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8 avril 1970. La jeune Thérèse Abdallah fait ses devoirs de classe dans une salle d’études de l’école des Syriaques orthodoxes, à Mousseitbé, un quartier à majorité sunnite de Beyrouth. Elle est l’aînée de sa famille, et son père est l’intendant de l’évêque du lieu, Athanassios Ephrem Barsoum.

À Mousseitbé, vivent côte à côte, musulmans et chrétiens, mais c’est surtout le quartier où se sont regroupées les familles syriaques ayant fui le génocide perpétré contre les Arméniens et les autres minorités chrétiennes de l’Empire ottoman (1915). L’école est construite dans l’enceinte de l’archevêché syriaque-orthodoxe de Beyrouth, où se dresse aussi la basilique des saints Pierre et Paul, une jolie construction surmontée d’un dôme.

En soirée, vers 20h30, au sortir de l’étude, traversant la cour de l’école, Thérèse Abdallah, sur le signe d’un camarade, lève la tête et voit au-dessus du dôme de l’église, environnée de lumière, la Vierge Marie dont elle distingue clairement la robe bleue. Elle est d’une beauté et d’une majesté indescriptibles, inoubliables. Rabrouée par la surveillante, qui redoute un début de confusion dans les rangs, évacuée vers la porte de sortie, d’où l’on n’aperçoit plus le dôme, elle rentre chez elle, frustrée. En famille, on ne croit pas à son récit. Vers 22 heures, au son des carillons de la basilique, des sifflets et de tirs de joie, Thérèse ne tient plus en place et sort en courant vers la basilique. Tout le quartier est en émoi. Fidèles et badauds sont déjà attroupés dans la cour de l’école, extasiés par le spectacle de la silhouette lumineuse de la Vierge.

Les apparitions nocturnes prolongées et silencieuses de Notre-Dame au-dessus du dôme de la basilique se poursuivront durant toute la saison de Pâques, fêtée cette année-là, le 26 avril. Des milliers de témoins de toutes les classes sociales, chrétiennes aussi bien que musulmanes et druzes, en furent les témoins émerveillés.

Des apparitions se produisent également à l’intérieur de la basilique, et un registre est proposé aux fidèles. Ceux qui la virent témoignent l’avoir contemplée, tantôt les mains jointes et en prière, un chapelet à la main, tantôt agenouillée devant la croix, parfois encore les mains élevées ou les bras croisés sur la poitrine. Elle se montre également avec l’Enfant Jésus et saint Joseph, ou encore comme la dépeint la statue de Notre-Dame du Liban.

La presse et même la jeune Compagnie libanaise de télévision s’empareront de cet événement, et des foules afflueront du Liban et de Syrie, pour en être témoins. Par lettre apostolique, le patriarche Severius Yaacoub III (1902-1980) des syriaques-orthodoxes confirmera l’authenticité de la visite céleste et du réveil de la piété qui l’a accompagnée.

Durant une messe célébrée par l’évêque Athanassios Ephrem Barsoum, aux paroles de consécration, la Vierge se fit voir en pleurs à certains fidèles, sous l’aspect de Notre-Dame des Douleurs. C’était en 1970. Cinq ans plus tard, la guerre éclatait au Liban. On est donc en droit de se demander: Que cherchait à dire la Vierge à l’époque? Était-elle venue demander aux chrétiens de se convertir, de prier et de rester unis, face à la montée des périls? Était-elle venue pour mettre les Libanais en garde contre les menaces de violence et les divisions? À chacun de le décider. Sans doute tout cela à la fois.

L’icône de la Vierge Marie à Mousseitbé. (Photo dr)

Hélas, sa présence, les signes qui l’ont accompagnée, ainsi que les avertissements d’une petite communauté qui avait ardemment prié pour son apparition, furent superbement ignorés par un pays déjà profondément divisé. Pourtant, ces apparitions ne cédaient pas, en importance, à celles qui avaient secoué, deux ans plus tôt, le quartier de Zeitoun au Caire. En Égypte aussi, les apparitions répétées avaient été nocturnes, lumineuses et silencieuses, et des milliers de personnes, dont le président Gamal Abdel Nasser, en avaient été témoins. De nombreux ouvrages leur sont consacrés.

Chez nous, les hiérarchies religieuses, hormis celle de l’Église syriaque-orthodoxe, restèrent de marbre, ce qui empêcha la visite céleste de revêtir une envergure nationale.

À Mousseitbé, de nos jours, les apparitions de 1970 sont commémorées, traditionnellement, le premier dimanche après Pâques. Il y a encore quelques années, une procession et une kermesse étaient organisées et une grande "hrissé" cuite à l’occasion. Mais les temps difficiles sont en train de tout éteindre, même ces petites fêtes…

Plus de cinquante ans sont passés, depuis ces apparitions. De l’histoire du XXe siècle, en particulier de la Seconde Guerre mondiale, et de celle du Liban des 50 dernières années, nous avons appris que les monitions de la Vierge, que ce soit à Fatima, à Beyrouth ou ailleurs, ne sont jamais gratuites. Il suffit de regarder autour de nous pour le constater: l’apocalypse politique et sociale est à nos portes. Le monde entier est pris de vertige.

Mais si les périls que court la foi sont loin d’être écartés, les miséricordes de Dieu, elles non plus, "ne sont pas finies", comme l’assurent les Psaumes. Dieu parle encore aux hommes, n’en doutons pas.

Contre la vision positiviste d’une histoire qui progresserait de synthèse en synthèse plus grande, le philosophe chrétien Jacques Maritain affirme: "Un des axiomes fondamentaux d’une saine philosophie de l’histoire (…) c’est que l’histoire du monde progresse en même temps dans la ligne du mal et dans la ligne du bien".

Dans la foi chrétienne, "l’avenir n’est pas fixé de manière immuable" dit Benoît XVI, mais reste ouvert à notre liberté, à notre intercession, comme aux desseins de paix dont la Vierge Marie est la première avocate. Telle Pénélope faisant et défaisant les nœuds de sa tapisserie, en attendant le retour d’Ulysse, laissons-nous prévenir par les motifs dessinés par la Mère de l’Église sur la trame de l’histoire, en attendant l’avènement promis "d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux". Ou une nouvelle visite.