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Le mois de mai, consacré à une dévotion particulière envers la Vierge Marie dans l’Église catholique, vient de prendre fin. L’occasion propice de revisiter les différents Ave Maria qui ont marqué l’histoire de la musique d’art occidentale. Le second volet de cet article s’intéresse aux époques musicales romantiques, modernes et contemporaines.

Les époques romantique et moderne ont été marquées par un bouillonnement créatif sans précédent. Le XIXe siècle et la première partie du XXe siècle ont vu émerger les plus éminents compositeurs de l’histoire de la musique d’art occidentale. Cela dit, il ne faut pas oublier les contributions fondamentales de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et Ludwig van Beethoven (1770-1827), dont les influences musicale, formelle et esthétique demeurent indéniables à travers les âges. Contrairement aux époques musicales anciennes – à savoir la période médiévale, la Renaissance et l’époque baroque – ainsi que l’époque classique, où la musique religieuse suivait des formes strictes et des styles codifiés, le romantisme s’est caractérisé par un déplacement des conventions musicales classiques vers des formes plus libres et expressives. Ce darwinisme musical a permis aux compositeurs de puiser dans leurs émotions personnelles pour créer des œuvres chargées de passion et de spiritualité. Ils ont ainsi utilisé la musique religieuse pour explorer des thèmes de foi personnelle, de doute et de rédemption. L‘Ave Maria a trouvé une résonance particulière durant cette période où se conjuguaient la tradition religieuse et les aspirations esthétiques de l’époque, incarnant ainsi l’esprit de renouveau qui animait la musique romantique.

Mariage d’époques

L’Ave Maria de Charles Gounod (1818-1893) en est un exemple probant. Cette œuvre musicale marie, avec finesse, l’harmonie baroque de Jean-Sébastien Bach à une mélodie séduisante et expressive du compositeur français. Il s’agit, en effet, d’une méditation improvisée au piano, par Gounod, sur le Prélude no1 en ut majeur (BWV 846) du premier livre du Clavier bien tempéré (1722) de Bach. D’une simplicité parfaite, ce prélude est constitué d’une succession d’arpèges empreinte de sérénité et de contemplation. "Un portail, une voûte d’entrée menant au temple". Inspiré par sa structure harmonique, Gounod y greffe sa mélodie en 1853 et ajoute des paroles à sa composition en 1859. Cependant, le premier texte adopté n’est nullement celui de l’Ave Maria, mais plutôt un poème d’Alphonse de Lamartine (1790-1869), intitulé Vers sur un album. Au cours de la même année, Gounod opte finalement pour les paroles de ladite prière catholique, qui deviendra indissociable de son œuvre musicale. La juxtaposition entre la structure harmonique stable et la ligne mélodique mouvante reflète une sorte de dialogue spirituel, accentuant le caractère sacré et solennel de la prière.

Dans la vidéo ci-dessous, la mélodie de Gounod est mise en valeur par le célèbre violoncelliste américain, Yo-Yo Ma. Elle évolue gracieusement au-dessus des arpèges bachiens que Kathryn Stott interprète au piano.

Musique profane ou religieuse?

L’Ave Maria de Franz Schubert (1797-1828) est probablement la musique mariale la plus célèbre du répertoire romantique. Toutefois, le compositeur autrichien n’a jamais réellement composé une pièce intitulée "Ave Maria". En 1825, il écrit une série de lieder (poèmes germaniques chantés) basés sur La Dame du lac, un poème narratif d’un écrivain écossais, nommé Walter Scott (1771-1832). Cette œuvre littéraire narre l’histoire poignante d’Ellen Douglas, également connue sous le nom de la dame du lac, qui trouve refuge dans une grotte des Highlands de l’Écosse occidentale. Dans un moment de détresse, elle implore la Vierge Marie de lui venir en aide. Cette scène émouvante, où Ellen entonne sa prière (le Chant d’Ellen III dans l’œuvre de Schubert), débute par les mots "Ave Maria". Et c’est justement cette salutation mariale qui a donné lieu à l’idée (erronée) répandue selon laquelle cette pièce musicale est une interprétation de la prière catholique traditionnelle. La beauté intrinsèque de la mélodie, sa capacité à évoquer des sentiments de paix et de dévotion, et l’ingéniosité des modulations harmoniques schubertiennes ont largement contribué à la popularité de cet air en dehors de son contexte théâtral. Par la suite, il a été adapté à la prière traditionnelle de l’Église catholique romaine.

Dans la vidéo ci-dessous, le ténor italien, Luciano Pavarotti (1935-2007) interprète brillamment le chef-d’œuvre schubertien. On admire la plénitude de sa voix charnue, la maîtrise sans faille de sa projection, l’homogénéité de sa ligne mélodique, la netteté de sa diction, la clarté de son timbre, la pertinence de son vibrato et la noblesse de sa stature, un ensemble que seul Pavarotti détient le secret.

Art du piano

Plusieurs compositeurs ont réalisé des arrangements musicaux de l’Ave Maria de Schubert. On retiendra particulièrement celui (S. 558) de Franz Liszt (1811-1886) pour piano solo. Le compositeur hongrois était particulièrement réputé pour ses arrangements virtuoses d’œuvres d’autres compositeurs, notamment ses transcriptions pour piano solo (S. 464) des symphonies de Beethoven. Dans son arrangement de l’Ave Maria de Schubert, Liszt redéfinit la virtuosité pianistique et l’élève à de nouveaux sommets, sublimant ainsi l’art du piano du XIXe siècle. En intégrant des cascades d’arpèges, des octaves tonitruantes et en élaborant des enchaînements harmoniques tant riches, complexes qu’ingénieux, il dépeint des paysages sonores d’une profondeur remarquables. Connu pour sa piété et son dévouement religieux, Liszt a réaffirmé sa dévotion envers la Vierge Marie en composant ou en arrangeant différentes versions de l’Ave Maria. Parmi celles-ci, on pourrait citer, à titre d’exemple, sa première œuvre mariale datant de 1846 pour chœur à huit voix et orgue (S. 20) ainsi que ses compositions ultérieures, telles que son Ave Maria pour piano solo de 1869, connu sous le nom de Les Cloches de Rome (Die Glocken von Rom, S.182), réarrangé pour chœur à 4 voix et orgue (S. 38). Sans oublier son arrangement de l’Ave Maria de Jacques Arcadelt (1504-1568), un compositeur de la Renaissance qui était également chanteur dans le chœur papal.

Dans la vidéo ci-dessous, le pianiste franco-chypriote, Cyprien Katsaris, livre une lecture poignante de l’arrangement lisztien (S. 558) de l’Ave Maria de Schubert.

Moment de transfiguration

Une autre adaptation de l’Ave Maria de Schubert qui mérite également une attention particulière est la Fantaisie de Naji Hakim (né en 1955). Les compositions de l’organiste et compositeur libanais sont parvenues à se forger une place d’exception au sein du répertoire contemporain de la musique d’art occidentale. Sa Fantaisie sur un lied de Franz Schubert (tant dans sa version pour orgue que dans celle pour orchestre et chœur) exhale une exubérance harmonique, dont seul un organiste de renom comme Hakim en détiendrait le secret. Les enchaînements mélodico-harmoniques se succèdent avec subtilité, immergeant l’auditoire dans un paysage sonore tour à tour lumineux et sombre, aux mille nuances tamisées. Certains passages évoquent solennellement une immense foule de pèlerins de Notre-Dame de Paris déclamant l’antienne mariale, tandis que d’autres, plus dynamiques, rappellent l’image des ailes frémissantes des anges-pèlerins. Après un épisode tumultueux figurant la supplication, un moment de contemplation divine s’installe. Un moment serein, apaisant, réconfortant. Un moment de transfiguration qui hantera l’esprit de tout auditeur attentif, bien au-delà des derniers accords.

Tradition orthodoxe

Un recensement exhaustif des Ave Maria des périodes romantique, postromantique, moderne et contemporaine serait tout simplement impossible. Ainsi, il serait pertinent de mettre finalement en lumière l’Ave Maria d’Antonín Dvořák (1841-1904) pour contralto et orgue (B.068), et celui de Félix Mendelssohn (1809-1847) pour chœur à huit voix (opus 23/2). De plus, il convient d’explorer les compositions suivant la tradition orthodoxe russe, notamment le sixième mouvement des Vêpres opus 37 (intitulé Réjouis toi, Vierge) de Sergueï Rachmaninov (1873-1943), l’Ave Maria d’Igor Stravinsky (1882-1971) pour chœur à 4 voix (HH.57) et celui d’Arvo Pärt (né en 1935). Ce dernier, intitulé Bogoróditse Djévo (Réjouis toi, Vierge en français) puise son inspiration dans un texte en slavon d’église, extrait du Livre des prières orthodoxes. Cette concise prière musicale s’impose comme un cri de jubilation et se démarque nettement des différents Ave Maria catholiques à l’humeur lyrique. Les chants à quatre, voire à huit voix, de cette composition, les phrases à cheval entre le parlé et le chanté, ainsi que la résonance riche et joyeuse des accords parallèles, sont inspirés par les traditions musicales de l’Église orthodoxe russe.

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