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"Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés". L’on pourrait peaufiner cette citation de Machiavel en ajoutant que pour construire l’avenir, il faut être à l’écoute de ceux qui ont connu, et vécu, le passé. Surtout dans un pays comme le Liban, véritable mosaïque sociocommunautaire et culturelle qui induit au quotidien des comportements dont les racines confessionnelles, tribales, claniques, familiales, régionales, voire strictement locales (au niveau de villages) sont très profondément ancrées dans le tissu social libanais.

De telles réalités, dont l’effet centrifuge est évident, ont même resurgi ces dernières années dans certaines zones du Moyen-Orient, comme l’illustrent les conflits sanglants et le climat belliqueux qui ébranlent plusieurs pays de la région où, là aussi, les postures et les sensibilités sont le reflet de critères et de réflexes purement orientaux, souvent peu cartésiens.

Quiconque désire se lancer dans la vie politique active et manifester un intérêt continu pour la chose publique ne peut négliger et occulter ces évidences. S’il le fait, il commettrait alors non pas une erreur, mais clairement une faute.

L’attitude de déni vis-à-vis des réalités sociétales libanaises multiples et le brin de dédain à l’égard de ceux qui sont qualifiés, parfois avec mépris, d’"anciens" constituent l’un des facteurs à la base de la crise apparue récemment au sein du Bloc national. Ce parti est en effet le théâtre depuis quelque temps d’une fronde et d’une vague de démissions au niveau de ses cadres supérieurs. Sous prétexte que la parole est aujourd’hui aux "jeunes" et que ceux qui ont la mémoire du passé inhibent la dynamique du "renouveau", des maladresses et des erreurs psychologiques – similaires à celles que certaines entreprises privées ont connues – sont commises dans la gouvernance du parti.

Les témoignages sur ce plan sont légion. Dans une lettre ouverte adressée au secrétaire général du BN, l’ancienne représentante du parti en France a ainsi mis le doigt sur la plaie en dénonçant ouvertement "le clivage anciens-nouveaux" instauré, précise-elle, par le nouveau directoire, lequel a saisi les rênes du parti il y a seulement quelques petites années, convient-il de rappeler (depuis 2018, plus particulièrement depuis fin 2022, en ce qui concerne l’actuel secrétaire général). Un tel clivage est "en train de faire imploser irrémédiablement le parti de l’intérieur", affirme-t-elle, dénonçant en outre l’absence de "dialogue interne" au sein de la formation.

D’autres cadres supérieurs du BN ont abondé dans le même sens, déplorant en outre que le nouveau directoire ait relégué aux oubliettes le leader emblématique et historique du parti, le "Amid" Raymond Eddé, fils du fondateur du BN, feu le président Emile Eddé. S’élevant contre l’attitude "hautaine et condescendante" de ceux qui contrôlent le parti, les contestataires, qui se présentent comme "les amis de Raymond Eddé", iront jusqu’à qualifier le directoire actuel d’"intrus" (parce que nouvellement venu) "qui exploite le nom et la notoriété du BN pour satisfaire des ambitions personnelles". Des accusations rejetées par le secrétaire général de la formation qui affirme que ses détracteurs "représentent une minorité qui fait le jeu des partis traditionnels"…  

Miser sur les jeunes est, à n’en point douter, une nécessité impérieuse, une condition nécessaire, mais elle ne saurait être suffisante parce qu’elle doit s’appuyer sur une incontournable implication des anciens, des vétérans… Mais une implication réelle, dans les actes et non pas uniquement en paroles. Car le "one man show" porte en lui les germes de dérapages fréquents. Surtout lorsque l’expérience et la connaissance des réalités du Liban profond ne répondent pas toujours à l’appel…