À l’approche des prochaines législatives, la fièvre électorale monte dans tous les milieux, détournant l’attention de l’essentiel, notamment la mainmise de la milice armée du Hezbollah sur le pays, et plaçant les candidats dans une logique de compétition pour la conquête de sièges parlementaires, tous les coups étant permis sur ce plan. Les partis au pouvoir et les personnalités qui leur sont alliées tiennent plus que jamais à conserver leurs acquis.

À l’opposé, les forces du changement issues ou non de la révolution du 17 Octobre, ainsi que les personnalités et partis politiques de l’opposition, s’activent et réclament haut et fort l’unification des rangs, mais pratiquement ils font le contraire, du moins jusqu’à présent. Chaque parti ou rassemblement ou personnalité est trop occupé dans ses calculs. On se base sur les calculs financiers pour solliciter les " généreux " donateurs, qui sont réellement moins généreux que promis. Apparemment, aujourd’hui, les campagnes coûteraient moins cher que par le passé, avec la pauvreté métastatique. Viennent ensuite les calculs des niveaux d’influences claniques et familiaux dans le bazar électoral. Ainsi, on sollicite des chefs de clans, ou ceux qui se font passer pour tels, non pour leurs convictions nationales ou politiques, si elles existent, mais pour leur capacité de mobilisation. Mieux encore, les tireurs de ficelle dans l’arrière-boutique électorale évaluent les labels et les candidats qui donnent une belle perception au public, hormis leur capacité de tenir face à ceux qui contrôlent le pays par la force des armes.

Au milieu de tout cela, les électeurs constituent l’enjeu, contrairement aux habitudes. Parmi eux, les inconditionnels qui ne constituent qu’une ou des fractions de l’opinion au vu des résultats de 2018 ; ceux-ci ne changeront jamais de positionnement. Ceux qui se vendent au plus offrant pourraient faire basculer les élections dans un sens ou dans l’autre. Viennent ensuite les électeurs indécis ou non, mais qui sont volatiles et fugaces. Enfin, il y a les électeurs qui ne votent pas, ou du moins qui n’avaient pas voté en 2018, qui constituent plus de 50% des collèges électoraux et qui pourraient ne pas voter cette fois-ci encore, ayant perdu confiance en l’opposition, la société civile et la révolution du 17 Octobre. En l’absence d’unité des rangs face à la mainmise du Hezbollah et ses alliés, les gens du pouvoir, et derrière eux le duo armé, se frottent les mains. Pendant ce temps, les parasites, les illuminés, et les infiltrés (grossièrement) dans les rangs de l’opposition, œuvrent à enfoncer les clous là où ils le peuvent afin de maintenir les opposants en rangs dispersés.

L’électeur est surtout motivé par ses émotions, sa raison venant ensuite, d’où sa volatilité et sa fugacité. Cela contraste avec l’électeur suisse que l’on éclaire au préalable avant le vote, en lui expliquant les avantages et désavantages des lois, vu que celles-ci sont votées au suffrage direct. Chez nous, l’électeur est aveuglé par les discours enflammés, immatures, mensongers, ou hypocrites, qui occultent les priorités nationales. En 2018, un leader-candidat avait ainsi confié que les sondages d’opinion indiquaient que les priorités étaient le traitement des déchets, l’électricité et la situation financière, et que les armes du Hezbollah ne se trouvaient qu’à la 18ème priorité. Le discours électoral fut élaboré en conséquence, et certains candidats qui tenaient un discours souverainiste étaient blâmés par leurs leaders. Cela indique a posteriori que l’approche était plutôt une affaire de bazar, beaucoup plus que d’intérêt suprême de la nation.

Apparemment, cette mentalité continue de sévir. Ainsi, en octobre 2019, en pleine révolution, beaucoup de meneurs, et même des chefs de partis opposants, refusaient absolument de soulever le problème des armes illégales par égard à un populisme qui ne voyait que les banques et la corruption et percevait le Hezbollah uniquement comme une résistance contre Israël, et non comme une force coercitive qui jouit de la part du lion dans les grandes décisions nationales. Ces mêmes meneurs et chefs de partis ont maintenant viré de 180 degrés, et haussent le ton contre le parti armé. Aux dernières informations, ce revirement est dû non pas à une prise de conscience, mais par souci de marketing, compte tenu du fait que le mood électoral aujourd’hui va en ce sens. Si cela s’avère vrai, il est peu probable que ces mêmes personnes, une fois au Parlement, s’opposeront efficacement à ceux qui violent la souveraineté du Liban ; l’impression est qu’ils s‘occuperont plutôt des problèmes relatifs à la vie quotidienne à l’instar des municipalités et des syndicats.

Les élections législatives n’apporteront certainement pas une solution au problème des armes du Hezbollah ; elles pourraient même les légitimer, rien que par l’élection de députés du “parti de Dieu”, même si ce dernier et ses alliés ne gagnent pas la majorité des sièges. Malgré tout, le déroulement des élections à la date convenue reste l’option la moins mauvaise afin de préserver les institutions étatiques, car leur remise en question dans le contexte présent, à l’ombre du déséquilibre des forces sur le terrain, risque de provoquer leur effondrement. L’électeur, par son bulletin de vote, préserverait ces institutions malgré leur décrépitude et pourrait induire un minimum de changement pour affirmer la volonté souverainiste. On ne s’attend nullement à un miracle – mais les miracles arrivent quand on s’y attend le moins.