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Dans un communiqué rendu public mercredi dernier, à Beyrouth, le mouvement Hamas a annoncé la mort, la veille, lors des bombardements israéliens au Liban-Sud, de quatre de ses combattants, dont deux Turcs… Ce faire-part de l’organisation fondamentaliste palestinienne a été diffusé alors que la situation le long de la frontière avec Israël était marquée, avant l’entrée en vigueur de la trêve, vendredi 24, par une grave escalade qui a fait, au fil des jours, de très nombreux tués dans les rangs du Hezbollah.

Les échanges de tirs d’artillerie de part et d’autre de la "ligne bleue" et les raids aériens visant des villages du Sud se sont poursuivis à un rythme quotidien depuis le funeste 7 octobre, avec leur lot de pertes en vies humaines, de destructions, d’exode forcé de dizaines de milliers de Libanais, et de vastes dégâts dans les plantations. À ce stade, et dans une optique purement libanaise, certaines questions, qui fâchent sans doute, mériteraient d’être soulevées, cartes sur table… Sans complaisance, mais aussi sans agressivité ou un quelconque ressentiment.

N’est-il pas légitime, face à la sérieuse menace de guerre totale qui plane sur le pays, de soulever le problème de la situation au Sud en ne prenant en considération que le seul intérêt libanais, sans être automatiquement accusé, de manière primaire, de "traitrise"? Un citoyen lambda n’est-il pas en droit, sans être perçu de "collaborateur", de s’interroger sur le bien-fondé du déploiement du Hamas au Sud? Et dans ce cadre, quelle est la finalité de la présence en pleine zone Finul de combattants turcs? N’y aurait-il pas également des miliciens d’autres nationalités?

Mais plus important encore, une grande question à volets multiples – que certains jugeront "naïve" – doit être posée en toute transparence: dans quel but (bien défini), pour quelle cause (réelle), dans quelle optique, pour servir quels intérêts, des dizaines de combattants du Hezbollah et de civils, dont plusieurs journalistes, ont-ils été tués à la frontière depuis le 7 octobre? Et quid de l’intérêt supérieur du Liban, de la population libanaise, à cet égard?    

Le plus grand danger auquel sont confrontés aujourd’hui, une fois de plus, les Libanais réside dans la banalisation de ce fait accompli guerrier. Un fait accompli imposé manu militari par un seul parti, théocratique, dont les décisions stratégiques, notamment la décision de guerre et de paix, relèvent de surcroît (on ne le répètera jamais suffisamment) d’une autorité supérieure régionale – le Guide suprême de la République islamique – qui définit ses positions en fonction d’un projet politique transnational et d’une raison d’État concoctés par les mollahs de Téhéran. 

D’aucuns rétorqueront que la dénonciation d’un tel fait accompli milicien reflète une attitude "isolationniste" qui ne tient pas compte du caractère global et "mondialiste" du conflit actuel. Sans doute… Sauf que c’est vite oublié que le peuple libanais a subi pendant plus d’un demi-siècle les affres et les retombées des conflits et des guerres de la région, alors que dans le même temps, certains pays arabes signaient des accords de paix avec Israël (y compris l’OLP), et d’autres entretenaient en coulisses des rapports inavouables avec l’État hébreu.

L’aboutissement de ces cinquante années d’épreuves imposées au Liban aura été, au plan régional, l’éclatement de plusieurs pays arabes – plus spécifiquement ceux contrôlés par l’Iran (mais cela est sans doute dû… au hasard!). Et au plan interne, le pays du Cèdre n’a jamais connu de toute son histoire contemporaine une situation de déliquescence généralisée et de déconstruction intégrale aussi avancée.

À l’ombre de telles réalités, ce serait commettre un crime caractérisé contre le peuple libanais que de lui demander de subir une nouvelle guerre d’usure sans horizons, sans objectifs précis, dans le seul but de satisfaire les visées hégémoniques illimitées de certains mollahs de Téhéran assoiffés de pouvoir et cherchant sans relâche à plonger l’ensemble du Moyen-Orient dans une ère théocratique d’un autre temps.

"Laissez mon peuple vivre", avait lancé Ghassan Tuéni à la tribune des Nations Unies, en 1980, en pleine crise libanaise, alors qu’il était ambassadeur du Liban à l’Onu. Plusieurs décennies plus tard, ce cri du cœur reste toujours, plus que jamais, d’une brûlante actualité.