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Pour plastronner, le Hezbollah avait plastronné. N’avait-il pas été l’adversaire principal d’Israël et ne lui avait-il pas arraché le Sud libanais après des années d’occupation et de lutte sans merci? C’est du moins sa thèse officielle, celle qu’il essaie de nous imposer, depuis qu’à sa tête, trône un dignitaire religieux, qui a réponse à tout et qui veut se targuer d’être Hassan le Libérateur, comme il y eut autrefois un Mehmet le Conquérant ou un Soliman le Magnifique!

En sa qualité de mouvement chiite appuyé par l’Iran, le Hezbollah rappelle au monde islamo-arabe, sunnite à 85%, que c’est lui et nul autre qui a fait face à l’Israélien qui s’était emparé des terres de la umma. De quoi se pavaner et s’autoglorifier! N’était-il pas celui qui s’était engagé dans une lutte asymétrique avec Israël et qui n’avait pas été écrasé, mais au prix tout de même de la destruction du Liban? Ce que n’avaient pu faire ni le charismatique Nasser, ni le louvoyant Yasser Arafat, ni l’imprudent Saddam Hussein.

La " victoire divine " de Nasrallah, la banlieue-sud de Beyrouth écrasée (Crédits Patrick Baz/AFP. 15-08-2006)

Les Fatimides et Jérusalem, Saladin et les Croisés

Rappelons qu’à la fin du Xe siècle, Jérusalem était tombée entre les mains des Fatimides chiites qui avaient pour capitale Le Caire. Mais, en 1073, cette dynastie allait perdre Al-Quds au profit des Seldjoukides, des Turcs sunnites, pour ensuite la reprendre en 1098, au prix toutefois d’un bain de sang. Un an plus tard, la ville sainte allait être prise d’assaut par les Croisés, dans un autre bain de sang d’ailleurs. À l’AUB, Kamal Salibi enseignait que les Fatimides s’étaient disqualifiés aux yeux des musulmans de l’époque, n’ayant pas pu empêcher les envahisseurs chrétiens venus d’Occident d’occuper la Terre sainte et d’y maintenir leur pouvoir quelque deux cents ans. En effet, ce fut la réaction sunnite, représentée par Noureddine Zengui, Saladin et Baybars, qui liquida le rêve d’un Royaume latin érigé sur les pas du Christ.

Curieusement, la lutte contre l’étranger ou "l’infidèle" s’était déroulée sur fond d’une discorde, jamais définitivement enterrée, entre les deux branches majeures de l’islam.

Or voilà que…

Cette rivalité entre Alides et sunnites allait perdurer jusqu’à nos jours. Elle ne pouvait mieux s’exprimer que dans l’affrontement, les soulèvements et les répressions. Et, le pouvoir ne reviendrait qu’à celui des antagonistes qui ferait le plus de sacrifices ou qu’à celui qui n’aurait de cesse de croiser le fer avec l’agresseur.

Les masses arabo-sunnites, chauffées à blanc à l’époque de l’arabisme triomphant, vivaient un ihbat en l’absence d’un chef de guerre qui les maintiendrait en haleine et qui promettrait des victoires. Elles se désolaient de n’avoir pas un Hafez al-Assad. Où donc étaient les Khaled ibn al-Walid et les Tariq ibn Zyad? À Tarik el-Jdidé, à Bab el-Ramel de Tripoli ou au quartier Maydan de Damas, et comme ailleurs à Alger ou à Marrakech, le menu peuple était en quête de héros à qui s’identifier. Rafic Hariri n’était qu’un homme d’affaires, un gestionnaire de biens si l’on veut. Il ne pouvait porter le flambeau des luttes armées, il ne pouvait incarner la lutte contre l’impérialisme occidental: Il en était l’allié!

Et de fait, la "rue sunnite" s’était retrouvée sans leader inspiré, sans "prophète armé" depuis les années 80 qui virent l’évacuation de l’OLP en Tunisie et les compromissions qui accompagnèrent les accords d’Oslo.

Or voilà que le Hamas se met à pointer le bout du nez dans son fief de Gaza; le voilà qui tient désormais la vedette.

Atteinte à la suprématie du Hezbollah

On nous dit que l’Iran "sort indubitablement renforcé" de l’épreuve présente. Certes, ses affidés, les Houthis, le Hamas et le Hezbollah ont été "réactivés" sans qu’il ait eu à se mouiller; en attendant, il va recueillir les fruits d’années d’investissements matériels et humains. Toutefois, le régime des ayatollahs vient de faire entrer le loup dans la bergerie, en réservant la place à une organisation née dans la mouvance des Frères musulmans. Et, soudain, Hassan Nasrallah n’est plus le "résistant en chef". La suite est d’une simplicité schématique: Hamas, en organisation aguerrie, ne manquera pas de faire progressivement preuve d’autonomie et de rameuter le sunnisme militant derrière ses bannières. La volonté d’en découdre avec l’État hébreu lui servira de fonds de commerce. Il n’aura qu’à exercer son droit à l’ingratitude vis-à-vis de l’Iran car, dans les camps de réfugiés comme dans les villes syriennes écrasées par les bombardements et détruites lors des combats, il y a comme l’attente d’un chef vengeur qui ferait ses preuves dans l’arène. Probablement qu’on assistera bientôt à l’émergence d’un militant de la branche armée qui, ralliant les activistes les plus radicalisés, emporterait l’adhésion du plus grand nombre. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais les choses peuvent se précipiter.

La vielle ville de Homs " libérée " par le régime syrien et ses alliés. (Crédits: Joseph Eid/AFP. 12-05-2014)

Saladin, en se rendant en Égypte, ne s’en était pas aussitôt pris au calife chiite. Il attendit son heure. Puis, quand elle fut venue, il n’hésita pas à renverser l’imam fatimide, tant il le considérait comme un usurpateur. Il fit alors dire les prières au nom du calife sunnite de Bagdad et s’assura de l’unité des fidèles afin de poursuivre sa lutte contre les envahisseurs croisés.

Soit Sayyid Qotb soit l’ayatollah Khomeini

Mais revenons à Gaza où les combats que livre le Hamas vont faire de l’ombre au Hezbollah, ce "parti de Dieu" qui a perdu de son aura auprès des peuples arabes et islamiques depuis qu’il est intervenu dans le conflit interne en Syrie. Et ce ne sont pas les escarmouches quotidiennes, bien calibrées et balisées, à notre frontière sud, qui vont redorer son blason. On attendait du sayyed une offensive des plus redoutables, et le voilà qui finasse et adopte la tactique du "front de soutien", alors que le territoire de Gaza est ratissé et mis à mort.

Le Hamas et le Hezbollah viennent d’horizons idéologiques et religieux distincts, voire opposés. Au bout du compte, les différences vont resurgir et la sunna ne peut s’accommoder de l’imamat, pas plus que la pensée politique de Sayyid Qotb n’est réductible à celle de l’ayatollah Khomeini.

Ces deux mouvements portent en eux les germes de la discorde: Deux récits historiques faits de sanglantes dissensions ne pourront cohabiter à l’infini. Et ces frères d’armes, les alliés d’aujourd’hui, finiront nécessairement en frères ennemis.

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