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Dominique de Villepin s’était insurgé contre la décision américaine d’envahir l’Irak sous de fallacieux prétextes. Il lui fut donné, en sa qualité de ministre français des Affaires étrangères, et avec l’accord du président Chirac, de récuser le pouvoir uninominal de Washington. Devant le Conseil de sécurité des Nations unies à New York, il allait dire "non", le 14 février 2003, à une intervention militaire alliée en Mésopotamie. Depuis le mot de Cambronne à Waterloo, jamais le panache français ne fut aussi sémillant. On peut bien sûr regretter que le fringant ministre, pour édulcorer ses propos, ait rappelé que son pays, sous la monarchie des Bourbons, fut le premier allié de la nation américaine, celle des "indépendantistes" comme on les appelait sous Louis XVI. Il n’empêche que ce fut un moment d’exaltation sublime de son moi et le panache, pour ceux qui l’ignorent, réenchante le monde. Comme le goût de la bravade ennoblit l’atmosphère.

Dans le même ordre d’idées, à la Cour internationale de justice (CIJ), le prononcé d’un avis consultatif suscita en certains, le 19 juillet dernier, un tel moment de grâce.

C’est que les juges internationaux qu’un Libanais présidait s’en sont pris à l’intouchable arche de l’alliance entre les États-Unis et Israël. Ce qui n’était pas du goût de Tel-Aviv, qui, fort du soutien inébranlable de Washington, a toujours bénéficié d’une immunité juridique et d’une exceptionnelle impunité dans l’accomplissement de ses conquêtes et la mise en œuvre de ses prophéties.

Une décision inattendue?

L’Occident profond était-il en train de lâcher Israël? N’est-ce pas qu’à plus d’une reprise, l’État hébreu avait été tancé par la plus haute autorité judiciaire du monde? Une première fois, à la suite de la plainte déposée le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud, la CIJ avait ordonné en date du 26 janvier qu’Israël prenne immédiatement des mesures pour s’assurer que son armée ne viole pas la Convention de 1948 sur le génocide. Cette décision était contraignante sur le plan légal, mais la juridiction onusienne ne dispose pas encore des moyens de la faire respecter. Seule une résolution du Conseil de sécurité peut dans les faits assurer son application.

La seconde fois que Tel-Aviv allait être admonesté par la même Cour internationale, ce fut très récemment avec le prononcé du susdit avis consultatif. La CIJ avait déclaré en ce 19 juillet que l’occupation par Israël de territoires palestiniens depuis 1967 était "illégale" et devrait "cesser le plus rapidement possible". Mais ce n’était pas tout: L’État hébreu devrait, d’après l’avis en question, dédommager la population ayant souffert de sa politique de mainmise sur les territoires palestiniens. Et, cerise sur le gâteau, le même avis consultatif allait mettre à la charge des États du monde l’obligation de "ne pas reconnaître l’occupation comme légale et de ne pas fournir d’aide ou d’assistance au maintien de la situation créée par cette présence illégale".

Quand bien même cet avis rendu par cette haute cour de l’ONU ne serait pas contraignant1, il n’empêche qu’il met l’État hébreu au ban des nations et le dénonce au mépris des peuples épris de liberté et d’idéaux universels.

Définitions et dispositions légales

D’après le Dictionnaire de l’Académie française, le fait d’occuper est défini comme "l’action de s’emparer, de se rendre maître d’une ville, d’un territoire, d’un pays, d’en prendre possession militairement". Et selon les dispositions de la Convention de la Haye de 1907, "un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie". Enfin, l’article 49 de la Quatrième Convention de Genève de 1949 dispose que "la Puissance occupante, à qui incombent de nombreux devoirs pour le bien-être général des habitants sur un territoire occupé, n’a pas le droit de procéder par la force à la déportation des personnes protégées ni celui de transférer leur propre population sur les territoires occupés".

En somme, Israël est depuis 1967 dans le collimateur de la justice internationale, mais c’est seulement quand Yahya Sinouar s’est rappelé le 7 octobre 2023 au bon souvenir du monde civilisé que des édiles de La Haye se sont rendu compte de l’illégalité de la situation qui prévalait depuis 57 ans. Il eût fallu que le sang coulât abondamment pour que le Brave New World finisse par s’apercevoir, et au terme de longues décennies, que quelque chose était pourri en Terre Sainte. Tant de sang versé que même le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, après un silence ahurissant, s’est cru obligé de déclarer que "l’État d’Israël a l’obligation de cesser immédiatement toutes les nouvelles activités de colonisation et d’évacuer tous les colons du territoire palestinien occupé"2. C’est à se demander où étaient ces bons samaritains, ces humanistes du dernier quart d’heure! Mais, diriez-vous, mieux vaut tard que jamais.

Or cette volte-face de la conscience humaine n’allait pas être du goût de Benjamin Netanyahou, qui allait aussitôt réagir en invoquant l’argument biblico-historique: "Le peuple d’Israël n’est pas un occupant sur sa propre terre et dans sa capitale éternelle Jérusalem", et en réaffirmant que son pays avait droit "à l’autodéfense et à des frontières sûres".

His "finest hour"

Comme par hasard, il revient toujours aux "indépendantistes" libanais de défendre la cause palestinienne. Aux héritiers et descendants d’Arafat qui, dans leur rancœur, avaient déchiré le tissu social si ténu de notre pays, j’aimerais rappeler que le président Sleiman Frangié, passant outre aux objurgations américaines, avait plaidé en 1975 à l’Assemblée générale de l’ONU leur juste cause. Ce qui n’épargna pas au Liban les coups tordus d’Abou Ammar et de ses fedayin férus de révolution et de libération. Mais qui a dit que la gratitude est une vertu politique?

Soit dit en passant, que si Frangié s’exprima en français aux Nations unies, quelque cinquante ans plus tard, le président de la CIJ, Nawaf Salam, tout aussi libanais et souverainiste, allait s’exprimer en anglais pour dire la justice à la face du monde. On connaît la suite. Ce fut quelque part une posture héroïque (waqfat ‘izz)!

 Bravo Nawaf3, this was your finest hour.

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1-Jack Khoury, "Implementation of ICJ ruling on Israeli occupation depends on the UN and the US", Haaretz, 21 juillet 2024.
2- "L’Union européenne défend l’avis de la CIJ sur l’occupation israélienne", Le Figaro, 20 juillet 2024.
3- Cf. Nada Nassar Chaoul, "Un prince arabe moderne", L’Orient littéraire, 7 mars 2024.