chambre qui circule depuis jeudi montre explicitement le problème qui sous-tend cette décision et toutes les décisions prises dans ce pays depuis des décennies.



Au cours de cette conversation, anodine en apparence, les deux «responsables» décident simplement de ne pas changer l’heure. Une décision qui, il y a quelques décennies, n'aurait pas eu d'impact majeur sur les liens entre le Liban et le reste du monde. Mais, en 2023, alors que nous vivons dans un monde hyperconnecté, ce changement de dernière minute est lourd de conséquences dont certaines s'avèrent dangereuses. Dans cette conversation, M. Berry explique à M. Mikati que certains pays, comme l’Égypte, ne changent pas l’heure et que le Liban peut faire de même. Il affirme également que les vols internationaux ne seront pas affectés.

Le président de la Chambre doit vraisemblablement être dépassé par la technologie pour avoir une réflexion aussi simpliste. Si, comme il le dit et à raison, l’Égypte et d’autres pays ne changent pas l’heure et n'en sont pas affectés, c’est parce qu'il s'agit d'une décision prise par ces États des mois, voire des années, avant leur mise en application effective. En Europe, par exemple, le Conseil est divisé depuis plusieurs années sur l’heure à adopter et des discussions sont toujours en cours. Aux États-Unis, c’est le Sénat qui a voté une loi après plusieurs heures de débat. Mais au Liban, il a suffi d’une conversation de quelques minutes entre deux personnes pour que tout le pays soit, en un claquement de doigts, chamboulé.

Les responsables politiques de ce pays prennent des décisions hâtives et irréfléchies. Des décisions qui leur permettent, à court terme, de réaliser quelques gains de nature clientéliste et populiste, mais qui affectent le pays et toute la population à moyen et long termes. Ils ne sont même pas capables d’appliquer eux-mêmes leurs décisions: le site de l’Agence nationale d’information est passé à l’heure d’été dimanche matin (avant de se rétracter quelques heures plus tard, à la suite d'une intervention occulte!), tandis que la Banque du Liban a annoncé ne pas pouvoir modifier l’heure de ses systèmes informatiques et – cerise sur le gâteau –  l’aéroport de Beyrouth affichait deux heures différentes simultanément, pour bien déstabiliser le voyageur déjà inquiet de manquer son vol.




Ici Beyrouth a décidé samedi de passer à l’heure d’été, comme beaucoup de ses confrères et d’autres institutions privées et publiques, pour marquer notre refus de nous conformer à des décisions irréfléchies. Non seulement les dirigeants isolent le pays, mais ils le font illégalement.

Depuis vendredi, plusieurs juristes, dont notamment le ministre de la Justice, Henry Khoury, ont réagi à cette décision unilatérale prise par le Premier ministre sortant. Ils affirment que puisque c’est le Conseil des ministres qui a, collégialement, pris la décision en 1998 de suivre la pratique internationale du changement d’heure, c’est au Conseil des ministres de décider d’ajourner ou non ce passage à l’heure d’été. Or cette décision a été prise unilatéralement par Najib Mikati, en concertation avec, non pas le reste du pouvoir exécutif ou législatif, mais uniquement le chef du Parlement qui n’a pas pris la peine d’en discuter avec le bureau de la Chambre ou l’assemblée.

Il est donc normal et sain que les Libanais refusent de s’accommoder au désidérata de ces (ir)responsables perchés à la tête de ce (non) État.

Quelle heure est-il? L’heure de faire comprendre que la Res publica, la chose publique, doit être gérée en fonction de l'intérêt général du peuple, et non pas en fonction des intérêts d’une classe dirigeante criminelle, ou à plus forte raison sur base d'un bref échange informel entre deux «responsables» au détour d'une conversation à bâtons rompus.

[email protected]
@eliejziade
Commentaires
  • Aucun commentaire