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Jean-Yves Le Drian, envoyé personnel du président Emmanuel Macron, repart samedi en France porteur de plusieurs messages libanais. Parmi eux, la détermination de l’opposition à aller au bout de la confrontation politique avec le Hezbollah, et à refuser qu’une partie impose son candidat et son agenda aux autres.

Les longues heures qu’il a passées avec les principaux protagonistes libanais ont sans doute permis à Jean-Yves Le Drian de se faire une idée précise des positions de chaque camp politique. Les nombreuses questions que l’envoyé personnel du président français Emmanuel Macron a posées, et les réponses qu’il a méticuleusement notées, reconstituent clairement le "puzzle" du paysage politique libanais actuel. Un paysage marqué par une crise des plus graves, reflétée par l’incapacité de chacun des deux principaux camps en présence, les parties souverainistes et le 8 Mars, à faire élire son candidat à la présidence de la République.

Parmi les nombreux messages exprimés, il en est un que Jean-Yves Le Drian retiendra à n’en point douter: les partis de l’opposition sont déterminés à aller au bout de la confrontation politique avec le Hezbollah, et n’accepteront plus ses tentatives d’imposer, non seulement, son candidat à la présidence, mais également son contrôle total des institutions du pays.

Deux compromis

La position des responsables de l’opposition souverainiste qui ont rencontré l’ancien ministre français des Affaires étrangères était ferme.

D’abord, au niveau des candidats, le parallélisme que le 8 Mars essaie d’établir entre l’ancien ministre Jihad Azour et le chef des Marada, Sleiman Frangié, ne tient pas.

Selon les opposants, M. Frangié était, dès le début, le candidat du mouvement Amal et du Hezbollah, alors que M. Azour constitue, pour l’opposition, le fruit de deux compromis.

Si l’on devait s’en tenir à la logique imposée par le Hezbollah en 2016 pour faire élire Michel Aoun à la présidence, l’opposition aurait dû avancer la candidature du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, dont le bloc parlementaire a obtenu un total de votes chrétiens supérieurs à tous les autres blocs. Le Hezbollah soutenait en 2016 que c’est le "candidat le plus fort au sein de sa communauté" qui devrait être élu président.

Cependant, par souci de réalisme et d’ouverture en direction de l’autre camp, les blocs souverainistes ont fait un premier pas vers la partie adverse en s’accordant sur la candidature du chef du Mouvement de l’indépendance, Michel Moawad.

Par la suite, après avoir appuyé sa candidature pendant onze séances électorales, ces blocs, en accord avec Michel Moawad, ont effectué un deuxième pas vers l’autre camp en soutenant la candidature de Jihad Azour, ancien ministre et actuel haut responsable au sein du Fonds monétaire international. À cette fin, ils ont "convergé" avec le Courant patriotique libre, qui ne fait pas partie de l’opposition, et qui malgré les divergences actuelles avec le 8 Mars sur la présidentielle, continue de dire qu’il est l’allié du Hezbollah à d’autres niveaux.

M. Azour est donc, par définition, un "candidat centriste et consensuel". Par ailleurs, son nom a été avancé en février dernier dans une liste de trois candidats consensuels proposés par le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, au Hezbollah, afin de débloquer l’élection présidentielle. Le choix de Jihad Azour constitue un geste de bonne volonté, selon ces sources, qui vient démontrer que l’opposition souhaite régler le problème.

Si Sleiman Frangié doit être comparé à quelqu’un, ce serait plutôt à Samir Geagea, mais pas à Michel Moawad, et encore moins à Jihad Azour, selon les mêmes sources.

Le jeu démocratique

Partant, l’opposition, qui refuse tout candidat imposé par le Hezbollah, estime que le jeu démocratique doit suivre son cours au Parlement, et que le dialogue auquel le 8 Mars appelle vise uniquement à perdre du temps en attendant des développements régionaux qu’il espère être en sa faveur.

Ce jeu démocratique devrait opposer plusieurs candidats centristes, tels que Jihad Azour, l’ancien ministre Ziyad Baroud, le député Nehmat Frem, ou le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, considéré depuis des mois par plusieurs parties politiques comme étant le candidat consensuel par excellence.

Dans ce contexte, les députés de l’opposition ont insisté, devant M. Le Drian, sur la nécessité de tenir des séances parlementaires consécutives jusqu’à l’élection d’un président. Ils ont par ailleurs rejeté tout dialogue tant que le 8 Mars reste attaché à la seule candidature de Sleiman Frangié, refusant de discuter d’autres candidats.

Changer le système

Les leaders de l’opposition ont exprimé à M. Le Drian leur rejet de ce qu’ils considèrent être des menaces du Hezbollah de changer le système politique libanais. "Nous n’accepterons plus qu’ils utilisent cet excès de force pour imposer une hégémonie", soulignent certains d’entre eux. Alors que des sources proches du 8 Mars laissent parfois entendre que la sauvegarde de l’accord de Taëf, et du système politique actuel, dépend de l’élection du candidat du Hezbollah, l’opposition rejette ces menaces à peine voilées. Des députés souverainistes soulignent que cette fois, la réponse sera que ce camp est prêt lui aussi à aller jusqu’au bout.

"Jouer sur les équilibres entre les communautés signifie jouer avec le feu, on sait où cela commence, mais pas où cela finit", martèle un député de l’opposition, reflétant le ras-le-bol de nombreux responsables politiques vis-à-vis de l’attitude du Hezbollah et de ses alliés.

Selon certains partis de l’opposition, le Hezbollah, en ne respectant pas les institutions, a déjà commencé à changer le système libanais, sans avoir recours à une conférence formelle ou à un mécanisme constitutionnel. "Nous refusons tout choix imposé, nous résisterons et irons jusqu’au bout cette fois", souligne un député souverainiste.

Nouvelle approche française

Si l’opposition est convaincue que la France a abandonné son initiative visant à faire élire Sleiman Frangié à la présidence en échange de la désignation du juge Nawaf Salam comme Premier ministre, certains pôles du camp souverainiste estiment que Paris tentera de faire passer ce message graduellement et subtilement, en appuyant une nouvelle candidature.

Il est intéressant de noter dans ce cadre que M. Le Drian a sondé plusieurs de ses interlocuteurs vendredi sur leur position vis-à-vis du général Joseph Aoun. Par ailleurs, l’émissaire français lui a rendu visite, à Yarzé. M. Le Drian a également reçu, à la Résidence des Pins, Sleiman Frangié et Ziad Baroud, qui font partie, avec le général Joseph Aoun des personnalités qui ont obtenu des votes lors de la dernière séance électorale le 14 juin dernier. On rappelle que lors de ce scrutin, Jihad Azour avait obtenu 59 voix, Sleiman Frangié 51, Ziyad Baroud 6, et Joseph Aoun avait recueilli  son premier vote.

Quelle sera la prochaine étape? Jean-Yves Le Drian, qui était minutieux, pointilleux et infatigable durant ces trois jours, a donné à ses interlocuteurs l’impression que la France reprend le dossier présidentiel depuis le début. Mais cette fois, avec une meilleure compréhension, sans doute, des positions des différentes parties. Et de l’urgence de trouver une solution politique acceptable, qui ne serait pas imposée par une partie à une autre.