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Il y a 17 ans, le 12 juillet 2006, éclatait la guerre de 33 jours entre Israël et le Hezbollah. Ici Beyrouth est allé à la rencontre de témoins de cet événement, des Libanais vivant à Paris, jeunes et moins jeunes, qui ont choisi de revenir 17 ans en arrière pour raconter ce qu’ils ont vécu.

" J’ai parfois des souvenirs qui me reviennent comme si c’était hier. Je me souviens du bruit des bombes, de la peur que je ressentais, des nuits passées au rez-de-jardin chez nos voisins pour ‘nous mettre à l’abri' ". Nour Lana n’a que 7 ans ce 12 juillet 2006, lorsque la guerre éclate au Liban. Un conflit entre le Hezbollah – avec le soutien de l’Iran – et Israël.
À l’origine : une série d’attaques de roquettes de la part du Hezbollah à la frontière avec l’État hébreu, mais surtout l’enlèvement de deux soldats israéliens par la formation pro-iranienne. La durée du conflit lui aura donné son nom : la guerre de 33 jours. Elle prend fin le 14 août. Elle se solde par un bilan humain important. Selon le site du Sénat français, on compte 160 morts du côté israélien, dont 43 civils. Plus de 4 200 civils ont été blessés par des tirs de roquettes.

Du côté libanais, on compte plus de 1 100 morts et 3 000 blessés, en majorité des civils.

Un été qui s’annonçait doux au Liban
L’été avait pourtant bien commencé au pays du Cèdre. Le festival international de Baalbeck devait démarrer ce jour-là. Quelques jours à peine avant le début du conflit, les Libanais – et en particulier les fans de football – étaient devant leurs postes de télévision, suivant la Coupe du monde. Ils ont été témoins du sacre mondial de l’Italie de Cannavaro face à la France de Zidane.

" Naïvement, je pensais que les premières bombes entendues étaient en fait des ‘tirs de célébration’ ou des feux d’artifice pour l’occasion. C’est en tout cas ce que je voulais croire, et que mes parents ne cessaient de me répéter pour me rassurer. " raconte Nour Lana, aujourd’hui âgée de 21 ans et juriste d’affaires en entreprise à Paris.
" 2006 était un été qui s’annonçait merveilleux chez les grands-parents, avec nos deux petites filles de 4 et 6 ans. On les avait inscrites dans un club pour l’été où elles passaient leurs journées, et nous, on avait du temps libre (…) et voilà que survint la guerre. " se souvient Jean-Paul, alors âgé de 39 ans. Il est aujourd’hui commercial pour une entreprise dans l’informatique, à Paris.
" On se souvient comment ça a commencé (…), mais on ne savait pas que ça allait devenir très grave ", confie Mawaheb, alors âgée de 21 ans et étudiante à Saïda. Âgée de 38 ans aujourd’hui, elle travaille à Paris depuis plus de dix ans, comme Accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH) au collège, au sein de l’Éducation nationale.

Le début des hostilités
Nour Lana explique qu’elle habitait à l’époque près de la banlieue sud de Beyrouth lorsque la situation a dégénéré. Selon elle, les choses y étaient " extrêmement violentes ". " Je me souviens de quelques horribles séquences que je visionnais à la télé en cachette en me mettant derrière le canapé de mes parents : destruction, mort, sang – je pleurais sans cesse en pensant à l’éventualité de quitter le Liban pour la France. Mais voir le Liban déchiré de cette manière, et le comprendre à 7 ans, était absolument horrible, " révèle la jeune femme.
" Dès les premiers jours, des gens qui fuyaient le sud sont venus à Saïda. Nous avons accueilli cinq familles de Bint Jbeil (…), et on dormait tous ensemble, par terre, sur les canapés, un peu partout. On allumait des bougies, on jouait aux cartes, on faisait le linge à l’ancienne dans les toshot (grande cuvette en plastique ou en étain) à la main… ", raconte de son côté Mawaheb. Cette dernière ajoute qu’à la moindre accalmie, " on allait à Saïda pour faire les courses ". " Dès qu’on entendait les MK (les drones, ndlr) on éteignait tout. On les voyait dans le ciel ", se souvient-elle.
" Les problèmes ont commencé dans le sud, puis se sont étendus dans la banlieue sud de Beyrouth. Mes parents habitent à Baabda, on entendait les bombardements ", confie Jean-Paul. Il rappelle que " tous les étrangers " ont commencé à prendre la fuite et que les États ont évacué leurs ressortissants. " On a commencé par appeler l’ambassade de France, mais elle a été très vite débordée ", poursuit Jean-Paul.

Partir ou rester, telle est la question
Depuis le domicile de ses parents, Jean-Paul s’organise avec sa famille pour tenter de quitter le pays au plus vite. " On continuait d’appeler l’ambassade de France. Toujours pas de réponse, ‘on vous rappellera' ", raconte-t-il. Il décide de partir de Baabda, afin de se rendre chez un ami dans le quartier d’Achrafieh, à Beyrouth. " Bien que la banlieue ouest de Beyrouth soit à feu et à sang, on avait un léger sentiment de sécurité. Et on disait ‘au cas où, on se rapproche de l’ambassade de France pour être évacué plus rapidement' ", ajoute-t-il. Il explique avoir " également sollicité l’ambassade du Danemark, puisque ma femme est danoise. " pour tenter de sortir du pays. Il n’en n’est rien.
Mais c’est finalement avec… les Italiens que Jean-Paul et sa famille parviennent à partir quelques jours plus tard. " On se rend pour l’ambassade d’Italie, non loin de Baabda, donc retour à la case départ. ", se souvient-il. Une fois à l’ambassade, quelques heures passent avant qu’un bus les emmène au port de Beyrouth, où un navire les attend. Jean-Paul le décrit comme s’appelant " Luigi Durand de la Penne. Un destroyer je pense. " Le bateau démarre ensuite plein gaz. Direction Chypre.
" On arrive à Chypre. On prend ensuite une navette pour aller à l’aéroport et trouver un vol pour Rome ". Une fois arrivé dans la capitale italienne, Jean-Paul explique que les Italiens avaient noté la nationalité danoise de son épouse avec enfants, et prévenu le consulat du Danemark à Rome. Le consulat " a envoyé deux personnes pour nous retrouver à l’aéroport de Rome, avec des petits drapeaux danois. Mon épouse leur indique alors, en larmes, qu’elle habite à Paris et qu’elle doit s’y rendre. Ils se sont bien occupés de nous, et nous ont aidé à trouver un vol pour Paris. On était arrivé chez nous dans la soirée. "
Mawaheb, elle, raconte ne pas avoir pensé à quitter le pays. " J’étais à l’Université Saint-Joseph à Saïda. Il me restait un an et demi pour finir et bien sûr on ne laissait pas nos parents tous seuls ". Elle confie par ailleurs qu’elle et sa famille sont restées amis avec les familles qu’elles avaient accueillies durant la guerre.
Nour Lana, elle aussi, est restée au Liban, avec sa famille. Elle est d’abord partie pour Tripoli, au nord, puis pour Ghazir, dans le Kesrouan, où, selon elle, une accalmie s’est installée quelques temps. Elle raconte : " J’avais l’impression qu’il ne se passait plus rien, sauf à la télé. Les choses avaient l’air de rentrer dans l’ordre dans mon imaginaire de petite fille ". L’accalmie aura duré jusqu’au 4 août, lorsque l’autoroute près du Casino du Liban a été bombardée. " Nous résidions 100 mètres plus loin. Nous avons failli mourir ce jour-là. Je me souviens de la détonation assourdissante de la bombe (…), des hurlements de ma mère, de la face livide de ma nounou, et de la panique de mon père qui ne savait plus comment réagir. Je pensais en réalité que nous étions tous morts et que ce que je vivais était une représentation de l’enfer ".

Nour Lana indique que sa fuite, avec sa famille, s’est achevée dans un village près de Kfour. " Le reste de l’été passé y était doux et calme ", se souvient-elle.