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Le "combat de coqs" entre l’irrationnel et le pragmatisme sur la scène politico-diplomatique régionale, et par le fait même locale, bat son plein. Et ce sont, malencontreusement, depuis des décennies, les populations libanaise et palestinienne – et même israélienne – qui en font les frais.

Cette course contre-la-montre entre le politique et les aventures guerrières ici et là a émergé, une fois de plus, au grand jour à l’occasion de prises de position en flèche affichées de part et d’autre. Aussi bien le Premier ministre Benjamin Netanyahou que les hauts responsables du Hamas ont réaffirmé publiquement ces derniers jours leur opposition à la solution à deux États, prônée par la communauté internationale et les pays arabes.

Le cabinet Netanyahou et le Hamas confirment ainsi leur alliance objective sur la voie de l’irrationnel. Ce qui n’est d’ailleurs pas nouveau puisqu’elle remonte aux années 1990 lorsque la droite israélienne – principalement Netanyahou – a apporté un précieux soutien à l’organisation jihadiste afin de saper l’Autorité palestinienne et le projet d’État palestinien, dans le prolongement du processus d’Oslo. Près de trente ans plus tard, les deux parties se retrouvent encore dans le même camp obstructionniste, jouant, chacun à sa manière, les va-t-en-guerre, sans jamais proposer d’alternative en vue d’un règlement politique durable, comme l’a souligné fort à propos, pas plus tard que lundi, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell.

Cette double propension des deux alliés objectifs à vouloir constamment gesticuler dans les sables mouvants de la région en entretenant, sans aucun horizon, un climat de conflit permanent se fait ressentir avec insistance dans le contexte présent. Les responsables militaires du Hamas réaffirment leur détermination à poursuivre le combat jusqu’au dernier habitant de Gaza, et M. Netanyahou brandit, plus que jamais, la menace d’une guerre totale, à grande échelle, contre le Hezbollah, dans le fol espoir sans doute de noyer le poisson dans l’eau en court-circuitant, par le fer et par le sang, la profonde crise politique et gouvernementale interne à laquelle il est confronté et qui risque de mettre un terme à sa carrière politique.

À la recherche d’une "victoire" qui compenserait en quelque sorte l’enlisement actuel de l’armée israélienne à Gaza, le Premier ministre israélien réclame que la milice du Hezbollah soit refoulée au nord du Litani, en application de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité. Sauf qu’en l’absence d’une solution politique pragmatique au conflit proche-oriental, rien ni personne ne pourrait garantir que le parti pro-iranien ne relancera pas ce qu’il a entrepris après le vote de la 1701, en 2006, à savoir redéployer en douceur, progressivement et de manière insidieuse, ses miliciens non loin de la frontière avec Israël afin que l’Iran puisse continuer à exploiter, quand bon lui semble, la carte du Liban-Sud pour servir ses propres intérêts stratégiques.

Dans l’attente d’un hypothétique deal global entre Téhéran et Washington – véritable objectif stratégique que recherche l’Iran afin d’obtenir la reconnaissance d’un statut de puissance régionale – la situation de "ni guerre, ni paix" constitue l’option idéale pour la République islamique iranienne. Elle lui permet en effet d’instrumentaliser à sa guise, et en fonction de son propre agenda, ses suppôts régionaux: le Hezbollah, le Hamas, les Houthis du Yémen, la "mobilisation populaire" d’Irak… Autant d’alliés fidèles qui sont télécommandés par les pasdaran, sans pour autant aller jusqu’à la confrontation totale et généralisée avec Israël ou les États-Unis. On assiste ainsi à l’activation des foyers de tension tantôt en mer Rouge, tantôt en Cisjordanie, et de manière constante au Liban-Sud, sans compter les attaques contre les positions américaines en Irak et en Syrie, reflétant une orchestration menée à distance par les pasdaran.

Au plan strictement libanais, le danger de ce jeu d’équilibriste en l’absence d’une solution globale, réside dans le fait que le Hezbollah pourra se concentrer à nouveau, comme il l’a fait après sa guerre de 2006, sur la scène locale: escalade politique; opération de déconstruction du système en place; surenchères et diatribes fiévreuses; marchandages pour arracher des acquis constitutionnels; grignotage accru des structures étatiques; intimidation et menaces (avec passage à l’acte…), pour imposer un fait accompli et des pratiques aux antipodes des spécificités historiques et de la vocation du Liban.  

En l’absence d’un package deal solide entre Washington et Téhéran – incluant Israël et les pays arabes – les foyers de tension télécommandés ça et là par les pasdaran ne s’éteindront pas. Et face à la capacité de nuisance de la tête de pont iranienne au Liban, un (très) grand défi doit être relevé impérativement par les parties souverainistes et les porte-étendards du slogan "Liban d’abord:  présenter un front uni et pluriel, transcendant les clivages partisans, les allégeances sectaires, les égos personnels d’un autre âge, les petits calculs réducteurs, afin de faire échec aux tentatives répétées du Hezbollah de défigurer le visage pluraliste, libéral et humaniste du pays du Cèdre.