
Palantir, spécialiste américain de l'analyse des données et de l'intelligence artificielle (IA), utilisé aussi bien par des banques, des hôpitaux, le gouvernement des États-Unis et l'armée israélienne, affiche haut et fort sa culture d'entreprise virile et décomplexée, de plus en plus typique dans la Silicon Valley.
«Nous voulons et avons besoin que ce pays reste le plus fort au monde», a récemment déclaré Alex Karp, le patron de Palantir, lors d'une conférence pour les clients de la société à Palo Alto (Californie), où l'AFP était le seul média présent.
Dans les conflits armés, les outils de Palantir permettent notamment d'évaluer des cibles potentielles en temps réel, en croisant des renseignements, des données biométriques aux appels téléphoniques.
«Je suis extrêmement fier de ce que nous faisons sur le champ de bataille, pour protéger nos soldats, sécuriser les données, (...) tuer nos ennemis et leur faire peur, parce qu'ils savent qu'ils seront tués», a continué le milliardaire aux boucles grisonnantes et t-shirt blanc moulant.
Très secrète à ses débuts, l'entreprise affiche désormais ses couleurs dans l'Amérique de Trump.
Washington le lui rend bien. Au premier trimestre, l'entreprise a perçu 373 millions de dollars en contrats gouvernementaux, un bond de 45% sur un an.
Au printemps, la police fédérale de l'immigration (ICE) a attribué à Palantir un nouveau contrat de 30 millions de dollars pour le développement d'une nouvelle plateforme de suivi des expulsions, des dépassements de visa et des départs volontaires des immigrés illégaux.
«Drogue»
La firme a aussi décroché un contrat d'1,3 milliard de dollars, payé en deux fois par l'armée américaine pour une plateforme IA d'identification de cibles.
Son action a doublé depuis le début de l'année, propulsant Palantir parmi les 20 sociétés américaines les plus valorisées.
Mais les résultats financiers «ne seront jamais la mesure ultime de la valeur de notre activité», a déclaré Alex Karp dans sa lettre aux actionnaires début mai, où il cite pêle-mêle Saint-Augustin, la Bible, Michel Houellebecq et Richard Nixon.
«Nous poursuivons des objectifs plus ambitieux et plus singuliers.»
Créée en 2003 par Peter Thiel, figure de la droite libertarienne de la Silicon Valley, Alex Karp et d'autres, avec le soutien de la CIA, Palantir a été baptisée ainsi d'après une pierre de vision magique dans l'univers de Tolkien.
«Les jeunes diraient que nous sommes comme la drogue pure, très chère, très recherchée (...) qui vous rend plus forts et meilleurs», a vanté Alex Karp sur scène.
Mais son utilisation au sommet de l'État inquiète.
Plusieurs membres de la commission «Doge» de réduction des dépenses, initialement chapeautée par Elon Musk, viennent de cette entreprise.
Le New York Times, Wired et CNN ont rapporté des projets gouvernementaux confidentiels pour créer, grâce à Palantir, une base centrale combinant les données issues de différentes agences fédérales.
«Résistances»
«Si le gouvernement obtient une visibilité totale dans les vies de toutes les personnes aux États-Unis, qui sait comment il utilisera ces informations au-delà des objectifs affichés de lutte contre la fraude et le gaspillage», s'alarme Elizabeth Laird, de l'ONG Center for Democracy & Technology.
Palantir assure de son côté ne pas «construire de technologie de surveillance» ou de «base de données centrale sur les Américains».
Sasha Spivak, directrice du développement stratégique, a raconté sur scène que ses collègues étaient il y a dix ans «audacieux et un peu agaçants» en interne, mais «secrets et timides» en public.
«Aujourd'hui nous n'avons pas honte, nous n'avons pas peur. Nous sommes profondément fiers de notre travail et de nos clients», a-t-elle lancé.
Sous l'influence de Peter Thiel et d'Elon Musk, et plus récemment de Mark Zuckerberg, patron de Meta, la Silicon Valley a pris ces derniers mois un virage tout en testostérone, glorifiant les «tech bros» («frères de la tech») et rejetant les objectifs de diversité.
Des salariés tentent de résister.
Début mai, 13 ex-employés de Palantir ont publié une lettre accusant «les géants de la tech» de participer à «normaliser l'autoritarisme sous couvert d'une ‘soi-disant révolution’ menée par des oligarques».
Ils estiment qu'en soutenant le gouvernement Trump et Doge, Palantir a trahi ses valeurs d'éthique, de transparence et de défense de la démocratie.
«Anéantir»
«Quand j'ai rejoint l'entreprise, c'était très enthousiasmant. C'est rare de se retrouver avec autant de personnes intelligentes et motivées», raconte un signataire de la lettre, qui souhaite rester anonyme par crainte de représailles.
Mais après plusieurs mois à demander des explications à la direction sur la collaboration de Palantir avec l'armée israélienne ou ICE, il démissionne, comme d'autres collègues.
Jeremy David, co-directeur de l'activité Santé au sein de la société, balaie les controverses.
«Mon quotidien, c'est plutôt des infirmières et des médecins qui nous détestent au début et sont très reconnaissants à la fin», assure-t-il à l'AFP à la conférence.
Sur scène, Joe Bonanno, haut responsable chez Citibank, se félicite qu'un processus bancaire qui nécessitait «neuf jours et parfois 50 personnes», ne prenne «plus que quelques minutes à un seul individu».
«Comme Alex (Karp) l'a dit, je suis venu pour dominer, écraser et anéantir. Désolé si vous êtes JPMorgan, Merrill Lynch ou Morgan Stanley», conclut-il avec un grand sourire, en référence à des banques concurrentes.
Certains clients potentiels avouent discrètement ne pas beaucoup apprécier les discours guerriers, mais ils ne voient pas d'alternative à Palantir.
Le chiffre d'affaires commercial du groupe a bondi de 71% au premier trimestre, à 255 millions de dollars.
Par Julie JAMMOT/AFP
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