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Quelle option les responsables libanais choisiront-ils pour éviter une vacance à la tête de l’armée, qui résulterait du départ à la retraite du commandant de la Troupe, le général Joseph Aoun, le 10 janvier prochain? La réponse à cette question, qui se pose depuis des semaines, n’est toujours pas claire. Il semble même que les leaders politiques ne le savent pas encore… Alors que le Liban fait face à d’énormes risques sécuritaires, qui s’ajoutent à la crise politique et financière, plusieurs acteurs libanais font prévaloir leurs intérêts partisans sur ceux du pays.

Même si les différentes parties s’activent, la confusion continue de régner. La solution viendra-t-elle du gouvernement ou du Parlement? Englobera-t-elle tous les chefs des services de sécurité ou visera-t-elle uniquement à maintenir le général Aoun à son poste pour une période supplémentaire? Le gouvernement nommera-t-il un chef d’état-major, ou pourvoira-t-il aussi aux trois postes vacants au sein du conseil militaire, qui est l’organe qui prend des décisions au sein de l’armée?

À ces questions, les différentes factions concernées apportent des réponses divergentes. Au sein des mêmes partis, les réponses changent d’un jour à l’autre, preuve du fait que la décision finale n’a pas encore été prise.

Le bloc parlementaire FL chez Nabih Berry.

Quatre propositions de loi

Une chose semble être certaine: il n’y aura pas de vacance à la tête de l’armée.

Le président du Parlement, Nabih Berry, a affirmé à la délégation des Forces libanaises (FL), qu’il a reçue lundi, qu’il donne deux semaines au gouvernement pour régler ce dossier, s’engageant à convoquer une séance parlementaire si le Cabinet ne réussit pas à résoudre le problème.

Il a également précisé que la proposition de loi présentée par le bloc FL figurerait en tête des propositions de loi revêtues du caractère de double urgence qui seront inscrites à l’ordre du jour de la séance.

On rappelle que cette proposition de loi fait passer à 61 ans, au lieu de 60, l’âge de départ à la retraite de tout commandant en chef de l’armée. Les FL ont expliqué que le texte vise à maintenir le général Joseph Aoun à son poste dans cette période critique au niveau politique et sécuritaire. Or, il y a à présent au Parlement quatre propositions de loi allant plus ou moins dans le même sens, avec des différences d’approche.

Outre les FL, le bloc de la Modération nationale (Liban-Nord, pour la plupart anciens haririens) a présenté mercredi une proposition de loi revêtue du caractère de double urgence reportant d’un an le départ à la retraite "des chefs de services de sécurité, en poste ou par intérim, du grade de général ou de général de division".

Alors que le texte de loi des FL concerne uniquement, au stade actuel, le général Aoun, celui du bloc de la Modération bénéficierait également au directeur général des Forces de sécurité intérieure, Imad Othman (qui a le grade de général de division), qui doit partir à la retraite en mai prochain.

Cette proposition est par ailleurs appuyée par un grand nombre de députés sunnites et par d’autres blocs. Lorsque le bloc l’a évoquée mercredi avec le président Berry, il a répété que le Parlement agira si le gouvernement ne le fait pas.

Pour ce qui est des deux autres propositions de loi, l’une a été présentée depuis des mois par le bloc parlementaire de la Rencontre démocratique (Parti socialiste progressite). Elle a été soumise de nouveau, il y a quelques jours, et prévoit de reporter de trois ans le départ à la retraite de tous les officiers de l’armée et des Forces de sécurité intérieure (FSI), quel que soit leur grade.

La dernière proposition a été présentée par le député Adib Abdelmassih (Renouveau), et prévoit, à l’instar de celle du bloc du PSP, le report du départ à la retraite de tous les officiers de l’armée et des FSI.

Alors que la proposition des FL pourrait faire l’objet d’un recours en invalidation, car elle est taillée à la mesure d’une seule personne, les trois autres sont plus générales et pourraient recueillir un appui plus large.

Le bloc parlementaire de la Modération nationale expliquant sa proposition de loi.

Participation de l’opposition

Si une séance parlementaire a lieu, les différentes propositions de lois seront soumises au vote, sachant que certaines pourraient être retirées par ceux qui les ont soumises.

L’opposition, qui refuse jusqu’ici de participer aux séances législatives avant l’élection d’un président de la République, pourrait assister à la réunion si le problème de la vacance au commandement de l’armée peut y être résolu.

Selon certaines sources, il se pourrait que ces députés ne prennent pas part à toute la séance et ne votent qu’en faveur du texte relatif à l’armée. Mais, ici encore, "il est trop tôt" pour décider, à en croire des sources des blocs de l’opposition.

Néanmoins, d’aucuns estiment que ces différentes propositions de loi ne visent qu’à accentuer la pression, soulignant que la solution ne proviendra que du gouvernement.

Au gouvernement

En ce qui concerne la solution au sein du gouvernement, elle est rendue difficile par le refus du Courant patriotique libre (CPL) de maintenir Joseph Aoun au commandement de l’armée. Le chef du CPL, Gebran Bassil, cherche par tous les moyens à écarter Joseph Aoun, dont la présence à la tête de la Troupe renforcerait ses chances d’être élu à la présidence.

C’est pour cela que le chef du courant aouniste aurait entrepris des contacts avec le Premier ministre sortant, Najib Mikati, et d’autres parties concernées, afin de pourvoir aux postes vacants au sein du conseil militaire. Il aurait même suggéré la nomination par le Conseil des ministres d’un nouveau commandant en chef de l’armée et proposé des noms de candidats. Cette possibilité n’a pas recueilli un grand appui politique, plusieurs parties redoutant que Gebran Bassil ne tente de contrôler l’armée. Même le chef des Marada, Sleiman Frangié, avec lequel M. Bassil a exprimé "la disposition à coopérer", se méfierait de toute tentative de ce dernier de mettre sa main sur l’armée, à en croire des sources politiques.

On rappelle que la prérogative de proposer des noms de candidats au conseil militaire revient au ministre de la Défense. L’actuel détenteur de ce portefeuille, Maurice Slim, est un proche du CPL. Outre le poste de chef d’état-major, les postes d’inspecteur général (grec-orthodoxe) et de directeur général de l’administration (chiite) sont également vacants.

Dans ce cadre, plusieurs parties sont en faveur de la nomination d’un chef d’état-major, considéré comme le numéro deux de l’armée. Selon la loi, c’est lui qui assure l’intérim en cas de vacance au commandement. Pour ce poste, le nom de Hassane Audi, qui est l’officier druze le plus haut-gradé, circule. Il aurait la bénédiction du Parti socialiste progressiste et succèderait ainsi à Amin el-Orm, parti à la retraite le 24 décembre dernier.

À cet égard, un autre facteur entre en jeu également: l’opposition refuse toute nomination qui serait effectuée par le gouvernement d’expédition des affaires courantes, dans le cadre d’une vacance présidentielle. Certaines composantes de l’opposition expriment donc leur rejet de la désignation d’un chef d’état-major, considérée nécessaire par la plupart des autres députés.

De son côté, M. Mikati essaie de résoudre le dossier calmement. Il a d’ailleurs informé les ministres présents au Sérail, mardi, que le secrétariat général du Conseil des ministres a élaboré une étude juridique et constitutionnelle portant sur les options les plus adéquates pour éviter une vacance à la tête de l’armée.

Quelle option sera retenue? Réponse dans moins de deux semaines, comme l’a promis Nabih Berry.