" Le mieux est l’ennemi du bien "

Devenue la revendication des familles des victimes, " Nos fêtes sont devenues des enterrements ", dit Rima Zahed leur porte-parole , ce serait une grave erreur de lancer la reconstruction du port avant de connaître la vérité sur cette tragédie nationale du 4 août. Ce qui pourrait être une " guérison " de cette plainte restée béante, de ce deuil impossible sera une raison de plus de refouler la non-vérité libanaise. Au cas où la reconstruction aurait lieu avant.

J’emploie cette expression de non-vérité libanaise pour désigner le mal dont nous souffrons depuis la guerre civile. C’est devenu une évidence que la vérité n’est jamais connue au Liban. Même le verdict du Tribunal spécial pour le Liban sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri semble avoir répondu à la raison d’État, " la montagne accouchant d’une souris ". D’ailleurs, reconstruire le port avant de connaître la vérité aurait les mêmes conséquences que le geste criminel qui a suivi le 14 février 2005, l’effacement des traces de l’attentat et donc des preuves.

La volonté des Libanais de connaître la vérité est aujourd’hui un combat qui a plus de chances d’aboutir. La détermination des familles de victimes, celle de la communauté des juges de ne pas dessaisir Tarek Bitar, est un signe qui ne trompe pas. L’espoir d’une renaissance du Liban est beaucoup plus présent que jamais. L’opposition du tandem chiite n’en est que la preuve flagrante, les risques pris qui ont conduit aux événements de Tayyouné en témoignent. De même, saboter les réunions du Conseil des ministres à cette même fin, écarter le juge Bitar indique que le tandem chiite ne répond pas à une nécessité libanaise, mais à un agenda politique étranger, celui de l’Iran. La renaissance du Liban grâce à la connaissance de la vérité est ce qu’il faut absolument éviter, ce à quoi s’emploie de toutes ses forces le Hezbollah.

Comme l’ont montré les commissions vérité, pardon et réconciliation en Afrique du Sud, entre autres, la connaissance de la vérité entraîne automatiquement le pardon des parents de victimes. Comme j’ai eu l’occasion d’en parler auparavant, le pardon devient facile parce que le deuil, suspendu jusque-là, devient possible. L’agressivité tournée vers les coupables revient au mort.

Le plus difficile à accepter dans le deuil tient à l’agressivité qu’on a envers le mort. Pas de deuil sans cette agressivité. Lorsque notre mort a été l’objet d’un attentat, d’une mesure de rétorsion politique, d’un enlèvement, on en veut à l’agresseur, au meurtrier, au tortionnaire. Tant qu’on leur en veut, on ne peut pas en vouloir à notre mort qui garde alors le statut de victime. On ne peut pas en vouloir à une victime. Dès que l’on connaît l’identité du ravisseur, du tortionnaire, du tueur, on cesse de lui en vouloir et on en veut alors au mort d’être mort et de nous avoir abandonné. Le deuil est devenu possible. D’où la facilité du pardon. Ce qu’a démontré l’expérience en Afrique du Sud.

La vérité guérira les Libanais, ce qui est plus important aujourd’hui que la reconstruction du port. Cette dernière viendra en son temps.