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Dans les lettres aux sept Églises d’Asie du livre de l’Apocalypse, s’adressant à l’Église de Philadelphie, Jésus proclame: "Le vainqueur, je le ferai colonne dans le temple de mon Dieu; il n’en sortira plus jamais, et je graverai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel et le nom nouveau que je porte". C’est l’une de ces colonnes que le Saint-Siège vient de déclarer bienheureux, en la personne du patriarche Estéphan Douaihy.

Dans la messe de béatification du patriarche, le cardinal Marcello Semeraro nous a parlé d’"une manière d’être Église" incarnée par le patriarche. Elle mérite commentaire. Durant sa vie, le patriarche Douaihy, malgré son sens très fort de la "fraternité catholique", inévitable dans le contexte de la Contre-réforme, a jeté les "semences" de ce que le Liban d’aujourd’hui incarne: un modèle de tolérance et de pluralisme pour l’Orient et l’Occident, aussi bien sur le plan de la vie quotidienne, que sur celui du système politique. Dans le lointain passé où il a vécu, son ouverture aux autres communautés, en particulier à la communauté druze, en est un éclatant exemple. C’est ainsi qu’il séjourna trois années durant à Majdel-Méouch (Chouf), fuyant l’arbitraire et l’avidité fiscale des féodaux du Liban-Nord. On finit même, dans cette région, à le considérer comme un "cheikh".

"Quand Benoît XVI est venu ici au Liban, a affirmé le cardinal Semeraro, il rappela que l’intérieur du temple construit par Salomon était aménagé avec du bois de cèdre du Liban. Le Liban était présent dans le Sanctuaire de Dieu, a-t-il dit. Le patriarche Béchara Boutros Rai s’en souviendra, parce qu’il était présent. Le pape ajouta ces paroles que nous réentendons aujourd’hui avec tant d’espérance: "Puisse le Liban d’aujourd’hui, et ses habitants, continuer à être présents dans le sanctuaire de Dieu! Puisse le Liban continuer à être un espace où les hommes et les femmes peuvent vivre en harmonie et en paix les uns avec les autres pour donner au monde, non seulement le témoignage de l’existence de Dieu, mais également, celui de la communion entre les hommes, quelle que soit leur sensibilité politique, communautaire et religieuse!" (Discours de congé, 16 septembre 2012).

C’est cela "la manière d’être Église" dont parle le président du Dicastère pour la cause des saints, et c’est sur elle que l’on doit insister si l’on veut faire de la béatification de Douaihy un moment national, et non un moment de chauvinisme maronite, voire de folklore nordiste.

En leur donnant une mémoire commune, le patriarche historien a permis aux maronites de se projeter dans l’avenir. Non pas, bien sûr, dans le "Grand-Liban" de son lointain successeur, mais certainement dans le "sens" du courant que prendra l’histoire durant les deux siècles qui suivront sa propre mort à l’aube du 18e siècle (1704).

Pour les maronites, le 17e siècle fut une sorte de gestation embryonnaire, concomitante, d’identité communautaire et d’ouverture pluraliste. Les autres communautés formant le Liban feraient bien de garder les yeux fixés sur cette donnée. C’est peut-être en ne tenant pas compte de cette concomitance que le Hezbollah va à contre-courant de l’histoire et s’exclut de l’unité nationale.

Quoi qu’il en soit, en "voulant" le Grand Liban, les maronites se sont épargnés, peut-être sans s’en rendre compte, la tentation de l’Église-nation où sont tombés d’autres groupes humains plus typés. Au contraire, en s’ouvrant à la langue arabe, en acceptant la convivance avec d’autres groupes humains, parfois hétérogènes, ils se sont choisi – et c’est heureux –, un destin pluraliste marqué par la tolérance et le respect mutuel. Certes, les maronites peuvent être par moments désagréables. Parfois, justement, ils n’ont pas " la manière d’être Eglise " que l’on attend d’eux. Leur christianisme est politique, il lui manque la dimension prophétique, missionnaire. Mais il faut toujours compter sur le fait que leur foi et leur culture, tant qu’elles seront vivantes, tant qu’elles ne seront pas édulcorées par les fêtes à répétition, les tireront vers le haut.

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