Le Samedi saint orthodoxe est bien connu au Liban pour être celui durant lequel jaillit une flamme, mystérieuse pour certains et miraculeuse pour d’autres, à l’emplacement du tombeau du Christ, au sein de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Aujourd’hui, samedi 15 avril, dans la soirée, cette flamme devrait donc venir illuminer les églises libanaises, en transitant par la capitale jordanienne Amman – conflit politique oblige. Mais quelle est l’histoire de cette mythique flamme ?

Un évènement majeur

Faire la lumière sur ce phénomène annuel imposerait de se référer à l’Histoire du christianisme, et plus précisément à l’histoire de l’église du Saint-Sépulcre. Car si l’historien Eusèbe de Césarée écrit que le feu sacré est survenu pour la première fois en l’an 162, d’autres estiment que la plus ancienne trace régulière de cet évènement remonte au 4 e siècle, après la construction de cette basilique sur ordre de nul autre que l’empereur Constantin le Grand, en 323. En ordonnant l’édification de l’église du Saint-Sépulcre, Constantin Iᵉʳ cherchait alors à rompre avec le "sacrilège" polythéiste qu’avait commis l’empereur Hadrien en l’an 137 lorsqu’il construisit un temple à la gloire de Vénus sur ce lieu où se trouvait déjà le tombeau du Christ depuis plus d’un siècle.

Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui certain que le phénomène se répète chaque année depuis plus de 1500 ans, et cette constance nécessite de s’y intéresser. Considéré comme un miracle par de nombreux chrétiens, il s’agit d’un évènement central pour les orthodoxes du monde entier puisqu’il survient le Samedi saint de leur calendrier, et seulement sous l’invocation du patriarche orthodoxe de Jérusalem (actuellement Théophile III).

Mais l’évènement est également généralement captivant en raison du fait que durant les premières minutes (certains se réfèrent à cette durée comme étant "le temps de prononcer quarante kyrie eleison"), la Sainte flamme ne brûle pas la peau, les cheveux ou le visage de nombreux fidèles, et pourtant elle se transmet de bougie en bougie. C’est ainsi que, sans avoir à s’inquiéter pour la longue barbe du patriarche, il est possible de visionner chaque année à la télévision des hommes et des femmes baignant leur tête dans les flammes de leurs propres cierges allumés, le sourire aux lèvres et la foi dans le regard. Cela n’empêche toutefois pas plusieurs personnes de persister à penser que cette histoire sent le roussi.

Scepticismes, convictions et anecdotes

Par le passé, un calife fatimide chiite entreprit la destruction totale de l’église du Saint-Sépulcre car il blâmait le clergé orthodoxe d’y organiser un subterfuge, une supercherie. Plus récemment, au 19e siècle, Porphyrius Uspensky, chef de la mission ecclésiastique orthodoxe russe à Jérusalem, ira jusqu’à accuser le responsable grec d’allumer le feu sacré au moyen d’une lampe cachée derrière une icône de marbre mobile représentant la Résurrection du Christ et se trouvant dans le Saint-Sépulcre. Mais ce dignitaire russe est lui-même accusé d’être biaisé contre le clergé et les rites grecs-orthodoxes par ses coreligionnaires grecs.

Encore plus récemment, Michael Kalopoulos, auteur et ingénieur mécanique grec, fit une apparition très controversée à la télévision grecque durant laquelle il trempa des bougies dans une solution de phosphore dissout dans du disulfure de carbone, ce qui eut pour effet d’allumer les bougies au bout de quelques minutes sans qu’elles n’aient eu un quelconque contact avec du feu. Son but était de démontrer par analogie que selon lui, avant de transmettre le feu sacré à la foule de pèlerins, le patriarche de Jérusalem réalise sans doute chaque année une expérience similaire. Kalopoulos soulignait par ailleurs que cette technologie serait connue depuis l’Antiquité, le naphta blanc ou le phosphore ayant été utilisés dès cette époque pour obtenir des résultats d’auto-inflammation.

AHMAD GHARABLI/AFP

Le patriarche fouillé par des officiers israéliens 

Il faut cependant rappeler que chaque année, le patriarche subit une fouille complète et publique par des officiers israéliens (et anciennement par des officiers ottomans), qui vérifient qu’il ne possède aucun moyen d’allumer les bougies. De même, la thèse d’Uspensky a du mal à tenir aujourd’hui vu que les autorités israéliennes s’assurent également en amont que la tombe du Christ est vide et ne contient rien qui puisse allumer une flamme. Car c’est effectivement sur la tombe que le "feu sacré" apparait normalement… à l’exception de l’an 1579 durant lequel le feu a jailli d’une colonne à l’extérieur du tombeau (mais à l’intérieur de l’église du Saint-Sépulcre). Et pour cause, il est raconté que le clergé arménien avait corrompu le sultan ottoman Mourad III pour obtenir contre de l’argent d’évincer les responsables grecs-orthodoxes de la réception du Saint feu.

Il est également rapporté que lorsque le clergé latin supplanta le clergé grec-orthodoxe en 1101 après la prise de Jérusalem par les croisés, la Sainte flamme ne fit exceptionnellement même pas son apparition le Samedi saint. Ces deux échecs auraient poussé respectivement les Arméniens et le Roi Baudouin 1ᵉʳ de Jérusalem à rendre l’accès du Saint-Sépulcre aux Grecs.

Une tradition qui est loin de se perdre

Inlassablement et à de très rares exceptions près, cela fait donc plus de 1500 ans que la Sainte flamme apparait chaque année, le jour du Samedi saint, à l’emplacement du tombeau du Christ. Transcendant et dépassant les évènements historiques, les occupations politiques, les scandales, et l’identité des représentants du clergé orthodoxe qui le reçoivent, ce symbole de la résurrection du Christ donne au Saint-Sépulcre une raison de plus d’être un haut-lieu de pèlerinage pour la grande majorité des chrétiens du monde. Quant aux chrétiens libanais, pour lesquels ce lieu demeure douloureusement inaccessible, ils devront attendre jusqu’à 21 heures pour recevoir la Sainte flamme dans le pays du Cèdre et les heures suivantes pour qu’elle se répande dans leurs paroisses respectives.