Écoutez l’article


Face à une année sans Président et malgré les efforts du groupe des Cinq, les pourparlers parlementaires restent dans l’impasse. Cette crise menace les réformes cruciales pour l’économie et le bien-être social. Dans cette conjoncture, l’impact du troisième Président libanais (1958-1964), Fouad Chehab, et de son héritage politique, le chéhabisme, mérite d’être souligné. Adel Hamiyeh, ex-ministre et actuel président de la fondation Fouad Chehab, nous livre son analyse.

Adel Hamiyeh – Ancien ministre et Président
de la Fondation Fouad Chehab

La mémoire de Fouad Chehab, président libanais de 1958 à 1964, perdure, soutenue par la fondation qui porte son nom. En une présidence de six ans, il a tenté d’ériger les fondements d’un État robuste, moderne, avec des institutions visant à atténuer les clivages communautaires. Surnommé ‘Père de l’armée nationale’, Chehab demeure ce leader visionnaire dont l’intégrité et le dévouement ont marqué le Liban. Il a  voulu que les appartenances nationales transcendent les appartenances communautaires. Adel Hamiyeh souligne : “Il était inébranlable face aux préjugés communautaires.”

Alors que la corruption préoccupait peu ses contemporains, Chehab y voyait un obstacle au développement et un danger pour la cohésion sociale. Malgré un Liban encore jeune dans sa souveraineté, Chehab a lancé des réformes majeures. Parmi ses créations institutionnelles : l’Inspection Centrale, la Sécurité Sociale, la Banque Centrale, et bien d’autres. En seulement une année de mandat, il a instauré 162 décrets-lois, modernisant radicalement l’appareil administratif libanais.

Ce qui distingue surtout Chehab, c’est son attachement profond à la Constitution libanaise, qu’il surnommait affectueusement ‘le Livre’. Adel Hamiyeh, remémorant cette anecdote, souligne que pour un homme de foi comme Chehab, cette appellation est révélatrice de l’estime immense qu’il portait au document fondateur de 1926.

Bien des dirigeants auraient succombé à l’attrait du pouvoir prolongé. Pourtant, en 1964, quand des députés souhaitaient amender la Constitution pour lui offrir un second mandat, Fouad Chehab décline. Un autre acte révélateur de sa personnalité est sa tentative de démission en 1960. Il déclare alors : “J’ai mis le train sur les rails… J’en ai assez de ces manœuvres politiques égoïstes” et soumet sa démission. Le même jour, une foule venue de tout le Liban se rassemble devant sa résidence à Jounieh, le suppliant de rester. Touché, il la retire le soir venu.

Cet épisode illustre son désintéressement et l’admiration du peuple libanais à son égard. Son intégrité, son altruisme et sa vision d’un Liban uni sont des enseignements précieux pour les générations d’aujourd’hui.

Alors que le Liban est secoué par des crises successives, la vision et l’intégrité de Chehab apparaissent comme une boussole nécessaire. Sa philosophie, éloignée des querelles confessionnelles, devrait être un modèle pour les dirigeants actuels. Le chéhabisme, tel qu’illustré dans le tableau de Marwan Harb[1] ci-dessus, pourrait s’avérer être le guide dont le pays a besoin.


[1] Le Chéhabisme ou les limites d’une expérience de modernisation politique au Liban ; 2007 ; Mémoire de Marwan Harb à l’Université Saint-Joseph, sous la direction de Georges Corm.