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La troisième commémoration de l’explosion apocalyptique du 4 août 2020 est marquée, comme ce fut le cas lors des deux années précédentes, par l’obstruction délibérée du processus de l’enquête. Un blocage savamment orchestré, sans scrupules et sans vergogne, par ceux qui ont visiblement quelque chose à se reprocher. Sinon, pourquoi se livreraient-ils à un tel torpillage? En exerçant (très) ouvertement des pressions pour stopper l’investigation, le Hezbollah a apporté de l’eau au moulin de tous ceux qui lui font assumer une grande part de responsabilité dans la tragédie du 4 Août. 

À l’instar de l’œil qui regardait Caïn blotti dans sa tombe, la quête de la vérité et la détermination des familles des victimes à obtenir que justice soit faite continueront à harceler la conscience des responsables locaux du drame, aussi "divins" soient-ils. Mais encore faut-il qu’ils aient un brin de conscience pour admettre l’ignominie de ce qu’ils ont provoqué. Car ce qui s’est produit en ce funeste 4 août n’est rien d’autre qu’un "crime contre l’humanité" dont se sont rendus coupables ceux qui ont planifié, organisé et couvert l’importation du nitrate d’ammonium, son entreposage au port de Beyrouth, et son utilisation à des fins très peu pacifiques… Ceux-là mêmes qui contrôlaient totalement, sur le plan sécuritaire, l’enceinte portuaire pendant plusieurs années.

Ce cataclysme qui a dévasté nombre de quartiers de la capitale, provoquant en quelques instants plus de 230 morts et 6000 blessés, est caractéristique de la ligne de conduite de la faction qui perçoit le Liban comme une simple case, ou un petit pion, sur un vaste échiquier régional aux commandes d’une puissance lointaine très peu soucieuse du bien-être et des intérêts primordiaux de la population libanaise. Et pour servir la stratégie expansionniste de ce pouvoir théocratique, le chemin le plus court est la déconstruction programmée du système, des structures et institutions en place, dans le fol espoir de substituer un ordre par un autre. Au plan purement sécuritaire, tous les coups sanglants sont ainsi permis, sans état d’âme. Le 4 Août en est l’exemple le plus frappant. Les victimes, les blessés atteints au plus profond de leur corps et de leur âme, les traumas collectif et individuel, les impacts psychologiques, surtout sur les enfants, la dévastation, les destructions massives d’habitations et d’entreprises, ne sont que des dommages collatéraux aux yeux du "pouvoir divin"!

Ce que cette tragédie a aussi illustré, c’est le caractère fallacieux d’une prétendue coexistence possible entre l’État et un mini-État milicien. Surtout lorsque ce mini-État de facto se place aveuglément au service commandé d’une puissance régionale. On se retrouve auquel cas dans une situation d’occupation camouflée, par proxy, par faction locale interposée.

Ce dernier cas de figure est apparu dans plus d’un pays: en Irak, avec la "mobilisation populaire" (en-hachd el-chaabi), au Yémen avec les houthis, en Syrie par le biais de milices chiites importées des quatre coins de la région, et évidemment au Liban avec le Hezbollah. Le point commun de ces diaboliques expériences est la tentative de légaliser et d’institutionnaliser une telle dualité au sommet du pouvoir. C’est chose faite en Irak avec la "mobilisation populaire". Telle est l’ambition, chimérique, du Hezbollah au Liban.

Un autre dénominateur commun de ces vagues théocratiques télécommandées par Téhéran est la déliquescence rampante de l’autorité centrale, avec comme corolaire une dégradation lente mais régulière des conditions de vie et du bien-être de la population, accompagnée d’atteintes sans limites aux libertés et à la dignité de l’individu. Le tout enrobé d’un climat d’insécurité et de terreur permanentes.

Le combat initié, au Liban et à l’étranger, par les familles des victimes pour faire éclater toute la vérité sur la tragédie du 4 Août, malgré les obstacles internes dressés par ceux qui ont tout à se reprocher, est appelé, certes, à se poursuivre. Mais il devrait bénéficier surtout d’une solidarité et d’une implication accrues de la collectivité. Car en définitive, c’est une certaine vision de la vie, du Liban, et de la place de l’Homme en société qui est aujourd’hui en jeu dans cette quête de justice menée depuis trois ans. Cette lutte ne saurait, ne doit pas, s’essouffler… La situation dégradante dans laquelle se débattent désespérément les pays voisins tombés sous la tutelle ne nous laisse pas le choix…