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Au lendemain de l’attaque meurtrière du Hamas, le 7 octobre dernier contre Israël, la République islamique de Téhéran remettait régulièrement sur le tapis le slogan guerrier de "l’unité des fronts", commanditée à l’évidence par les Gardiens de la révolution iranienne. Effectivement, le Hezbollah au Liban-Sud, les Houthis au Yémen et la "mobilisation populaire" (milice pro-iranienne) en Irak se lançaient dans la danse en faisant usage sans retenue de missiles sous prétexte de "soutenir le Hamas et diminuer la pression militaire israélienne à Gaza". Mais en réalité, il s’agissait de doter le régime des mollahs de cartes maîtresses pour s’imposer sur la scène régionale et renforcer sa position dans la perspective, le cas échéant, d’un éventuel marchandage avec les États-Unis.

Nous nous retrouvons aujourd’hui en quelque sorte dans une situation du type "l’arroseur, arrosé". "L’unification des fronts", Israël et la coalition internationale, conduite par les États-Unis, l’ont mise en pratique de manière spectaculaire en moins de vingt-quatre heures, dans trois zones sensibles: raid israélien en pleine banlieue sud, dans le bastion ultrasécurisé de Haret Hreik, ayant conduit à l’assassinat de celui qui était considéré comme le chef d’état-major du Hezbollah, Fouad Chokr, par ailleurs principal conseiller militaire du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah; attaque aérienne américaine dans la province de Babylone, au sud de Bagdad, contre un bastion de la "mobilisation populaire"; et, dans un fulgurant coup de théâtre, une frappe israélienne en plein cœur de… Téhéran, qui a abouti à la liquidation du chef du Hamas, Ismaïl Haniyé. Sans compter le raid aérien israélien qui a détruit, le 20 juillet, le principal port du Yémen, Hodeïda, tenu par les Houthis.

Parallèlement au rôle-clé, hautement stratégique, joué par les deux personnalités tuées ces dernières vingt-quatre heures, les trois attaques lancées par les États-Unis et Israël, revêtent, en soi, une indéniable dimension grandement symbolique dont la portée n’échappe à personne. Il s’agit là d’un triple message à caractère géopolitique à l’adresse de ceux qui affichent cette folle volonté guerrière d’"unifier les fronts". L’État hébreu a ainsi frappé au cœur d’une zone qui représente dans les faits la "capitale" du Hezbollah. Quelques heures plus tard, ce n’est autre que la capitale de la République islamique qui était la cible des Israéliens et, comme pour bien faire parvenir le "message", l’aviation US visait ce qui peut être considéré comme la "capitale" de la " mobilisation populaire ".

Trois bastions, trois "capitales", en quelques heures, avec un triple résultat dont les véritables retombées au niveau du paysage politico-militaire de la région sont, pour l’heure, difficiles à cerner avec grande précision, pour le moyen et long termes, au-delà des ripostes immédiates traditionnelles, généralement limitées quant à leur portée stratégique. Au stade actuel, ce qui pourrait s’avérer clair, c’est la conséquence de la frappe au sud de Bagdad, qui pourrait marquer, ou plutôt confirmer, la fin de la trêve que la milice irakienne inféodée à Téhéran avait proclamée en janvier dernier après une attaque contre une position américaine dans le désert jordanien, non loin de la frontière avec l’Irak et la Syrie.

Dans l’attente que se précise le dosage de la riposte que devrait peaufiner le régime des mollahs iraniens, l’attention se porte sur l’impact à long terme de la triple attaque. Ce qui s’est produit ces dernières vingt-quatre heures à Beyrouth, à Téhéran et, dans une moindre mesure, au sud de Bagdad, aurait-il pour finalité de paver la voie à un futur remodelage du paysage macro-politique et militaire, au niveau palestinien notamment, en vue d’un possible package deal régional global, qui s’inscrirait peut-être même (il n’est pas interdit de rêver…) dans le sillage de l’élection d’un président qualifié de "modéré" en Iran? Ou bien, au contraire, la liquidation, dans des conditions humiliantes pour le camp des Pasdaran, de Fouad Chokr et d’Ismaïl Haniyé, poussera-t-elle les Gardiens de la révolution iranienne (et consorts), à développer leur jusqu’au-boutisme – stérile, irrationnel et irréfléchi – jusqu’à ses derniers retranchements afin de booster leur projet idéologique d’exportation de la révolution en accentuant la déstabilisation et la déconstruction de leur espace vital au Moyen-Orient?

L’heure de vérité a sans doute sonné à cet égard pour les acteurs de la région; ou elle est sur le point de l’être… Dans l’espoir que les populations, et plus particulièrement les Libanais, ne fassent pas, une fois de plus, les frais de la démence meurtrière de dirigeants qui ne connaissent ni limites, ni frontières.