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L’aventure humaine, dans sa dimension spatio-temporelle, comme dans sa dimension intérieure, est quelque chose de stupéfiant. Sommes-nous un produit du hasard, comme beaucoup le pensent, ou d’une intentionnalité? Qu’est-ce que le "besoin de croire", non dans sa fonctionnalité, mais dans sa signification anthropologique?

C’est à cette interrogation qu’en philosophe des religions, Marguerite Bou Aoun, maître de conférences à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, a tenté de répondre en retraçant la présence et le parcours de ce "besoin" auquel elle a consacré une thèse doctorale*. Pour elle, il ne fait pas de doute, et sans jugement de valeur, que "le besoin de croire est le propre de l’homme" et sans le croire, "aucune vie n’est possible".

À travers l’histoire des idées et des civilisations, par mille et un détours dans les sciences exactes et les sciences humaines, y compris les neurosciences qui pensent que le cerveau "invente" Dieu, sans oublier les réponses "institutionnelles" apportées à ce besoin par les religions, Marguerite Bou Aoun a traqué le parcours de ce besoin de croire universel. Au fil de ses pages, son ouvrage finit par l’établir comme une constante humaine aussi réelle et objective que le besoin de se nourrir ou de dormir, quoique d’un autre ordre. Elle cite à ce sujet Simone Weil qui, dans son ouvrage posthume L’Enracinement, affirme: "Quant aux objets du besoin, ils ne relèvent pas uniquement de l’ordre de la physiologie et de l’animalité, telle la soif, la faim, la respiration, l’habitation, etc. En marge de ces besoins physiques indispensables à la survie, signalons les besoins de l’âme tels que l’ordre, la vérité, la sécurité et la liberté." On pourrait y ajouter la soif de beauté.

À quelle époque de l’évolution de l’espèce humaine le "besoin de croire" est-il apparu? "Depuis l’Homo sapiens, selon l’anthropologue français Albert Piette, répond l’auteure. Ce qui explique, selon lui, que cette espèce, dont nous provenons, se soit établie dans la durée, tandis que d’autres espèces d’hominidés (Cro-Magnon, Néandertal) se soient éteints."

Plasticité du besoin de croire

Les innombrables réponses que les hommes ont apportées au besoin de croire disent quelque chose de sa "plasticité". "Confrontés de tous temps à des situations tragiques, écrit Marguerite Bou Aoun, croyants, athées ou agnostiques font émerger des questions existentielles sur l’origine de l’Homme, sa raison d’être, sa finitude… Conscient ou inconscient, volontaire ou non, religieux ou politique… quelles que soient les formes que le croire peut prendre, celui-ci s’avère essentiel et universel."

Mais la plasticité du "besoin de croire" mérite qu’on s’y arrête. "L’idolâtrie n’étend jamais mieux son emprise qu’après la mort de Dieu", a pu dire le philosophe Paul Valadier, après un regard rétrospectif sur le XXᵉ siècle européen et les ravages du totalitarisme et des idéologies.

Pour tout homme, et combien plus pour le philosophe, il est donc nécessaire que le "besoin de croire" soit assorti à la quête de Vérité. Car qu’est-ce que l’homme? Et contrairement à ce que pensent certains humanistes, "l’homme n’est pas la vérité, il est en quête de la vérité" (Jean-Paul II). Mais en philosophe des religions, Marguerite Bou Aoun s’abstient de franchir ce seuil.

Le livre se conclut sur ce paragraphe: "Pour finir, le besoin de croire confirme que le croire relève des conditions de rationalité mais aussi et surtout, il est la condition subjective et nécessaire de toute vie humaine. Sans le croire, aucune vie n’est possible. En dépassant ses raisons, causes et motifs, le croire tend vers la foi. Celle-ci devient la réponse au besoin de croire comme besoin paradoxal d’espérer au-delà de toute conditionnalité. Toute institution du croire ne pouvant être qu’une analogie de l’institution religieuse, le croire s’avère être le propre de l’homme et la religion son expression naturelle." Un livre digne d’être examiné de plus près.

*Le Besoin de croire de Marguerite el-Asmar Bou Aoun, L’Harmattan, 2023. Disponible à la librairie Antoine.