Le Vieux Continent à Turnberry: compromis stratégique ou soumission assumée?
Le président américain, Donald Trump (à droite), et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (à gauche) s'adressent à la presse après avoir conclu un accord commercial entre les deux économies à l'issue de leur rencontre, à Turnberry, dans le sud-ouest de l'Écosse, le 27 juillet 2025. ©Brendan Smialowski / AFP

Un nouvel accord commercial entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis a été conclu dimanche à Turnberry, en Écosse, à l’issue de semaines de négociations tendues. Fixant un tarif de 15% sur la plupart des produits européens exportés vers le marché américain, le pacte a évité in extremis une guerre commerciale, mais laisse un goût amer à Bruxelles.

S’il marque une trêve tarifaire, cet accord alimente les critiques sur la faiblesse stratégique de l’UE et pose des questions de fond sur l’avenir du partenariat transatlantique.

Éviter l’escalade

Pour la Commission européenne, l’objectif immédiat était clair: empêcher le président américain, Donald Trump, d’imposer des droits de douane de 30% sur les importations européennes.

En échange d’un tarif uniformisé de 15% (au lieu des 10% précédemment appliqués), l’UE a accepté de lever certains de ses propres droits, notamment les 10% sur les voitures américaines, et de s’engager à acheter 750 milliards de dollars d’énergie américaine d’ici 2028, ainsi qu’à investir 600 milliards aux États-Unis.

La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a présenté l’accord comme un compromis salutaire.

Un accord asymétrique?

Mais derrière le soulagement se cachent des critiques de fond. Le Centre for European Policy Studies (CEPS) qualifie l’accord de «mauvais pour l’Europe, mais préférable à une guerre commerciale», tout en regrettant que l’Union soit passée «d’un monde sans tarif à un recul net».

De fait, l’accord entérine un tarif bien supérieur à celui obtenu par le Royaume-Uni, fixé à 10%. Pour le CEPS, cela s’explique par le fait que le Royaume-Uni soit moins ciblé par les États-Unis, en raison de son déficit commercial, contrairement à l’UE.

De son côté, le think tank américain Atlantic Council souligne que ce n’est pas un rapprochement, mais un coup de semonce stratégique: «L’accord de Turnberry a clairement démontré que l’UE ne doit plus s’attendre à aucune faveur de la part des États-Unis», selon le centre de recherche.

Réactions contrastées

Si certains pays comme l’Allemagne ou l’Italie ont salué l’accord, d’autres voix européennes sont virulentes. Le Premier ministre français, François Bayrou, a dénoncé «un jour sombre où une alliance de peuples libres se résigne à la soumission».

Pour leur part, le chancelier allemand, Friedrich Merz, et la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, ont accueilli positivement l’accord, tout en notant qu’il aurait un coût pour leurs économies respectives.

Un cadre flou

Ni traité formel, ni texte juridiquement contraignant, l’accord est un canevas politique qui reste à remplir. Selon le CEPS, cette nature ambiguë ouvre la voie à des malentendus: «Nous avons vu ce phénomène avec l’accord États-Unis–Japon, déjà interprété différemment par les deux parties. Il pourrait en aller de même ici.»

Des incertitudes pèsent aussi sur les secteurs sensibles. Atlantic Council rappelle que les médicaments et les semi-conducteurs restent soumis à des enquêtes américaines et que le tarif final sur ces biens n’est pas encore fixé.

Ursula von der Leyen a mentionné des réductions tarifaires supplémentaires sur les avions ou certains produits agricoles, mais la Maison Blanche n’en a pas fait état.

Incertitudes économiques

L’impact de l’accord reste difficile à mesurer. Le CEPS estime que le PIB européen pourrait reculer de 0,2% à 0,8%, avec des effets asymétriques selon les pays. L’Allemagne, l’Italie et l’Irlande, très exposées au marché américain, seraient les plus affectées.

Selon le think tank, une partie du coût pourrait être absorbée par les exportateurs européens, mais les hausses de prix pourraient aussi se répercuter sur les consommateurs américains. Le taux de change jouera aussi un rôle, et l’appréciation récente de l’euro aggrave temporairement la perte de compétitivité.

Quant aux promesses d’achat d’énergie et d’investissements, elles sont jugées peu réalistes par Atlantic Council. Les 750 milliards de dollars d’achats énergétiques promis par l’UE d’ici à 2028 représentent en moyenne 250 milliards par an, soit près de 75% de la totalité des exportations énergétiques américaines en 2024, qui s’élevaient à environ 332 milliards de dollars. Un tel volume impliquerait que l’UE absorbe la quasi-totalité des exportations américaines de pétrole, de gaz naturel liquéfié et de charbon, ce qui paraît hautement improbable selon le centre de recherche.

De même, les 600 milliards d’investissements européens évoqués par Washington semblent surtout compiler des projets déjà annoncés par de grandes entreprises, comme Volkswagen (20 milliards) ou AstraZeneca (50 milliards), sans qu’il s’agisse d’une initiative concertée de l’UE.

Une alerte stratégique pour l’Europe

«Ce type d’accord, basé sur le rapport de force et la pression, pourrait éloigner durablement l’Europe de son allié américain», avertit Atlantic Council. La défiance grandit à Bruxelles face à un partenaire jugé imprévisible et tactique.

Ursula von der Leyen a d’ailleurs insisté, lors de sa conférence de presse, sur les accords récents conclus par l’UE avec le Mexique, l’Indonésie, le Mercosur et l’Inde. Un signal clair que l’Europe cherche à diversifier ses débouchés commerciaux.

L’accord de Turnberry représente un tournant: s’il permet d’éviter le pire, il rappelle crûment que la relation transatlantique repose désormais moins sur la confiance que sur la transaction.

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