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L’ancien leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt n’a pas été dans la nuance en réclamant sans détour que les groupuscules palestiniens armés qui ont repris du service au Liban-Sud, en jouant à la guerre et en se livrant à des gesticulations miliciennes dans l’espace public, soient placés sous le contrôle direct du Hezbollah.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, dira-t-on. Sauf que sous le poids d’un excès de réalisme – ou plutôt de soumission au fait accompli – le pays risque de glisser lentement et progressivement vers une situation de type "Fatehland". Cette région méridionale, dans le Arkoub, était dans les années 1970 et jusqu’en 1982 sous la coupe totale des organisations palestiniennes qui imposaient leur loi, allant même jusqu’à s’arroger le droit de se comporter comme un État dans l’État.

La petite phrase lancée par M. Joumblatt a pour malheureux effet de compléter le sombre tableau dépeint déjà avant lui, il y a quelques jours, par le Premier ministre sortant Nagib Mikati et le chef de la diplomatie Abdallah Bou Habib. M. Mikati a affiché publiquement, sans nuance aucune, l’impuissance totale de l’Exécutif face aux développements en cours au Sud, relevant en toute franchise que la décision de guerre et de paix n’est pas entre les mains du gouvernement (ce que nul n’ignore). Quant à notre ministre des Affaires étrangères, il devait parachever l’aveu d’impotence exprimé par M. Mikati en insinuant qu’il s’employait à "convaincre" le Hezbollah de ne pas se lancer dans une escalade à la frontière sud.

Ces malencontreuses déclarations publiques reviennent à faire ouvertement le constat de la déliquescence totale et profonde qui frappe l’État libanais. Dans les faits, les "dirigeants" officiels ont sonné ainsi le glas de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité qui était en quelque sorte la garante de la stabilité le long de la frontière avec Israël. En admettant le fait accompli milicien imposé par le Hezbollah et les groupuscules palestiniens armés dans ce qui est censé être la zone Finul, les deux pôles du gouvernement contribuent à creuser la tombe de l’Exécutif en neutralisant le rôle de l’armée et des Casques Bleus, tel que prévu dans la résolution onusienne.

Intronisés par les "hauts responsables" gouvernementaux au rang de seuls maitres de la région méridionale, le parti pro-iranien et ses alliés fondamentalistes palestiniens ne manqueront pas de tirer profit au maximum de l’aveu d’impuissance du pouvoir étatique pour s’agripper irrévocablement au terrain ainsi conquis ou pour marchander au prix fort une éventuelle résignation à lâcher leur proie.

Cette déliquescence de l’État, et du pays, a atteint un stade avancé à tous les niveaux, dans l’ensemble des structures et des institutions publiques, et même privées. Confrontés déjà à l’angoisse du lendemain ainsi qu’au dysfonctionnement généralisé des secteurs vitaux et des services publics dans les moindres petits détails de la vie quotidienne, les Libanais assistent avec effarement depuis de longs mois à un spectacle surréaliste (car il s’agit bien d’un "spectacle", caricatural de surcroît !)…

Dans ce contexte, digne d’une pièce de théâtre satirique, on a vu ainsi – la liste est longue – des factions politiques bloquer systématiquement l’élection du président de la République pour des considérations purement transnationales ; un Parlement pratiquement paralysé parce qu’il ne parvient pas à assumer sa fonction prioritaire de corps électoral pour l’élection du chef de l’État ; un gouvernement d’expédition des affaires courantes qui affiche publiquement son impuissance sur tous les plans; un chef du gouvernement qui s’en prend ouvertement à la gestion de l’un de ses ministres ; des ministres qui s’écharpent mutuellement dans les médias ; un commandant en chef de l’armée qui se démène pour assurer à ses soldats les moyens de subsistance les plus basiques ; une administration qui fonctionne au ralenti, lorsqu’elle est épisodiquement fonctionnelle… Même les très prestigieux appareil judiciaire et corps diplomatique ne sont pas épargnés par le dysfonctionnement intégral…

Pourtant, cette population libanaise prise en otage depuis plus d’un demi-siècle par des acteurs régionaux ne manque absolument pas de ressources et a prouvé à plus d’une reprise qu’elle sait faire preuve de résilience. Mais encore faut-il que les rêveurs attachés à un angélisme primaire et les héros de l’inconscience destructrice cessent de lui réclamer ou de lui imposer des sacrifices déplacés pour servir des intérêts "supérieurs" qui lui sont totalement étrangers.