La position du Premier ministre Nagib Mikati n’est pas à envier dans les circonstances actuelles. Il ne fait aucun doute que le chef du " Courant du futur ", Saad Hariri, qui avait échoué à former un gouvernement avant de jeter l’éponge et d’adouber Mikati, se frotte les mains, maintenant qu’il a la certitude qu’être à la tête d’un gouvernement à l’heure actuelle et en l’absence d’un accord régionalo-international concernant le Liban, revient à se brûler les ailes. La coordination franco-iranienne, indépendamment des Américains, qui a permis la formation du gouvernement actuel, n’a pas pour autant garanti les conditions de succès de ce gouvernement qui s’est retrouvé paralysé peu de temps après sa formation, en raison du bras de fer politico-judiciaire qui se joue, conjugué à la surenchère extérieure qui, selon certains, vise à améliorer les conditions et la position des parties prenantes dans la perspective d’un règlement américano-iranien qui s’appliquera à toute la région.

En attendant que le règlement soit mis au point, Mikati essaye de préserver son gouvernement, et sa position dans la foulée, pensant qu’en agissant ainsi il établira une sorte de leadership sunnite, profitant du repli de Hariri. Cependant, ménager la chèvre et le choux en cherchant à satisfaire le Hezbollah et les pays du Golfe à la fois, et au summum de la confrontation entre ces derniers, s’avère être un jeu plus dangereux qu’il ne l’imagine. C’est d’ailleurs ce qui s’est très clairement manifesté lors de sa dernière conférence de presse lorsqu’il a provoqué le mécontentement de l’Arabie saoudite en refusant d’admettre l’ingérence iranienne dans les affaires internes libanaises et en limitant le rôle du Hezbollah à la sphère politique, quelques heures avant la position de la " Coalition pour soutenir la légitimité " (au Yémen) qui a présenté des preuves de l’implication du Hezbollah dans la guerre au Yémen. Cette position a totalement saboté les ponts qu’il avait tenté d’établir les mois précédents dans une tentative de colmater les brèches entre le Liban et les pays du Golfe… M. Mikati a estimé dans ce cadre que l’entretien tripartite avec le président Macron et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane était suffisant pour le renflouer et le consacrer en tant que fer de lance du processus de normalisation des relations entre le Liban et les pays du Golfe.

Des sources libanaises qui suivent de près les actions de Mikati le comparent à " quelqu’un qui foule un terrain miné, ignorant quand une mine va le faire sauter ", soulignant à Ici Beyrouth que " penser satisfaire les pays du Golfe et le Hezbollah à la fois à un moment aussi critique que dangereux est un pur fantasme ". Ces mêmes sources ajoutent que " Mikati est parfaitement conscient du fait que s’abriter derrière les pays du Golfe et participer directement à la campagne contre le Hezbollah en le tenant pour responsable de l’effondrement interne et en visant ses équipées militaires à l’étranger, dissiperaient toute possibilité de relancer son gouvernement, et plus important encore, anéantiraient toute chance de le voir à la tête d’un gouvernement à l’avenir, notamment au lendemain des élections législatives. C’est d’ailleurs ce à quoi Mikati aspire et s’efforce de réaliser en se posant comme la seule option disponible et acceptée de tous ". " Ce que le chef du gouvernement libanais semble occulter c’est que si les pays du Golfe, et l’Arabie saoudite en tête, décident de poursuivre l’escalade contre le Liban, son gouvernement paralysé ne sera pas en mesure d’absorber l’onde de choc dans un pays qui agonise déjà et qui est à bout de souffle…Ainsi, il devra peser chaque mot et mesurer chaque position qu’il prend en lien avec le Hezbollah et son rôle ainsi que celui de l’Iran eu égard à la sensibilité de cette question pour le Royaume en ce moment ", ont-elles ajouté.

Avec les ressentiments saoudiens qui enflent, les tentatives de Mikati de jouer au plus malin et de marquer des points sur le président de la République, le général Michel Aoun, en demandant que tout dialogue national prenne en compte le dossier des relations avec les pays du Golfe et la nécessité de garder les relations apaisées, sont loin de répondre aux attentes de Riyad qui pousse à des mesures concrètes pour limiter le rôle du Hezbollah sur la scène intérieure libanaise tout comme à l’extérieur. Ainsi, M. Mikati semble pris entre le marteau du Hezbollah et l’enclume des pays du Golfe. Il table sur un rôle franco-américain qui l’épargnerait ainsi que le pays de la grande explosion. Cependant, est-il judicieux de s’en remettre à des forces extérieures dont le principal souci est leurs intérêts et agendas ? Les pays du Golfe lui donneront-ils une nouvelle chance après son nouveau " dérapage ", ou se trouve-t-il complètement hors-jeu ?