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Le métier de correspondant de guerre comporte de gros risques, et nous ne pouvons que saluer le courage de ceux qui couvrent les situations conflictuelles. De grands noms se sont illustrés dans ce métier périlleux, comme Blaise Cendrars, Ernest Hemingway, Curzio Malaparte et Vassili Grossman, la proximité du feu ayant assuré à ces littérateurs inspiration et décharge d’adrénaline. Ils en ont rapporté des impressions indélébiles et leurs écrits sont désormais des classiques de la littérature mondiale. Mais certains ont connu le sort de tant de militaires de carrière: ils ne sont pas revenus des champs de bataille, ils y ont laissé leur vie.

Si l’on veut se faire une idée, on peut consulter les rapports de l’International News Safety Institute (INSI), qui sont alarmants tant ils font état du nombre croissant de journalistes et de personnel des médias tués depuis 2011. Par ailleurs, d’après des sources palestiniennes, plus ou moins officielles, le nombre de journalistes tués depuis le 7 octobre a atteint le chiffre de soixante-deux. À cette liste, il faudra ajouter les noms de nos compatriotes Farah Omar et Rabih Maamari, de la chaîne télévisée Al-Mayadeen, tombés le 21 de ce mois à Tayr Harfa, tout comme celui de Issam Abdallah, de l’agence de presse Reuters, tué à Yaroun le 13 octobre dernier.

Ces journalistes avaient pris des risques pour nous assurer l’information comme n’avait pas manqué de le faire Shireen Abu Akleh, abattue le 11 mai 2022 à Jénine, en Territoires occupés, dans des circonstances qui accablent l’armée israélienne.

Un statut particulier pour des professionnels du risque?

Le risque à courir peut séduire de jeunes professionnels et la bravade est dans la nature des êtres téméraires. On a pu déplorer le sort de nombreux journalistes, notamment des reporters d’images, qui "connaissant notamment la précarité de leur statut de pigistes, se sont rendus sur le terrain, de leur propre initiative et à leurs risques et périls, sans grande préparation, assurance ni protection matérielle et juridique"*1 Or, ce ne fut pas le cas des victimes tombées à Tayr Harfa, ces dernières ayant pris les dispositions que prescrit l’exercice de leur mission. Ils portaient les insignes distinctifs de leur profession, conformément aux dispositions du Safety guide for journalists*2.

C’est que les ordres de mission des war reporters ont été réglementés. Et il est essentiel de distinguer ces derniers des "membres de la presse militaire", qui sont considérés comme des combattants et peuvent être légitimement ciblés lors d’un conflit armé.

Conventions et résolutions

Disons-le tout de go: les journalistes de la ligne de feu bénéficient de la même protection juridique qu’accorde le droit international humanitaire aux civils. L’article 79 du Protocole I de 1977 leur assure ladite protection à la condition expresse de "n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles". Le même article dispose qu’en revanche, les correspondants accrédités auprès des forces armées bénéficient du statut de prisonniers de guerre au cas où ils tomberaient aux mains de l’ennemi. Farah Omar et Rabih Maamari, ne relevant que d’Al-Mayadeen et ne représentant aucune menace, pouvaient légitimement se réclamer la protection due aux civils.

Mais comme si les conventions internationales allaient se révéler insuffisantes, deux résolutions (1738 et 2222) du Conseil de sécurité des Nations unies sont intervenues à la charge en 2006 et 2015, pour condamner les "attaques délibérément perpétrées contre des journalistes, des professionnels des médias et le personnel associé… en période de conflit armé" et pour demander à toutes les parties de mettre fin à ces pratiques.

C’en est trop!

Madame Joanna Wronecka, coordinatrice spéciale de l’ONU, qui plaide haut et fort pour la mise en œuvre de la résolution 1701, n’a pas manqué de rappeler l’obligation de "protéger les civils, dont les journalistes, ainsi que d’assurer la sécurité du personnel de l’ONU… comme des installations médicales". 

Car le fait de diriger une attaque délibérée et en connaissance de cause contre des journalistes dans l’exercice de leur mission constitue un crime de guerre, au même titre que les crimes commis par les belligérants contre les civils, depuis le 7 octobre, d’un côté de la frontière comme de l’autre.

Un dernier mot néanmoins: certes, les protocoles et résolutions susmentionnés procèdent d’une noble intention et expriment une volonté réelle de réformer les mœurs belliqueuses. Après tout, l’idée d’étendre aux journalistes la protection accordée aux civils était et reste louable. Mais les rédacteurs de ces textes se sont-ils jamais aperçus que ce sont les civils, bien plus que les militaires, qui paient le prix fort lors des conflits armés? Qu’on fasse le décompte des pertes humaines depuis l’instant de la déflagration du 7 octobre: combien de civils écrasés sous les décombres pour combien de combattants tombés au champ d’honneur? Alors, mettre les correspondants de guerre dans le même lot que les civils n’implique pas nécessairement qu’on leur accorde une protection efficace!

Youssef Mouawad

[email protected]

*1 Emmanuel Derieux, Mort de F. Leclerc-Imhoff : Quelle protection pour les journalistes en missions périlleuses? 2 juin 2022.

*2 Reporters sans Frontières, Guide pratique de sécurité des journalistes: manuel pour reporters en zones à risques.

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