Après l'accord irano-saoudien de Pékin, le Hezbollah traverse une phase qui peut être qualifiée d'incertaine. Les positions qu'il adopte, oscillant d'un extrême à l'autre, suscitent des inquiétudes croissantes quant à l'avenir de la région. Le Hezb joue la carte de l’élection présidentielle, tentant de reproduire le scénario de 2016, lorsque le général Michel Aoun avait été porté à la présidence. L'opposition a cependant souligné que la situation est différente aujourd'hui. À l'époque, le parti pro-iranien était à son apogée, bénéficiant d'un soutien local et extérieur ainsi que de l’appui total de l’Iran, alors qu’aujourd'hui, il est incapable de reproduire ce même "scénario". La donne a désormais changé: le parti de Dieu n’a plus de partenaire national du fait que le CPL a rompu son alliance avec lui ; Walid Joumblat s’est rallié aux chrétiens ; et le Premier ministre Saad Hariri s’est retiré de la scène politique.
En 2016, le CPL était synonyme de force chrétienne et parlementaire significative. Les conditions de vie étaient relativement bonnes et sécurisées, et la crise économique que nous traversons aujourd'hui n’existait pas. Ainsi, Michel Aoun, leader chrétien, avait réussi à sceller à l’époque un accord avec le leader sunnite Saad Hariri, le leader druze Walid Joumblatt, le puissant bloc chiite de Hassan Nasrallah, et la figure chrétienne éminente de Samir Geagea, avec l'appui de Bkerké dans son rôle national et moral. Mais comme l'affirme l'opposition, tout est différent aujourd'hui. En effet, les chrétiens s'opposent au candidat du duopole chiite, Sleiman Frangié. Les sunnites attendent le signal de l'Arabie saoudite, tandis que Walid Joumblatt a décidé de soutenir Jihad Azour, candidat du bloc formé des Forces libanaises du Courant patriotique libre et des Kataëb.
Selon l'opposition, tous ces éléments auraient affaibli le consensus national autour de Frangié, contrairement à ce qui s'est passé en 2016 avec le général Michel Aoun. Par conséquent, le Hezbollah n'est plus en mesure d'imposer son candidat par la force et de garantir son acceptation, et encore moins le consensus national autour de lui. De ce fait, il a recours à l'intimidation pour effrayer ses adversaires afin qu'ils reculent, cèdent, et finissent par accepter son candidat.
Le duopole chiite a bloqué onze séances d'élection présidentielle en votant blanc contre le candidat de l'opposition, Michel Moawad, considéré comme un candidat de défi, sans pour autant révéler le nom de son propre candidat pendant cette période; ce candidat était connu, mais non déclaré (à savoir Sleiman Frangié). Plus tard, lorsqu'il l'a officiellement annoncé, le Hezb s’est retourné contre l'opposition, l’accusant de ne pas avoir nommé son nouveau candidat. Après que la faction obstructionniste chrétienne (le CPL en l’occurrence) a rejoint les rangs de l'opposition en soutenant la candidature de Jihad Azour, le Hezb a considéré cela comme une manœuvre pour faire échec à Frangié, et a intensifié ses attaques féroces, notamment contre Joumblatt et Bassil, considérés comme ayant facilité l'accord autour de la candidature de Jihad Azour. En effet, Bassil, mû par son inimitié à l’égard de Frangié, a réunifié les forces du 14 Mars et les a rejointes. Le Hezb accuse alors Joumblatt et Bassil de l'avoir trahi.
Par ailleurs, l'annonce par Nabih Berri de la candidature de Sleiman Frangié et le soutien du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ont contribué à l'émergence d'une position française en faveur de Frangié, sous prétexte qu’il s’agissait là de "La solution possible". Une position qui a fortement mécontenté la rue chrétienne qui a considéré que le président Emmanuel Macron a troqué, au niveau de la présidentielle, les positions historiques de la France concernant le Liban pour des considérations commerciales. Partant, le président français a organisé une visite du patriarche Raï au Vatican et à Paris pour clarifier la situation, d’autant que les chrétiens et l'opposition avaient informé le patriarche Raï de leur accord sur la nomination de Jihad Azour, renforçant ainsi sa position, surtout qu’il figure sur la liste de Bkerké.
Au Vatican comme à Paris, les responsables rencontrés ont exprimé leurs inquiétudes à Raï: "Nous sommes préoccupés par le sort du Liban, compte tenu des informations confirmées qui font état du manque d’empressement du Hezb pour élire un président. Le Hezb, ayant en vue de mettre en place une nouvelle constituante, a opté pour le chaos et l'effondrement du Liban." Après avoir pris connaissance de l'existence d'une liste de noms comprenant Frangié, Azour et plusieurs candidats acceptables, un responsable français a demandé à Mgr Raï de communiquer avec les forces politiques, en particulier le duopole chiite, pour convenir d'un nouveau nom sur la liste. Il a également insisté sur la nécessité d'élire un président rapidement "pour maintenir votre présence au pouvoir et dans la région », a souligné le responsable français qui a ajouté : «Préservez vos acquis et ne perdez pas ce qui vous reste. En effet, certains, animés par leur trop-plein de force, revendiquent ce qu'ils considèrent comme un privilège pour les chrétiens, ils réclament une alternance au niveau des présidences et dans les postes administratifs clés, ainsi qu’une consolidation des gains qu'ils ont réalisés, grâce à leurs armes, dans la Constitution, comme cela s'est produit avec les sunnites à Taëf ; à titre d'exemple, le ministère des Finances est généralement confié aux chiites et certains souhaitent désormais établir cette pratique par écrit."
Sur base de ces données, un leader souverainiste critique l'approche de certaines forces politiques dans le dossier de l’élection présidentielle et déclare que la bataille ne concerne pas les noms, mais un choix politique. L'élection n'est pas un conflit sectaire entre maronites et chiites, mais plutôt une élection nationale qui concerne tout le monde. Partant, il est nécessaire de se diriger vers un candidat consensuel indépendant. Pour parvenir à cela, il convient d'attendre les effets des accords saoudien-iranien et américano-iranien. Le déblocage de la présidentielle sera le fruit de ces deux accords. La communauté internationale tend vers un nouveau Liban. Un Liban neutre qui se tiendrait à l'écart des conflits d’autrui, avec des armes sous le contrôle de l’État, de manière à mettre enfin en œuvre les réformes requises.
Un ancien ministre met en garde contre la paralysie actuelle, affirmant que "si cela ne se produisait pas, la communauté internationale perdra sa confiance dans le Liban et suspendra de ce fait ses aides. Le pays restera alors sur la touche, observant la concrétisation du processus de stabilité et de paix globale dans la région, en espérant y être associé."
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