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La déclaration du Parlement Européen sur le Liban et les réfugiés, publiée le 12 juillet dernier, a suscité un tollé de protestations, la plupart émotives et ne découlant pas d’une lecture objective du texte européen. Une campagne maladroite anti-européenne a été menée tambour battant à Beyrouth suite à un tweet de Thierry Mariani, député européen du groupe d’extrême droite Rassemblement National, qui ne cache pas ses sympathies à l’égard de régimes autoritaires, populistes ou ultra-nationalistes, comme la Russie de Poutine et la Syrie de Bachar el-Assad dont il relaye, régulièrement, une propagande zélée. 

Un déluge de protestations outrées a déferlé sur le Liban, suite à un tweet de Thierry Mariani, député du Rassemblement National, au lendemain de la déclaration du Parlement Européen du 12 juillet dernier. Mariani condamne le texte, estimant qu’il constitue "une insulte aux Libanais et à leur avenir". Les Libanais ne lui avaient rien demandé. Le collègue de Mariani à Beyrouth, le député CPL Simon Abi-Ramia, prend le relais et annonce que ceci constitue "un appel implicite visant à implanter les réfugiés au Liban". La mèche était allumée. Le déluge anti-européen déferla sur les réseaux sociaux et les médias de toute obédience.

Thierry Mariani député européen membre du Rassemblement National

La majorité de ceux qui protestèrent, contre ce qu’ils pensaient être un souhait d’implantation des réfugiés, oublient que ce thème est le fonds de commerce du Hezbollah et de son allié d’extrême-droite le CPL. Ils oublient également que les déclarations du Parlement Européen n’ont aucun effet politique ou juridique. Les députés européens ont le pouvoir de voter le budget de la Commission de l’UE et de publier des déclarations qui n’engagent aucun des gouvernements de l’UE.

Quiconque a pris la peine de lire attentivement ce texte aurait pu faire les constats suivants :

Primo: Cette déclaration est faite au nom des groupes parlementaires suivants :

–    PPE (Démocratie Chrétienne) ; S&D (Social-Démocratie) ; ECR (Centre-Droit réformateur) ; Renew (Démocrates libéraux) ; The Left (Divers gauche) ; ALE (Écologistes-Verts). Aucun député des groupes d’extrême-droite et/ou populistes, comme le RN de Mariani, ne s’est associé à cette initiative.

Deuxio: Le texte lui-même de la déclaration comporte:

– 15 attendus préliminaires se référant à diverses résolutions, articles de loi et autres textes de référence.

–  20 alinéas d’un long préambule qui constituent, à eux seuls, un réquisitoire en bonne et due forme, contre la caste dirigeante libanaise et ses lamentables insuffisances, pour ne pas dire plus. Ceci devrait satisfaire les révoltés du 17 octobre 2019. Tous les forfaits qu’on reproche aux politiciens s’y trouvent soigneusement listés. On retient:  le blocage de tout processus démocratique par le trio Hezbollah-Amal-CPL. On note également qu’on accuse nommément "le régime de Bachar Al-Assad a lancé une campagne de répression brutale contre sa propre population, causant la mort de plus d’un demi-million de personnes et forçant près de la moitié des habitants à fuir […] que le Hezbollah a fourni une assistance et un soutien au régime". Un diagnostic exhaustif et précis de la situation libanaise est dressé. Les libanais devraient se déclarer satisfaits qu’une telle instance internationale prenne acte de leurs doléances légitimes, avant de lui faire un procès d’intention portant sur leur identité qu’elle mettrait supposément en danger.

– 16 articles de positions du Parlement Européen sur le Liban, notamment en matière de réfugiés syriens.

Terzio: Points essentiels du document

– Article1: "la situation actuelle du Liban est imputable aux acteurs politiques de la classe dirigeante et aux partis illégalement armés […] et demande leur désarmement.

– Article 5: "demande à l’Union européenne de proposer au Liban le déploiement d’une mission de conseil administratif intégral de l’Union afin […] de pallier la déliquescence accélérée de l’administration publique".

– Article9 : encourage les États membres de l’Union à aider les familles des victimes […] à étudier les possibilités d’engager des poursuites devant des tribunaux étrangers.

– Article 13 : L’article qui fait polémique selon la lecture de l’extrême-droite française et libanaise. Il n’est nullement question d’implanter qui que ce soit au Liban. Les déclarations du Parlement Européen n’ont strictement aucun effet juridique et politique en la matière. Tout ce que cet article dit c’est "que les conditions ne sont pas réunies pour un retour volontaire et dans la dignité des réfugiés dans les zones de conflit en Syrie". Par ailleurs, l’article 13 "se déclare préoccupé par la recrudescence des discours hostiles aux réfugiés de la part de partis politiques et de ministres libanais; demande instamment au Liban, […] de ne pas procéder à des expulsions, de ne pas imposer de mesures discriminatoires et de ne pas inciter à la haine". Nul au Liban ne peut nier cette évidence.

Quarto : Insuffisances de l’article 13

Cet article ne demande pas l’implantation des réfugiés syriens. Il appartient aux libanais, avec l’aide de l’UE, de gérer ce problème. Ce sont des Libanais qui ont aidé à expulser les Syriens de leur pays et qui ont, de ce fait, créé ce problème qui pèse lourd sur le Liban. La bonne gestion de ce drame permettra de ne pas perturber l’équilibre démographique libanais.

Par ailleurs, l’article 13 aurait pu ne pas se contenter d’inviter "la Commission à s’efforcer d’améliorer la situation humanitaire en Syrie afin de traiter les causes profondes de la crise des réfugiés". Les causes profondes, évoquées dans ce paragraphe, sont exclusivement politiques. Le document aurait pu pointer la dimension politique du problème des réfugiés comme il pointe la responsabilité du régime de Damas et de ses alliés (Hezbollah) au paragraphe "O" de son long préambule.

Cette triste affaire montre à quel point l’opinion publique libanaise, notamment chrétienne, demeure fragile face aux discours manipulateurs de l’extrême-droite européenne et libanaise. Il suffit d’agiter l’épouvantail de l’Autre pour ramener tout le monde dans l’enclos confessionnel, quitte à se brouiller avec le peu d’amis que le Liban conserve encore dans le monde, à cause précisément de la politique criminelle de sa caste dirigeante.

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