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Prononcée, mais inexécutée au Liban depuis 2004, la peine de mort demeure prévue par le Code pénal. Après l’annonce du décès, le 9 février, de l’un des plus grands défenseurs de l’abolition de la peine de mort en France, Robert Badinter, ancien ministre français de la Justice, la question de l’abolition ou non de la peine de mort refait surface au Liban.

Fortement contestée par certains juristes et personnalités politiques, la peine de mort est largement controversée. Entre ceux qui plaident pour son abolition et ceux qui s’y opposent, "l’heure est au recueillement et à la réflexion", souligne l’ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, également vice-président de la commission internationale contre la peine de mort, qui a côtoyé de près Robert Badinter.

D’après lui, même si elle est toujours consacrée par les textes de loi, la peine de mort a été pratiquement abolie au Liban. "D’abord, elle n’est plus exécutée depuis 2004. Ensuite, lorsque nous avons formé le Tribunal international spécial, au lendemain de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et de ses compagnons, en 2005, il a été exigé que la peine de mort ne soit pas prononcée. En d’autres termes, le Liban aura indirectement accepté cette abolition", explique M. Najjar, fervent défenseur de l’abolition de la peine de mort.

Et de rappeler qu’en 2011, le Liban a adopté des lois qui permettent la réduction des peines, dont la peine capitale. "Cela signifie, précise-t-il, que "même si, en vertu de décisions judiciaires, cette peine est prononcée, elle ne sera jamais exécutée".

"Ce n’est pas pour cacher la faillite d’un État à gouverner ou son échec quant au rétablissement de l’ordre, qu’il faut maintenir la peine de mort", insiste-t-il, considérant que le "juge ne peut pas se substituer à Dieu pour donner et ôter la vie aux individus, le droit à la vie devant toujours l’emporter".

D’après Nasri Diab, avocat, "ce qui a essentiellement poussé à lutter contre la peine de mort, ce sont les erreurs judiciaires commises, avant que la question ne relève de l’humanitaire".

Il signale que "bon nombre de verdicts ont été prononcés, condamnant à mort des personnes qui se sont avérées innocentes plus tard". La peine de mort étant irréversible, la nécessité de l’abolir s’est manifestée. Deuxième grand danger de la peine de mort, selon M. Diab, "c’est lorsqu’elle est utilisée par des régimes politiques, notamment les grandes dictatures du vingtième siècle qui instauraient la peine de mort contre des opposants politiques sous couvert de trahison ou de lutte contre l’État".

Pourquoi la peine de mort n’a pas été abolie au Liban?

Sur le plan national, et d’un point de vue confessionnel, "il n’est pas facile pour un musulman de se déclarer ouvertement favorable à l’abolition de la peine de mort. Ce serait, pour lui, se prononcer contre la doctrine islamique", explique M. Najjar. Pourquoi? Il existe, d’après lui, dans l’islam, deux cas où la peine de mort est prévue: l’adultère et l’apostasie (le fait de renoncer publiquement à une doctrine, une croyance ou une religion).

On peut cependant imaginer des subterfuges légaux, qu’ont adopté beaucoup de pays musulmans, comme la Turquie et la Malaisie. "Cela consiste à réduire la peine de mort au paiement d’une compensation matérielle, moyen prévu par l’islam et connu sous le nom arabe de “diyé”", indique M. Najjar.

D’après Me Diab, l’argument confessionnel vient s’ajouter à d’autres éléments, qui expliquent la réticence de certains à l’abolition de la peine de mort. Il existe, selon lui, des arguments liés au crime lui-même. "Ce sont des crimes tellement abominables qu’aucune peine de prison ne peut les sanctionner suffisamment", signale-t-il, en donnant l’exemple de l’affaire Dutroux en Belgique. "Dans ce pays, qui est l’un des plus pacifiques et qui a aboli la peine de mort depuis longtemps, Marc Dutroux et son épouse Michelle sont emprisonnés pour séquestrations, enlèvements, viols et massacres de mineures. Autant de faits qui avaient provoqué une vague d’indignation populaire", rappelle-t-il. "La société belge avait considéré, à l’époque, que de tels individus ne font pas partie de la société et qu’ils ne méritent donc pas qu’on applique, à leur égard, les textes de loi applicables pour les crimes relativement “ordinaires”", poursuit-il.

Plus encore, et avec les réductions et le plafonnement des peines, quand bien même il s’agit de peines de prison incompressibles, "n’importe quel criminel ayant commis n’importe quel type de crime finira par retrouver sa liberté, avec le risque qu’il puisse continuer de représenter un danger pour la société", précise M. Diab.

Troisième argument qu’avancent les opposants à l’abolition de la peine de mort, c’est "l’impossibilité, pour certains criminels, d’être rééduqués et de réintégrer la société, surtout lorsqu’il s’agit de crimes sexuels", affirme l’avocat. Ces délinquants "déclarent eux-mêmes avoir des pulsions incontrôlables et n’être pas certains de pouvoir se maîtriser à leur sortie de prison, ce que prouvent les pourcentages de récidives dans certaines situations", précise-t-il.

Le quatrième élément est d’ordre économique. "Ces criminels, pour lesquels le danger de récidive est quasi certain (dans le cas de crimes abominables), vont coûter à l’État des sommes colossales", estime-t-on de sources sous couvert d’anonymat.

Au Liban, la peine de mort est tombée en désuétude. Souvent prononcée, mais non appliquée, elle peine à être abolie, son vote nécessitant une majorité parlementaire. Cela revient-il à qualifier le Liban de pays non conforme aux principes de liberté et de démocratie? La peine de mort est-elle inéluctablement la sanction des dictatures et des régimes autoritaires? "Difficile de trancher, surtout lorsque l’on sait que deux des plus grandes démocraties du monde, à savoir les États-Unis et le Japon, continuent de l’appliquer", conclut M. Diab.