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Le parallèle est frappant, évident, mais il mérite d’être mis en évidence… En 2006, sur la scène libanaise, le 14 Mars avait réussi, dans le sillage de la Révolution du Cèdre, à créé une dynamique libaniste – que l’on qualifierait aujourd’hui de souverainiste – sous la conduite d’un gouvernement présidé par Fouad Siniora (l’aile dure du Courant du futur) au sein duquel le tandem Hezbollah-Amal était minoritaire, marginalisé.

À l’époque, le courant du 14 Mars illustrait dans la pratique, au niveau populaire surtout – facteur fondamental, dans une perspective historique – un élan transcommunautaire qui avait pour fondement un projet d’édification d’un État central fort, rassembleur. Le slogan majeur des souverainistes était Le Liban d’abord… Une (très) dangereuse antithèse pour le projet régional des Gardiens de la Révolution iranienne, porté à bout de bras sur le petit échiquier local par la tête de pont des pasdaran aux frontières d’Israël.

Jusqu’à l’été 2006, et en dépit de la série d’assassinats politiques qui ont suivi le funeste 14 février 2005, cette dynamique libaniste était solidement en marche et rien ne semblait pouvoir la contenir, la juguler. Tout le monde se souvient des larges assises politiques regroupant les dirigeants des Forces libanaises, des Kataëb, du Pati national libéral, de personnalités chrétiennes libérales, aux côtés des leaders sunnites et druzes, de pôles d’influence de la gauche éclairée – la fameuse Gauche démocratique, Georges Haoui en tête, ancien chef emblématique du Parti communiste, qui avait courageusement initié au sein de la gauche libanaise une importante autocritique, rejoignant pour l’essentiel, avec le Parti socialiste progressiste, les thèses souverainistes des partis chrétiens.

Pour la première fois de son histoire contemporaine, le Liban était ainsi le théâtre d’une puissante dynamique plurielle, dépassant les barrières psychologiques communautaires, visant à édifier, tout simplement, un État central fort et rassembleur. Pour les tenants de l’aile radicale du régime des mollahs iraniens, il fallait sans tarder briser cette dynamique avant qu’elle ne consolide trop fortement son enracinement sur le terrain et au niveau du pouvoir. Quoi de mieux qu’une "bonne guerre" avec Israël pour atteindre cet objectif stratégique? L’attaque du 12 juillet 2006 lancée par le Hezbollah contre Israël, en s’infiltrant en territoire israélien, parviendra effectivement à stopper net, au profit du projet des pasdaran, l’élan d’édification d’un État libanais digne de ce nom. Le coup d’envoi d’une diabolique stratégie de déconstruction, de longue haleine, du système et des secteurs vitaux libanais était ainsi donné afin d’inverser la forte dynamique souverainiste.

Le contexte actuel au Moyen-Orient est marqué par une situation quelque peu similaire à celle du Liban en 2006, mais à une échelle régionale beaucoup plus stratégique. La dynamique de normalisation avec Israël enclenchée par les Accords d’Abraham, qui ont abouti à la signature d’accords de paix avec plusieurs pays arabes, plus particulièrement avec des États du Golfe, était sur le point d’être couronnée par une entente et des relations historiques entre l’État hébreu et l’Arabie saoudite.

Un nouveau rapport de forces, voire un nouveau et vaste projet politico-économique (qui n’est pas sans rappeler ce que prônait Shimon Pérès), émerge ainsi au Moyen-Orient. Un projet d’une grande ampleur qui est, à l’évidence, l’antithèse des visées hégémoniques régionales des Gardiens de la révolution iranienne. Pour stopper net cette dynamique, quoi de mieux qu’une "bonne guerre" avec Israël, comme au Liban, en juillet 2006?  

Est-ce à dire que la dynamique en question est durablement remise en question par l’attaque lancée le 7 octobre par le Hamas (qui n’a rien d’une "attaque surprise", au vu des préparatifs, des moyens et des effectifs humains énormes mis en œuvre, et qui pouvaient difficilement passer inaperçus)? Rien n’est moins sûr… De très, très, gros intérêts économiques et financiers sont en jeu à l’échelle de toute la région, avec les retombées indirectes au-delà du Moyen-Orient. L’élan de normalisation avec Israël sera sans doute freiné et quelque peu retardé, mais de là à dire qu’il sera carrément stoppé, ce serait aller un peu trop vite en besogne.

Les cas de figure de 2006 au Liban et de 2023 à Gaza – et bien avant cela l’assassinat de Yitzhak Rabin en Israël – illustrent les dangers et la capacité de nuisance de certaines parties, surtout régionales, dont la ligne de conduite se limite à une vision obscurantiste et rétrograde du sort de la région. Aujourd’hui, le Moyen-Orient, et avec lui le Liban, se trouve devant une réelle, et historique, opportunité de construire un avenir qui puisse mettre un terme à plusieurs décennies de ténèbres. Même les "obscurantistes de service" devraient en prendre conscience. Car il y va, en définitive, du bien-être de toutes les populations de cette partie du monde. À commencer par celle de Gaza. Mais cela, les idéologues de Téhéran n’en ont visiblement pas cure…  

 

 

 

 

 

 

 

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