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Le Parlement reprendra, jeudi à 11h, le débat budgétaire qui s’est ouvert mercredi et au cours duquel la majorité des députés qui se sont succédé à la tribune, ont critiqué l’absence de vision économique dans le projet de budget présenté par le gouvernement.

Jugé par certains députés comme contraire à la Constitution puisque non accompagné d’une clôture des comptes, le projet de budget 2024, bien que sensiblement modifié par la commission parlementaire des Finances et du Budget, ne fait pas l’unanimité au Parlement.

Réunis mercredi Place de l’Étoile pour la première journée d’une séance plénière qui doit s’étendre jusqu’à jeudi soir, afin d’adopter le budget annuel de l’État pour 2024, les députés se sont succédé à la tribune pour donner leur avis sur le budget. Certains, notamment parmi les figures de l’opposition, ou encore le bloc du CPL, ont été jusqu’à contester la tenue de la séance législative en l’absence d’un président de la République, poste vacant depuis le départ, le 31 octobre 2022, de l’ancien chef de l’État Michel Aoun.

Pour contextualiser le déroulement de la séance matinale du débat budgétaire, il est important de rappeler que le texte, dénué de tout projet de réforme, avait été transmis en septembre 2023 au Parlement, où il a été amendé en profondeur par la commission parlementaire des Finances et du Budget. Celle-ci a déploré une première mouture dépourvue "de vision économique et sociale". C’est ce qu’a affirmé, d’ailleurs, le président de la commission, Ibrahim Kanaan (bloc du Liban fort), dénonçant "les faibles fonds consacrés aux dépenses d’investissements, mais aussi le recours anarchique à des surtaxes et des impôts". Il a, néanmoins, considéré que "bien que la seconde version ne soit pas idéale, elle demeure essentielle pour assurer la continuité de l’État et des secteurs public et privé". Il s’est dans ce contexte fermement opposé à un "projet élaboré sur base d’une abolition des dépôts bancaires".

De son côté, le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, Georges Adwan, (Forces libanaises), a estimé que "ce projet est contraire à la Constitution, du fait qu’il n’est pas accompagné d’une clôture des comptes", laissant ainsi entendre que le bloc de la République forte "ne votera pas en faveur de la dernière mouture".

Hassan Fadlallah, député du Hezbollah, a développé la même argumentation relative à la clôture des comptes.

Le député Michel Moawad (Renouveau), qui a vivement critiqué l’absence de vision dans le projet de budget, a annoncé qu’il ne va pas approuver le texte "préjudiciable", selon lui, pour les Libanais, le secteur privé, et même l’Administration et les fonctionnaires.

Il a exposé, à l’adresse de l’Exécutif, les fondements de toute politique de redressement économique et financier, pour justifier son opposition au texte que les députés sont appelés à examiner.

Si le projet de budget n’est pas voté, l’Exécutif aura la possibilité de promulguer le budget par décret, sachant que c’est la version initiale (non celle modifiée par la commission), qui sera dans ce cas publiée au Journal officiel et qui deviendra par conséquent exécutoire. Or, tel qu’il a été préparé par le gouvernement, l’avant-projet de budget est considéré comme "ne tenant pas compte de la crise économique que traverse le pays, ne fournissant pas de chiffres précis et n’étant pas basé sur des données claires", comme l’ont indiqué certains députés. Ces derniers ont considéré que le Cabinet "cherche à imposer des taxes au peuple libanais qui vit sous le seuil de la pauvreté et qui subit constamment le joug de la conjoncture aussi bien économique, que politique et sociale".

Raison pour laquelle ils se sont dit favorables à un amendement, lors des séances prévues à cet effet, des articles contestés dans la version proposée par la commission des Finances et du Budget. Les parlementaires ont également précisé qu’un plan de réforme se doit d’accompagner la loi de finances, avec une répartition des responsabilités et un partage des pertes.

Séance nocturne

Au cours de la séance nocturne, neuf députés ont pris la parole, pour critiquer, de manière générale, le projet de budget, parce qu’il est loin de refléter une politique économique ou financière claire.

Michel Daher (indépendant) a ainsi contesté les chiffres du budget. Il a en outre appelé à la décentralisation financière et à la levée du secret bancaire "sur les comptes des responsables, "afin de déterminer les sources de corruption". Il a par ailleurs proposé un dollar sur chaque bidon d’essence pour l’entretien des routes

Le chef du bloc du Liban fort, Gebran Bassil, a critiqué un texte sans vision économique, mais a profité de la tribune parlementaire pour continuer à régler des comptes avec le gouvernement, l’accusant d’usurper les prérogatives du chef de l’État. Il a contesté dans ce contexte la nomination envisagée d’un chef d’état-major, avant de critiquer une législation de nécessité qu’il a jugé exhaustive.

Le député de Batroun a appelé à ce que le Parlement adopte une proposition de loi présentée par son bloc, sinon celui-ci se retirerait de l’hémicycle, à l’exception de ceux qui font partir de la commission des Finances. Ces derniers ne voteront cependant pas pour le budget, a-t-il précisé. Le texte qu’ils ont soumis se rapporte au budget pour qu’il soit soumis sur base d’une proposition de loi et non pas d’un projet de loi soumis en l’absence d’un président.

Il a mis en garde contre un président imposé par la force et a plaidé pour un dialogue afin de débloquer la présidentielle. Selon lui, le président à venir devrait rassurer l’opposition et le Hezbollah, ce qui lui a valu un "bien dit" de Nabih Berry.

Lui répondant du tac au tac, la députée Ghada Aoun (bloc de la République forte) a ironisé en faisant remarquer que "c’est celui dont toute la politique et le parcours repose sur le blocage qui critique aujourd’hui celui-ci".

Ghada Ayoub a ensuite relevé, chiffres à l’appui, en citant des mémorandums envoyés par le ministère des Finances, à la commission des Finances, un cafouillage au niveau des chiffres officiels.

Son collègue, Ziad Hawat, a souligné d’emblée que le Liban est " exposé pour la première fois depuis sa fondation au danger d’une dissolution", critiquant un projet de budget qui propose, selon lui, "tout et n’importe quoi". Il a reproché au ministère des Finances de ne pas publier son bilan mensuel des dépenses et des recettes de l’État.

Le député Sajih Attié (bloc de la Modération) s’est employé à défendre le gouvernement, se félicitant de ce qu’il a pu envoyer au Parlement, un projet de Budget dans les délais constitutionnels. Il a quand même contesté les chiffres du budget, notamment ceux alloués aux ministères censés gérer des secteurs vitaux, comme les Télécom, l’Agriculture ou les Travaux.

Son collègue, Neemat Frem, a reproché au gouvernement l’absence de vision économique, estimant que l’Exécutif aurait du proposer un plan quinquennal. Lui aussi a contesté les chiffres du budget, mais s’est distingué de ses collègues en proposant à l’Exécutif de taxer les Syriens établis au Liban et qui y travaillent. Il a fait savoir qu’il ne votera pas le budget.

Pour sa part, le député Waël Bou Faour, a mis l’accent sur la nécessité de combattre l’évasion fiscale, mettant en garde contre un relèvement de la TVA qui va entraîner une hausse supplémentaire des prix.

Dernier à prendre la parole, Ibrahim Mneimné (indépendant) a vivement critiqué les autorités, estimant que dans les circonstances actuelles, le gouvernement était "supposé présenter un plan de redressement étalé au moins sur deux ans".

Interrogé à sa sortie de l’hémicycle au sujet des interventions des députés, M. Mikati a affirmé s’en réjouir, estimant qu’elles sont une source de richesse et qu’elles vont permettre à son équipe de corriger d’éventuelles erreurs. Il a indiqué que son gouvernement a "freiné l’effondrement et a lancé le processus de redressement", avant d’exprimer l’espoir de pouvoir poursuivre sur cette voie.

Répondant indirectement aux critiques que lui a adressés Gebran Bassil, il a dit respecter toutes les opinions, "en dépit d’une certaine injustice et de certains points de vue illogiques".