Retrait israélien: espoir et désespoir, 23 ans après
©Marjayoun du côté de Ebl Saqi et sa réserve de pins

Des plaines et des collines verdoyantes, des villages aux dédales charmants, des maisons traditionnelles en pierre, une population accueillante et authentique… Bienvenue au cœur du Liban Sud! Pourtant, cette image idyllique cache une réalité beaucoup plus amère qui sévit toujours dans la région méridionale du pays, vingt-trois ans après le retrait israélien, le 25 mai 2000. Longtemps affectées par l’occupation israélienne, les conditions économiques et sociales dans les cazas de Marjayoun et de Hasbaya, notamment, ont été marquées par une profonde précarité. Le gouvernement est peu présent dans cette région située à la frontière israélo-libanaise et qui souffre depuis plusieurs décennies d’un manque de développement. Peu de progrès ont été en effet réalisés sur ce plan depuis le retrait israélien.
Marjayoun du côté de Marje avec ses espaces verts
Des habitants au bord de la rupture
Entre crise économique, insécurité, et vide politique, les habitants du Sud sont extenués.
Pour de nombreux habitants, le développement économique de la région s’apparente à un miroir aux alouettes. Paralysé par une crise politique chronique, le gouvernement central de Beyrouth n’a rien fait pour développer les régions frontalières. Le Sud et particulièrement Marjayoun ont été négligés. La proximité d’Israël et le risque constant d’une nouvelle guerre limitent par ailleurs les investissements libanais et étrangers dans cette région.
Un paysan résume comme suit la situation: «Nous nous contentons d’essayer de survivre au jour le jour». Les jeunes rencontrent des difficultés à trouver un emploi ce qui augmente le taux d’émigration, mais présente aussi des risques de toxicomanie, de radicalisation et d’organisation d’activités criminelles.
Les efforts des travailleurs humanitaires et des NGO se sont concentrés sur la crise des déplacés syriens (présents en grand nombre dans le camp de « Marj el Khokh »), qui secoue également cette région isolée et fragile. Les doléances exprimées par les habitants n’ont pour la plupart pas été entendues.
Comment la population survit-elle? «La plupart des habitants du Sud profitent des services proposés par les partis politiques mais ces services ont un coût, surtout le jour des élections», explique un habitant.
Comment cette région pourrait-elle amorcer un développement durable, compte tenu des contraintes géopolitiques?
La FINUL, un soutien fiable
Le Liban Sud a connu un calme sans précédent au cours de ces dernières années. Pourtant, ses habitants hésitent encore à parler de stabilité. Le commandement de la Finul (Force Intérimaire des Nations Unies au Liban, mandatée pour contrôler la cessation des hostilités entre le Liban et Israël et forte de 12 000 hommes) s’est trouvé devant l’opportunité de s’engager de manière durable dans la région, après des décennies d’abandon, en essayant de renforcer les services publics et le développement économique. Des centaines d’habitants sont dépendants de la Finul. Le volet non militaire de la mission de la force onusienne a permis de mettre en place des projets à impact rapide comme l’aménagement de routes gravelées et la prestation de services vétérinaires. Les troupes de l’Onu contribuent par ailleurs, en grande partie, à améliorer le pouvoir d’achat de la région.
«L’histoire du Sud, marquée par la guerre et l’instabilité, est unique, souligne un colonel de la Finul. Cette partie du pays est très fragile. Dans le cadre de notre mission de maintien de la paix, nous participons à de petits projets, mais nous ne pouvons pas rétablir l’autorité gouvernementale ou offrir des services. Nous ressentons ce manque maintenant. Nous n’y arriverons pas tout seul». Un casque bleu résume la situation en soulignant que «le sud n’a pas besoin de dons, il a besoin d’un plan de développement économique durable». 

Soutenir l’agriculture
Le paysage au Liban-Sud est composé de montagnes et de plaines où poussent plus de 100 000 oliviers (dont certains sont millénaires), des vignobles, du tabac (à Jabal Amel) et des arbres fruitiers. L’huile d’olive fabriquée dans le village de Deir Mimas est l’une des meilleures au monde. La marque Dermimess a obtenu une médaille d'or lors de l'édition 2023 de la compétition mondiale de l'huile d'olive à New York. Les Vignes du Marje est, en outre, une marque de vin local, issue des vignobles de Jdeidet Marjayoun.
L’agriculture a un fort potentiel, mais elle ne bénéficie pas d’un soutien suffisant. La plupart des terres ne sont pas suffisamment irriguées dans une région pourtant riche en eau. De nombreux habitants du sud ont d’ailleurs abandonné leurs terres pour chercher un emploi dans la capitale ou à l’étranger. Des entreprises agroalimentaires commencent à acheter de nouvelles terres, mais les habitants leur reprochent de ne pas employer de Libanais, de ne leur apporter aucun bénéfice, et de restreindre la superficie des pâturages.
La dame de Hermon à Kawkaba – Marjayoun
Promouvoir le tourisme
Mis à part la frontière libano-israélienne qui attire plus de curieux que de touristes, le Liban-Sud ne fait pas partie encore de la carte touristique du pays. Pourtant, la région regorge d’opportunités pour promouvoir l’écotourisme, le tourisme sportif ou religieux. Le village de Ebl el-Saqi bénéficie d’une vue imprenable sur la plaine de Marjayoun et sur le mont Hermon et comprend une réserve naturelle constituée d’une forêt de pins qui sert d’habitat pour les oiseaux migrateurs. Le village typique de Deir Mimas est également un lieu à visiter avec son monastère vieux de 600 ans. Le site de la Dame de Hermon est devenu un lieu de pèlerinage pour toutes les communautés.
Un projet est en cours pour réhabiliter Souk El Khan, un ancien marché et l'un des sites archéologiques de Hasbaya, pour le transformer en terrain de loisirs pour les habitants et les enfants de la région et pour réactiver le marché en organisant un festival annuel permettant aux habitants des régions voisines de vendre leurs produits. Le député Elias Jaradé y a d’ailleurs organisé un festival (Family Fun Day) où sont réunies les familles autour d’activités sportives, d’expositions de la Mouné libanaise et des travaux artistiques faits main pour encourager les jeunes à rester au sud.
D’autres sites archéologiques, datant de l’époque romaine, témoignent de la riche histoire de la région. Enfin, le fleuve Litani et les rivières de Wazzani et de Hasbani offrent des havres de paix dans un décor bucolique.
Le village de Ebel Saqi et ses maisons traditionnelles et ses routes serpentières
Favoriser les investissements des expatriés
Lorsque l’on traverse le sud du Liban en voiture, on croise des palais luxurieux construits après la guerre, mais qui sont pour la plupart inhabités. Une contradiction de plus au Sud. On n’observe aucun développement économique mais le marché de l’immobilier est très florissant. Certains membres de la diaspora libanaise vivant en Afrique, en Amérique ou ailleurs sont extrêmement riches.  D’où ce paradoxe : comment se fait-il que les émigrés construisent des maisons évaluées à des millions de dollars, mais ne veulent pas investir dans des entreprises au sud?
Le premier pas à effectuer pour relancer l’économie de la région sur des bases solides est d’établir un diagnostic précis. Le gouvernement devra s’attaquer à une série de chantiers, dont la conservation et l’amélioration de l’environnement, l’emploi de jeunes qualifiés et la planification d’un avenir meilleur pour les générations futures.
Dans un tel contexte, faut-il désespérer de vivre dans une région frontalière instable mais au potentiel énorme? Faudra-t-il attendre encore des décennies pour mettre fin à cette longue crise régionale dont on ne perçoit pas la fin?
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