Le 29 décembre dernier, le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui a annoncé " la saisie par la douane libanaise de 9 millions de comprimés de Captagon dans une cargaison d’oranges au port de Beyrouth, destinée à l’exportation vers l’un des pays du Golfe ". Il n’a toutefois pas nommé ce pays " pour préserver le secret de l’enquête et pouvoir arrêter l’ensemble des membres du réseau, que ce soit au Liban ou à l’étranger ".

La saisie de cette drogue intervient au moment où le gouvernement du Premier ministre Najib Mikati s’efforce d’améliorer les relations du Liban avec les États arabes du Golfe, principalement l’Arabie saoudite. Cet effort est clairement visible depuis la crise déclenchée par les positions de l’ancien ministre de l’Information Georges Cordahi il y a quelques mois au sujet de la guerre au Yémen. Il porte notamment sur la lutte contre le trafic de drogue du Liban vers le Golfe.

Cependant, dans certains milieux politiques au courant du rôle présumé du Hezbollah dans la fabrication et l’exportation du Captagon, on doute de l’aptitude de l’Exécutif à mettre fin à ce trafic à partir du Liban, justement parce que des proches du parti du Hassan Nasrallah seraient impliqués dans la fabrication et la contrebande de cette drogue. Les autorités seraient ainsi au courant de tout le circuit de la contrebande de Captagon dont le Liban est devenue la plateforme, mais ne semblent pas être en mesure d’aller au-delà de la saisie des cargaisons destinées à l’exportation et de bloquer ce circuit, en fermant tout simplement les principales usines de production.

La veille du Nouvel An, alors que Bassam Maoulaoui supervisait personnellement la mise en œuvre des mesures de sécurité pour la soirée, une équipe de la chaîne de télévision Al-Manar (Hezbollah) est arrivée pour couvrir les activités du ministre. Le reporter a interrogé ce dernier au sujet des résultats de l’enquête sur la cargaison d’oranges contenant le Captagon, ce à quoi M. Maoulaoui s’est contenté de répondre par un : " Elle est toujours en cours ".

Le reporter devait alors faire part d’informations selon lesquelles " les trafiquants sont originaires du nord du Liban ", précisant même le nom de la ville. Mais le ministre a répété pour tout commentaire que l’enquête est toujours en cours et que les détails ne peuvent pas être révélés. Plus tard, le ministre aurait confié à l’un de ses proches : " Il semble que cette équipe de télévision soit venue spécialement pour me poser cette question ".

De l’avis des mêmes sources politiques, le Hezbollah s’efforce de montrer que la fabrication du Captagon ne se limite pas aux zones qu’il contrôle. Elles en veulent pour preuve le fait que le reporter du Manar avait donné le nom d’une ville du nord du Liban à majorité sunnite. Quoi qu’il en soit, cette tentative, estime-t-on de mêmes sources, ne pourra pas dissimuler l’implication directe du parti dans ce trafic. Les responsables libanais et arabes sont au courant du rôle du Hezbollah accusé directement par Riyad d’être responsable de l’exportation de drogue vers son territoire en raison du contrôle qu’il exerce sur le port et l’aéroport de Beyrouth.

Le Hezbollah et Maher el-Assad
Selon les mêmes sources, le Hezbollah aurait trois usines de Captagon, dont une est située près de l’aéroport de Beyrouth, et deux autres dans la vallée de la Bekaa. L’une d’elles serait même dans un centre religieux.

Chacune de ces trois usines produirait 100 000 comprimés de Captagon par jour, ce qui totalise 300 000 pour les trois par jour. Une quatrième, codirigée à en croire ces sources par le Hezbollah et le frère du président syrien Bachar el-Assad, Maher, se trouverait dans le village libanais de Toufayl, situé dans une enclave en Syrie, au niveau de la Békaa est.

La production de Captagon, toujours selon ces sources, serait supervisée par le frère d’un responsable du parti identifié par ses initiales, " H.M. " Ce dernier se serait fait discret après la révélation de son implication dans la fabrication du Captagon. Il se serait rendu en Iraq puis en Iran, avant de revenir au Liban et de reprendre son rôle dans ce trafic.

S’il est vrai que ces sites existent et qu’ils sont localisés, la question est de savoir pourquoi les autorités ne les ferment pas pour montrer qu’elles prennent au sérieux l’appel des responsables saoudiens à mettre fin à ce trafic. Une question qui se pose d’autant que des médias étrangers se sont étendus sur l’implication du Hezbollah et du Liban dans le trafic en direction des pays du Golfe.
Il y a environ un mois, le New York Times a publié une enquête intitulée " Sur les ruines de la Syrie, un empire de la drogue prospère ", dont il ressort que la majeure partie de la production et de la distribution de la drogue est supervisée par la 4e division de l’armée syrienne, une unité d’élite dirigée par Maher al-Assad, le frère cadet du président et l’un des hommes les plus puissants de Syrie.

L’article ajoutait que parmi les acteurs clés figurent également des hommes d’affaires ayant des liens étroits avec le gouvernement, le Hezbollah et d’autres membres de la famille Assad.
A son tour, le journal israélien " Jerusalem Post " rapportait il y a quelques jours que " l’armée israélienne estime à neuf le nombre de tentatives d’infiltration déjouées en provenance du Liban et de la Syrie ", précisant qu’elle a saisi " 120 kilogrammes de drogue et 75 armes au cours de l’année écoulée ".

Compte-tenu de toutes ces informations, les responsables libanais peuvent-ils se contenter d’avancer que ‘affaire du Captagon est soumise au secret de l’enquête ?