Après les propos inacceptables tenus par le député Ali Hassan Khalil à l’encontre du député Samy Gemayel, durant la réunion mardi des commissions parlementaires mixtes, le président de la Chambre Nabih Berry a contacté le chef des Kataëb pour "résoudre le problème". En soirée, suite à une médiation menée par le vice-président du Parlement Elias Bou Saab, M. Khalil a appelé M. Gemayel pour lui présenter ses excuses.

Photo Ali Fawaz

La dispute qui a éclaté mardi, en pleine réunion des commissions parlementaires mixtes, et qui a été marquée par des propos injurieux et inadmissibles dans une telle institution, a démontré une nouvelle fois la profondeur du clivage politique actuel. Le différend, qui porte sur l’élection du prochain président de la République, qui s’est amplifié depuis le début de la vacance à la tête de l’État il y a cinq mois et qui a culminé avec la polémique autour de l’entrée en vigueur de l’heure d’été, est en train de se répercuter sur toutes les institutions de l’État et d’en bloquer les activités.

Mardi, c’est dans l’hémicycle que ce clivage s’est manifesté, une fois de plus. L’examen par les commissions mixtes d’une proposition de loi portant sur l’ouverture d’un crédit de 1500 milliards de livres libanaises dans le Budget 2022 pour couvrir les frais d’organisation des élections municipales, prévues en mai prochain, a provoqué un débat qui n’a pas tardé à dégénérer en confrontation verbale.

L’altercation entre les députés Samy Gemayel et Ali Hassan Khalil, qui a utilisé des termes inacceptables à l’égard du chef des Kataëb et de sa famille, a abouti à la levée de la réunion sans qu’aucun des huit points à l’ordre du jour ne soit approuvé. À l’issue de la séance, le président du Parlement Nabih Berry a contacté M. Gemayel au téléphone pour "résoudre le problème". Mandaté par le chef du Législatif, le vice-président de la Chambre Elias Bou Saab a également tenu une réunion avec le chef des Kataëb et le vice-président du parti, Sélim Sayegh, au siège du parti à Saifi. Il avait d’ailleurs rattrapé M. Gemayel avant sa sortie du Parlement pour lui parler.

Dans un communiqué publié en soirée, M. Bou Saab a expliqué que son initiative a eu lieu en concertation avec M. Berry. Il a précisé que M. Khalil a également appelé Samy Gemayel pour lui présenter ses excuses, "après s’être assuré que les propos provocateurs à son égard n’avaient pas été prononcés par M. Gemayel". Durant l’appel, auquel a participé M. Bou Saab, M. Khalil "a exprimé son respect total à Samy Gemayel et au parti Kataëb", peut-on lire dans le communiqué.

Les faits

La tension était palpable dès le début de la réunion, comme le relèvent plusieurs sources parlementaires. Alors que le député Ghazi Zeaiter (mouvement Amal) défendait la proposition de loi relative au financement des municipales, présentée par son collègue au sein du bloc Ali Hassan Khalil, le député Melhem Khalaf (Changement) a noté que le devoir du Parlement à l’heure actuelle n’est pas de légiférer, mais d’élire un président de la République. On rappelle dans ce cadre que c’est pour défendre cette approche, et réclamer la tenue de séances électorales successives, que M. Khalaf et sa collègue Najat Saliba, "campent" dans l’hémicycle depuis le 19 janvier dernier, date de la tenue de la dernière séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président.

La réponse de Ghazi Zeaiter à l’ancien bâtonnier de Beyrouth, qui en fait exprimait la position de l’opposition parlementaire dans son ensemble, a été injurieuse, comme l’ont rapporté plusieurs députés. Le ton est vite monté et les cris étaient entendus depuis la salle de presse.

La tension a été encore plus vive entre Ali Hassan Khalil et le chef du parti Kataëb, le député Samy Gémayel. Chacun a défendu la position de son bloc par rapport au financement des élections municipales. Alors que M. Khalil (bras droit du chef du Parlement Nabih Berry) défendait la proposition de loi qu’il a présentée, et dont l’adoption par la suite nécessitait une séance législative, M. Gemayel, comme de nombreux députés de l’opposition, s’est opposé à toute législation. Il a dans ce cadre rappelé que le gouvernement pouvait très bien puiser le financement des municipales dans les Droits de tirage spéciaux du Fonds Monétaire International (DTS), sans en revenir au Parlement.
M. Khalil a ensuite critiqué le "chef de parti qui se contredit lui-même". Samy Gémayel, considérant qu’il parlait de lui, lui a dit qu’il n’avait pas de leçons à lui donner. D’autres députés auraient lancé au député d’Amal qu’il ne pouvait pas critiquer les autres, étant lui-même recherché par la justice (en référence au fait qu’il était poursuivi en justice, ainsi que Ghazi Zeaiter, dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth).

À ce moment-là, Ali Hassan Khalil aurait accusé Samy Gemayel d’être "un criminel, issu d’une famille de criminels".  Les visages rouges de colère, les députés des Kataëb et des Forces libanaises, ainsi que le député Michel Moawad, sont sortis de l’hémicycle et se sont rendus dans un salon proche.

Photo Ali Fawaz

Gemayel: appel à Berry

À l’issue de la réunion, qui n’a pas tardé à être levée, MM. Gemayel et Khalil ont chacun tenu une conférence de presse. Le chef des Kataëb, entouré du vice-président du parti Sélim Sayegh et de M. Moawad, a déclaré avoir participé à la réunion "pour défendre la tenue des élections municipales, afin d’éviter un chaos dans le pays". Il a souligné que le gouvernement pouvait facilement trouver les 8 millions de dollars nécessaires à leur organisation, rappelant que " la Banque centrale dépense 27 millions de dollars tous les jours pour maintenir le taux de change ".

Il a refusé de divulguer ce qui s’est passé durant la réunion "pour ne pas contribuer à la discorde vers laquelle certains veulent conduire le pays", appelant le président Berry à écouter l’enregistrement de la séance et à décider si ce qui a été dit est acceptable. "S’il ne souhaite pas régler le problème, le message aura été bien reçu et nous déciderons avec nos alliés de la réaction à adopter", a ajouté le député du Metn, qui a précisé que, contrairement à ce que certains affirmaient, il n’avait pas dit à Ali Hassan Khalil qu’il était "recherché par la justice".

Khalil: rejet du discours qui divise

À son tour, Ali Hassan Khalil a déclaré qu’il a élevé la voix lorsque "certains collègues ont dépassé les limites" en proférant des accusations auxquelles il se devait de répondre. Il a précisé que le Parlement ne pouvait pas assumer la responsabilité de demander le retrait des fonds du DTS, expliquant que le chef de parti auquel il a fait allusion durant la réunion était le chef des Forces libanaises Samir Geagea et non pas Samy Gemayel.

"Nous n’accepterons pas que notre dignité soit bafouée et nous ne nous laisserons pas entrainer dans un discours de division. Le président Berry se comporte en toute responsabilité nationale et il est attaché à la stabilité du pays ", a-t-il ajouté.

Photo Ali Fawaz

Bou Saab: effacer les propos injurieux

Le vice-président du Parlement, Elias Bou Saab, sous l’égide duquel les commissions conjointes se réunissent, avait tenu une conférence de presse avant MM. Gemayel et Khalil.  Il a indiqué que les députés ont demandé au ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, qui a assisté à la réunion, de ne pas convoquer les électeurs aux municipales avant d’avoir vérifié auprès du Premier ministre sortant Nagib Mikati que le gouvernement avait les fonds et les capacités humaines nécessaires. On rappelle que M. Maoulaoui avait annoncé qu’il convoquera les électeurs le 3 avril prochain.

"Le Parlement ne prendra pas la responsabilité de demander au gouvernement de puiser des fonds dans les DTS pour organiser ces élections", a ajouté M. Bou Saab. Concernant les propos injurieux tenus durant la réunion, il a indiqué avoir demandé qu’ils soient effacés du procès-verbal.

Quoi qu’il en soit, cette réunion démontre, une nouvelle fois, que rien ne sera résolu avant l’élection d’un nouveau président de la République. Dans ce même hémicycle où des réunions se tiennent et des injures sont proférées, il suffirait d’élire un nouveau chef de l’État pour commencer à résoudre la plupart des problèmes en suspens.

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