"Ma mission se termine le 31 juillet. Je n’accepterai aucune extension technique. Je tourne la page."

Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé est catégorique: il ne sera plus à la tête de la Banque centrale mardi matin après avoir occupé ce poste les trente dernières années. Au cours d’un entretien avec notre consœur Roula Haddad, le gouverneur a souligné qu’au "cours de ces trois décennies, la banque centrale a contribué durant 27 ans à la croissance de l’économie, à la stabilité monétaire, à un produit intérieur brut de 55 milliards de dollars et à 170 milliards de dépôts bancaires".

A cinq jours de la fin de son mandat, Riad Salamé a défendu ses initiatives monétaires, notamment depuis le début de la crise de 2019, affirmant que celles-ci "ont permis d’atténuer les effets négatifs, et de faire croître l’économie du pays de 2% en 2022 et de plus de 2,5% en 2023 selon les prévisions."

Alors que le pays retient son souffle de peur que la Banque du Liban se retrouve sans capitaine et sans cap, le gouverneur a affirmé "que le pays est à la croisée des chemins en l’absence de successeur". Et d’ajouter: "Il y a actuellement des vice-gouverneurs et notamment, un premier vice-gouverneur, et eux doivent prendre le contrôle de l’institution. Nos relations sont basées sur l’estime mutuelle, même si nous avions des divergences au cours des réunions du Conseil central. Mais notre principale préoccupation était de donner au Liban ce que nous pouvions."

Concernant la crise actuelle des vice-gouverneurs, Riad Salamé précise qu’elle est liée à leurs demandes, "notamment une couverture légale de leurs actions et l’utilisation des réserves obligatoires de la BDL."

Les politiques du gouvernement sont le problème

Tout au long de l’entretien télévisé, Riad Salamé a justifié, preuves, chiffres et documents à l’appui, les décisions prises par la Banque du Liban. "La Banque du Liban est toujours debout, malgré toutes les campagnes diffamatoires de ces trois dernières années", a-t-il martelé. Et de poursuivre: "La BDL fait ce qu’elle peut mais elle n’a pas d’autorité exécutive. J’ai demandé à l’État de réglementer les transferts à l’étranger, dont le montant n’a pas dépassé le milliard de dollars en contrepartie de quatre milliards transféré vers le Liban au cours de la même période. Nous aurions pu réguler ces transferts si cela nous avait été permis."

Le gouverneur a également critiqué la décision du gouvernement de Hassane Diab de ne pas rembourser les dettes de l’État et de faire défaut sur sa dette publique en mars 2020 pour la première fois dans l’histoire du Liban. "C’est cette décision, fortement appuyée par le Courant patriotique libre de Gebran Bassil, qui a provoqué l’effondrement de la livre libanaise", a-t-il précisé. Et le gouverneur d’ajouter: "La population doit savoir que la Banque du Liban a effectivement perdu de l’argent, mais ce sont des lois votées au Parlement qui justifient ces pertes. La BDL n’a pas pris l’argent des déposants. "

Riad Salamé a souligné avoir personnellement demandé, au cours d’une réunion avec le Fonds monétaire internationale (FMI), l’amendement de l’article 191 du Code de la Monnaie et du Crédit qui permet à l’État de s’endetter auprès de la BDL. "C’est la première étape de réformes sérieuses pour redresser le pays, parce que l’État, au fil des années, est devenu dépendant de la Banque centrale pour gérer le secteur public. Dès 2012, j’ai présenté une liste de réformes au gouvernement, mais la décision n’était pas entre mes mains", a-t-il dit.

Répondant aux accusations du chef du CPL, Riad Salamé a affirmé que la Banque du Liban n’a fait que traiter les résultats des politiques du gouvernement qui avaient notamment conduit à un déficit dans le secteur de l’électricité. Le ministère de l’Énergie a pris 25 milliards de dollars à la Banque du Liban pour le dossier de l’électricité au cours des 10 dernières années. Pour rappel, ce ministère est aux mains du CPL depuis une quinzaine d’années, et entre celles de Gebran Bassil (sous le coup de sanctions américaines pour corruption) entre 2011 et 2014.

Le gouverneur a en outre précisé que les "subventions aux produits de première nécessité, qui a coûté 7,5 milliards de dollars, relevait également de la responsabilité du gouvernement, tout comme les hausses de salaires votées et décidées". Rappelons que le ministre de l’Économie dans le gouvernement de Hassane Diab, Raoul Nehmé, un proche de Gebran Bassil, avait dressé lui-même une liste de plusieurs centaines de produits à subventionner, dont des cacahuètes de luxe, en omettant certains produits de première nécessité, comme les serviettes hygiéniques.

Concernant la dollarisation de l’économie, Riad Salamé a fait valoir que c’est "une décision du gouvernement qui a permis l’affichage des prix en dollars et son utilisation sur le marché libanais".

"La plateforme Sayrafa est positive pour l’économie"

Abordant la question de la plateforme d’échange Sayrafa que souhaitent abolir certains vice-gouverneurs, Riad Salamé a affirmé que l’objectif de la plateforme était de permettre à la Banque centrale d’avoir un rôle dans cette économie du cash, et d’assurer une transparence dans les transactions en dollars. Selon lui, la Banque du Liban a réussi à être un acteur-clé sur le marché monétaire et à le réguler, et le citoyen ainsi que le secteur public en ont bénéficié grâce à la dollarisation des salaires et pensions. Et de poursuivre: "Sayrafa a contribué à la croissance économique et a profité à un grand nombre de personnes, et il n’y a aucune raison qu’elle soit accusée de faciliter le blanchiment d’argent. La plateforme Sayrafa est positive pour l’économie. Le solde des réserves obligatoires de la BDL est positif, atteignant les 14 milliards 305 millions de dollars, sans compter les réserves d’or."

En ce qui concerne le projet des vice-gouverneurs visant à créer une plateforme alternative, Riad Salamé a estimé que la création d’une telle plateforme sans l’intervention de la Banque du Liban prendrait du temps. Il a insisté pour que la Banque du Liban reste sur le marché car il n’y a pas d’offre de dollars mais de la demande qui menace la livre libanaise. Il a souhaité qu’il n’y ait pas de perturbations sur le marché après son départ, et que les mécanismes qui ont contribué à la stabilité du marché continuent à rester en place. "A mon avis, la Banque centrale doit continuer à intervenir sur le marché afin de limiter les fortes fluctuations de la livre" a-t-il précisé, tout en soulignant que la "décision de stabiliser la livre libanaise est une décision de l’État, pas de la Banque du Liban."

Il a par ailleurs réfuté les accusations de manipulation de marché, précisant "qu’il n’avait pas une bande de jeunes à motos qui ramassaient les dollars du marché" dans une pique implicite au Hezbollah.

Négociations interrompues avec le FMI

Le gouverneur a d’autre part souligné que les négociations sont interrompues avec le FMI, mais que la BDL avait accompli tout ce que lui était demandé, "allant de l’audit de ses actifs à la mise en œuvre des réformes bancaires". "Même le vice-Premier ministre Saadé Chami, en charge du dossier, n’arrive pas à relancer les négociations et à mettre en œuvre les réformes demandées", a-t-il confié.

Concernant la polémique au sujet du rapport du cabinet d’audit Alvarez & Marsal, il a souligné qu’il n’était pas demandé par le FMI, mais par le gouvernement libanais. Et d’ajouter: "J’ai reçu une copie du ministère des Finances, ce n’est pas un rapport, mais un projet de brouillon."

Secteur bancaire et dossiers judiciaires

En réponse à une question concernant les dépôts bloqués dans les banques commerciales, Riad Salamé a affirmé "qu’ils ne sont pas à la Banque centrale" et "que 30 milliards de dépôts en dollars ont déjà été récupéré par les déposants depuis 2019". Et de poursuivre: "Il y a une différence dans les comptes de 71 milliards de dollars. Il faut étudier les dépôts et décider lesquels peuvent être payés en dollars et ceux qui peuvent être payés en livres libanaises. L’augmentation des fonds propres des banques est important. Mais il faut aussi des liquidités, et surtout un plan complet de l’État pour le secteur bancaire. Ensuite, chaque banque pourra évaluer ses capacités à continuer ses activités ou pas.

Riad Salamé est également revenu sur les différentes enquêtes et accusations qui le visent au Liban et à l’international. Il a affirmé que toutes les "fuites, en particulier à l’étranger, étaient le résultat d’un groupe qui me ciblait et qui a engagé un avocat, William Bourdon, lequel a présenté un rapport mensonger sur lequel il s’est basé pour déposer des plaintes à mon encontre". Il a démenti toutes les accusations portées contre lui, affirmant que les enquêtes encore en cours sont accompagnées de campagnes médiatiques pour faire pression sur les instances juridiques.

Il a affirmé ne pas avoir comparu devant la justice française comme l’a fait la directrice de la BDL Marianne Hoyek "parce que je n’ai pas été correctement notifié". Et d’ajouter: "Mon avocat en France a demandé à la juge Aude Buresi de me notifier formellement, mais elle a refusé et a demandé un mandat d’arrêt international. Nous sommes toujours dans la phase d’enquête en Europe, et il n’y a pas de poursuites judiciaires. Si j’avais été dûment notifié, j’aurais comparu devant le tribunal. Je suis prêt à aller en Suisse pour être interrogé. Et je n’ai aucun problème à me présenter devant la justice libanaise.

À la fin de l’interview, Riad Salamé a insisté sur le fait que la compagnie " Forry n’a reçu aucune somme d’argent de la Banque du Liban ", lorsqu’il a été interrogé sur les liens entre la BDL et la société financière de son frère Raja Salamé. Il a également démenti les allégations concernant une prétendue relation avec Marianne Hoyek. " Mme Hoyek n’a pas bâti sa fortune grâce à la Banque centrale ou à moi. Elle a entrepris des projets importants à la BDL, ce que le Fonds monétaire international a reconnu, et ma relation avec elle est purement professionnelle " a-t-il conclu.

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