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La tentative avortée d’élire un président de la République le 14 juin dernier a abouti à une nouvelle/ancienne polémique tournant autour du "dialogue". Le tandem Amal/Hezbollah axe actuellement son discours politique sur le "dialogue" dans le but, affirme-t-il, de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le pays.

Or le "dialogue", dans sa conception politique libanaise, a déjà eu lieu à maintes reprises depuis 2006 avec des décisions prises et jamais appliquées du fait des retournements successifs du Hezbollah.

Une analyse des différentes conférences de dialogue de 2006 à 2015 montre comment le Hezbollah a réussi à contraindre les autres parties à discuter avec lui, à prendre des décisions consensuelles, ce qui ne l’a pas empêché de se retourner contre ces mêmes décisions.

La polarisation

L’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005 a créé un profond clivage entre deux camps au Liban. Le camp de ce qui était à l’époque le Rassemblement de Kornet Chehwan puis du Bristol (plus tard connus sous le nom du camp du 14 Mars), accusant la Syrie et l’Iran d’être les instigateurs de l’assassinat, et le camp pro-syrien (le 8 Mars).  L’approbation de la résolution 1595, prélude au Tribunal Spécial pour le Liban (appelé à établir les circonstances de l’assassinat de Rafic Hariri) approfondira davantage le clivage. Le 14 Mars voulait établir la vérité sur l’assassinat et utiliser ce tribunal comme instrument de pression sur la Syrie et l’Iran pour démanteler la milice armée pro-iranienne (le Hezbollah).

Le 12 décembre 2005, les ministres chiites du gouvernement annoncent leur démission en réaction à une décision du Conseil des ministres de donner son feu vert à la création d’un tribunal international pour le Liban.

Une polarisation s’impose alors au niveau de tous les aspects de la vie politique libanaise et c’est dans ce contexte que le président du Parlement, Nabih Berry, lance l’initiative du dialogue national pour sortir de l’impasse. Ces séances seront précédées de discussions bilatérales régionales avec l’Arabie Saoudite, parallèlement à la promesse du Premier ministre de l’époque, Fouad Siniora, que le gouvernement s’abstiendra de définir le Hezbollah comme une milice.

Ouverture de la première séance de dialogue national au Parlement le 2 mars 2006.

Première séance de dialogue depuis Taëf

La première séance de dialogue national s’est tenue au Parlement le 2 mars 2006 en présence de 14 leaders des partis politiques représentés au Parlement, triés sur le volet par Nabih Berry. Chaque politicien de "premier plan" était accompagné de deux "assistants". Les participants représentaient les principaux groupes politiques.  Mais le critère essentiel était d’avoir une représentativité dans le Parlement de l’époque. C’était une initiative informelle pour désamorcer les tensions. Pour la première fois depuis Taëf, les dirigeants libanais se réunissaient au Liban même, et le dialogue réussissait à créer un espace commun permettant aux blocs politiques de discuter de questions d’intérêt général.

À cette époque, les participants (de tous bords) n’entretenaient pas de bonnes relations avec le président de la République Emile Lahoud qui aurait dû être le lien entre les différentes parties. Le cadre du Parlement a été donc choisi pour se rapprocher le plus possible d’un contexte "constitutionnel" et surtout pour donner l’impression que la réunion se tenait entre représentants de la Nation et non pas entre chefs de guerre.

Le cadre était symbolique: une table ronde mettant tous les acteurs en situation d’égalité. À noter, que le dialogue de 2006 a été le seul au cours duquel le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah était présent personnellement. Cette situation d’égalité n’était qu’une fausse perception. Selon une personnalité présente à ces discussions, le leader des Forces libanaises Samir Geagea aurait affirmé à Hassan Nasrallah: "Nous sommes nominalement égaux, mais vous avez un poids plus important que les autres vu que vous avez votre revolver sur la table".

L’ordre du jour avait été fixé par Berry et comprenait les questions controversées, telles que la mise en place d’un tribunal spécial sur l’assassinat de Rafic Hariri, la question des armes palestiniennes en dehors des camps, la stratégie de défense (particulièrement les armes de Hezbollah), la résolution 1559 et la délimitation des frontières libano-syriennes, les fermes de Chebaa, les relations diplomatiques avec la Syrie, et la crise de la présidence (à l’époque, le mandat du président Lahoud, proche de la Syrie, avait été prorogé de 2004 – fin de son mandat – jusqu’en 2007 par un vote de 96 députés contre 29. La coalition du 14 Mars appelait à la démission du président Lahoud).

Durant la première séance en 2006, toutes les parties en présence ont présenté leur stratégie de défense qui était une des conditions requises pour leur participation. Seul le Hezbollah, s’en était abstenu. Les séances de 2006 ont aussi été les premières au cours desquelles le Hezbollah a parlé de "l’économie de la Résistance", économie d’autarcie découplée du système financier international.

Pas d’aboutissement

Toutes les décisions étaient prises par consensus. Le président Berry était arrivé à conserver une bonne relation avec les deux camps et sa position de président du Parlement, chiite, a réussi à lui accorder la confiance du Hezb.

Les sessions se sont poursuivies jusqu’en juillet 2006 Les résultats du dialogue se sont soldés par des déclarations sur quatre points : l’investigation sur l’assassinat de Rafic Hariri (qui aboutira à la création du Tribunal Spécial pour le Liban), les relations libano-syriennes, la question palestinienne et les fermes de Chebaa. Toutefois, aucune décision n’a été prise sur la question de la présidence, ni sur les armes du Hezbollah.

Selon l’ancien député Ahmad Fatfat, présent à ces séances, la démilitarisation des milices palestiniennes et la réorganisation des camps sous l’autorité des forces de sécurité avaient été décidées lors de l’une des séances de l’année 2006. Une fois la déclaration à la presse faite par M. Berry, un article est apparu dans le quotidien As Safir affirmant que l’atteinte aux armes des Palestiniens est une atteinte à la Resistance.

Cependant, aucune décision découlant des sessions de dialogue de 2006 ne sera mise en œuvre. Les quatre points approuvés au début du dialogue ne prévoyaient pas de mécanisme de mise en place. La conséquence sera l’essoufflement du processus une fois la guerre enclenchée.

La parenthèse de la guerre de 2006

Au début de l’été 2006, des évènements survenus à Gaza poussent les participants à la conférence de dialogue à se poser des questions sur de possibles problèmes à la frontière sud du Liban. Selon une personnalité présente à la conférence de dialogue de 2006, Hassan Nasrallah a fait une promesse claire, affirmant que le Liban serait tenu à l’écart des troubles et qu’il n’y aurait pas d’action au Sud pour mettre en péril le Liban. "Vous passerez un bel été, s’il y a des troubles, cela se passera à Chebaa et non pas à la Ligne Bleue", a déclaré le secrétaire général du Hezbollah le 28 juin, indique Ahmad Fatfat.

Il n’en demeure pas moins que le 12 juillet 2006, l’enlèvement par le Hezbollah de deux soldats israéliens au-delà de la Ligne Bleue provoque un casus belli claire et déclenche une guerre de l’État Hébreu contre tout le Liban : infrastructures et êtres humains.

Il n’y a jamais eu de réponses pour comprendre pourquoi, pour des raisons obscures, le Hezbollah s’est retourné contre sa promesse faite à la conférence de dialogue et a engagé le Liban dans une guerre destructrice et meurtrière pour le Liban.

Une théorie est révélée par Ronen Bergman, journaliste israélien, dans son livre La guerre secrète avec l’Iran où il avance l’hypothèse qu’en juin 2006 le Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que l’Allemagne ont lancé un ultimatum à l’Iran afin d’arrêter l’enrichissement de l’uranium le 12 juillet au plus tard. La réponse iranienne à l’ultimatum est venue par procuration.

Cette guerre qui durera 33 jours mettra une parenthèse aux efforts de Nabih Berry. L’impasse atteinte par les politiques libanais à l’issue de la guerre se poursuivra jusqu’en 2007.

Le 8 Mars n’a pas réussi à faire chuter le gouvernement de Fouad Siniora et à former un nouveau gouvernement au sein duquel il détiendrait le tiers de blocage. Le 8 Mars n’a pas non plus réussi à empêcher le vote de la résolution 1757 du conseil de sécurité de l’ONU qui crée le Tribunal Spécial pour le Liban (résolution qui sera adoptée le 30 mai aux Nations unies). Mais le gouvernement de Siniora est paralysé par le boycott des institutions libanaises par les forces du 8 Mars, ce qui risquait d’entraver l’élection présidentielle prévue pour septembre 2007.

Le dialogue de la Celle Saint-Cloud

Sous l’impulsion de la France et de son ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchener, une réunion est organisée les 14 et 15 juillet 2007 à la Celle Saint-Cloud, en France. Les parties en présence, une trentaine de délégués représentant les quatorze principaux partis et courants politiques, essaient de dialoguer au sujet de l’impasse institutionnelle dans laquelle est plongé le pays.

Le dialogue de la Celle Saint-Cloud était biaisé, selon Ahmad Fatfat. "Le premier objectif de la France était d’introduire le Hezbollah en Europe afin de banaliser sa présence", précise-t-il, avant d’ajouter : "La séance qui a suivi et qui s’est déroulée à Beyrouth à la Résidence des Pins était uniquement une affaire diplomatique". Les représentants ont été invités à la résidence de l’ambassadeur de France pour prendre une photo avec M. Kouchener et puis ils sont rentrés chez eux.