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Le mandat du président Émile Lahoud arrive à expiration en novembre 2007, mais le Hezbollah et Michel Aoun empêchent la tenue d’une élection présidentielle. Les affaires courantes sont gérées par le gouvernement de Fouad Siniora (en manque de représentation chiite) qui adopte deux décrets rejetés par le tandem Amal/Hezbollah et leurs allies chrétiens du Courant patriotique Libre.

Des miliciens du Hezb et leurs alliés prennent le contrôle de la capitale le 7 mai (et de la Montagne où ils ont été repoussés) et forcent le gouvernement à revenir sur ses décisions du 5 mai. Un cessez-le feu est négocié par le Qatar et la Ligue arabe le 15 mai. S’en suivra une nouvelle conférence de dialogue national libanais à Doha au Qatar, du 16 au 21 mai, qui s’est tenue à l’ombre des armes de la milice pro-iranienne. Fouad Siniora, Premier ministre sortant, ne voulait pas s’y rendre, arguant du fait que l’équilibre des forces était rompu. "C’est pour cela qu’à une heure du vol pour Doha, il n’avait pas encore pris sa décision", indique Ahmad Fatfat à Ici Beyrouth.

Les participants à la conférence de Doha décideront d’élire le commandant en chef de l’armée Michel Sleiman à la présidence de la République, d’organiser les élections législatives, de former un gouvernement de coalition et de poursuivre le dialogue national sous l’égide du nouveau président.

L’accord de Doha, avalisé par la communauté internationale, parviendra à briser une crise politique de 18 mois et à stopper une série d’assassinats politiques visant des personnalités du 14 Mars. Cet accord mettra fin aussi au sit-in de plusieurs mois organisé par le 8 Mars dans le centre-ville de Beyrouth. Mais il établira le principe du "tiers de blocage" qui constituera une nouvelle interprétation de Taëf, marquée par l’idée d’une "fédération" de communautés au sein du gouvernement, accordant un droit de veto à chaque groupement de communautés, et provoquant de ce fait un dysfonctionnement au niveau des cabinets successifs après Doha.

Parallèlement, les parties en présence s’engageront, en vertu de cet accord, "à ne pas démissionner ou entraver le travail du gouvernement".

En 2008, après son élection, Michel Sleiman établira l’élément principal de son agenda du dialogue: "La stratégie de défense". C’est un terme minutieusement élaboré, "accepté" par le Hezbollah, mais qui a provoqué un quiproquo, le parti chiite arguant du fait que le terme n’englobait pas ses armes, alors que pour le camp du 14 Mars la "stratégie de défense" impliquait nécessairement de poser le problème de l’arsenal du parti pro-iranien.

Le dialogue fut gelé en 2009 afin de préparer les élections législatives et il sera relancé en 2010, étalé sur cinq sessions durant lesquelles les deux camps se disputaient l’agenda des discussions. Le 14 Mars voulait se concentrer uniquement sur la stratégie de défense, laissant les questions économiques au gouvernement. Le 8 Mars, en revanche, voulait discuter de sujets tels que les fermes de Chebaa et la présence armée palestinienne hors des camps, histoire de noyer le poisson.

La politique de distanciation

Le dialogue reprit en 2010 sous la présidence de Michel Sleiman au lieu de Nabih Berry, lequel avait retiré sa casquette de "médiateur" (comme en 2006) pour devenir représentant de son camp politique.

Contrairement au dialogue de 2006, les délégués étaient assis à une table rectangulaire avec le président de la République en tête de table.

Michel Sleiman modérait le dialogue tel qu’établi par l’accord de Doha, mais son statut d’ex-commandant en chef de l’armée, dont la nomination à ce poste avait été "inspirée" par la Syrie, n’inspirait pas le même respect à tous les participants.

Les deux blocs protagonistes ont boycotté ces séances, chacun à son tour, à différents stades du dialogue. Le Hezbollah protestait contre les tentatives de discuter de ses armes et le 14 Mars accusait, à juste titre, le parti pro-iranien de prendre des décisions de guerre et de paix en marge des institutions de l’État (à cette époque la guerre en Syrie commençait à s’étendre).

C’est aussi à cette époque qu’a eu lieu le "coup d’État des chemises noires", en janvier 2011, avec la démission d’un tiers des ministres – plus un, relevant de la part ministérielle du président Sleiman – alors que le Premier ministre Saad Hariri se trouvait en dehors du Liban (au Bureau Ovale de la Maison Blanche, plus exactement). Ce sera la deuxième volte-face du Hezbollah contre un accord que ses représentants avaient signé eux-mêmes à Doha, s’engageant à ne pas démissionner du gouvernement.

C’est sur cette base que le dialogue sous la houlette présidentielle a culminé avec l’adoption de la "Déclaration de Baabda", le 11 juin 2012, appelant à dissocier le Liban des problèmes en Syrie. La Déclaration comprend 17 points dont les grandes lignes prévoient de "tenir le Liban à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux, de manière à lui éviter les répercussions négatives des crises et des tensions régionales". Une autre clause souligne l’engagement à "respecter les résolutions internationales, y compris la 1701", et également à "ne pas permettre l’utilisation du territoire libanais comme lieu de passage pour le traffic d’armes et de combattants".

Par la suite, presque immédiatement, le Hezbollah a renié l’accord, le déclarant "mort-né". L’accord de Baabda n’a jamais été appliqué: ce fut le troisième retournement du parti pro-iranien contre un document qu’il avait adopté et signé. De ce fait, il a poursuivi sa politique d’ingérence dans la guerre en Syrie.

Il y aura deux autres sessions de dialogue: l’une en 2014 sous l’égide de Michel Sleiman ; une autre en 2015 sous celle de Nabih Berry, axée sur l’élection d’un chef de l’État et l’application de certaines clauses de l’accord de Taëf, dont la création d’un Sénat et la déconfessionnalisation politique.

Au cours de ces sessions de 2015, le Hezbollah a tenté de définir les spécificités du président de la République de façon à privilégier son candidat, Michel Aoun. Dans le cas de cette session, il n’y a pas eu de retournement de la part du parti chiite car aucune décision n’a été prise par les participants, selon une personnalité présente lors de ces discussions.

Dialogue et fait accompli

Malgré l’apparence de la nécessité de se réunir dans le cadre d’un dialogue dans les situations critiques et le fait que cela représente une structure permettant de réduire le clivage, les thèmes abordés tout au long de la période mentionnée sont restés sans issue.

Le fait pour le Hezbollah de participer à toutes ces conférences de dialogue successives, ainsi que la "raison d’être" du dialogue qu’il essaye d’imposer actuellement, s’expliquent par une volonté de sauver les apparences pour ce qui a trait au respect de l’accord de Taëf. Mais la modification de facto de la teneur de cet accord est en train de se faire dans la pratique et dans le fait accompli imposé au niveau de l’équilibre des pouvoirs.

Les retournements successifs dans les sessions de dialogue de 2006 à 2015 prouvent qu’il n’a aucun autre objectif que celui d’imposer ses propres choix.