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"Une journée du tonnerre!". Le cardiologue Nazih el-Adem est enthousiasmé par les résultats de sa visite au Vatican. Et cette satisfaction est partagée par tous les parents de victimes de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, que le pape François et le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, ont longuement reçus hier (26 août) au Vatican. Déterminée au possible à lutter contre l’impunité, la délégation a été galvanisée par l’assurance que le Vatican va peser de tout son poids pour que la lumière soit faite sur cette affaire et que ses victimes reçoivent justice.

Ils étaient vingt à être accueillis par le Pape, dans la salle du Consistoire, venus du Liban profond et de tous les horizons sociaux. Il y avait là, en particulier, certains des principaux porte-paroles des parents de victimes, comme l’avocate Cécile Roukoz et l’intrépide William Noun. Le cardiologue Nazih el Adem, inconsolable depuis qu’il a perdu sa fille Krystel dans le drame, s’est exprimé en leur nom, décrivant en termes vivides la dévastation physique des victimes de l’explosion  du nitrate d’ammonium entreposé "anonymement" et sans protection adéquate.

"En cette nuit du 4 août, le Guernica de Picasso (NDLR: fresque paroxystique dépeignant les atrocités commises par les bombardements nazis) est devenu réalité, a-t-il dit (…) Victimes aux crânes fracassés, mortes d’hémorragie cérébrale et d’autres au thorax écrasé, mortes d’hémorragies thoraciques; des personnes aux carotides sectionnées par les éclats de vitres; des pompiers et des secouristes volatilisés par le souffle de l’explosion dont il n’est resté que des lambeaux de chair à enterrer "avec dignité"; des corps décapités restés méconnus; des milliers de blessés et de handicapés; des dizaines de milliers de personnes sans abri; des victimes de tout âge, traumatisées à vie.

"À un officier nazi qui, au cours d’une exposition, contemplait sa fresque et demandait au peintre ‘c’est vous qui l’avait fait?’ Picasso a répondu du tac au tac: ‘Non, c’est vous’. Telle a toujours été notre réponse à nos gouvernants qui, à ce jour, ont toujours refusé de reconnaître leur part de responsabilité dans ce crime en occultant toute la vérité (…), s’acharnant à faire d’un pays de saints, un pays d’assassins; à faire du Liban un pays de voleurs, et non de valeurs!".

Dans la salle de réunion se trouvaient notamment Paul et Tracy Najjar, les parents d’Alexandra (3 ans), que le Pape citera dans son discours: "Avec vous, je fais mémoire de tous ceux dont la vie a été emportée par cette terrible explosion. Le Père céleste connaît leurs visages, un par un, ils se tiennent devant Lui; je pense au visage de la petite Alexandra. Du ciel, ils voient vos peines et prient pour qu’elles cessent."

Pour Ici Beyrouth, le Dr Nazih insiste sur le fait qu’il n’est pas là seulement en son propre nom, mais aussi aux noms de tous ceux dont les moyens ne permettaient pas de venir, ainsi que de tous ceux que l’intimidation a poussés à faire profil bas. Il y a là quand même un druze, Ajwad Chaya, précise-t-il, dont le fils Jawad a été tué dans l’explosion, ainsi que trois représentants de la communauté arménienne.

Et le praticien d’ajouter que, parmi les 245 victimes du drame (chiffre actualisé, mais non définitif, puisque certains grands blessés continuent de souffrir le martyre dans les hôpitaux ou chez eux), il en est au moins 50 qui sont de nationalité étrangère. "Leurs gouvernements s’intéressent aux résultats de l’enquête et entreprennent les démarches nécessaires pour que la lumière soit faite sur ce drame et que les coupables soient justement sanctionnés", a-t-il dit.

Le Dr El-Adem remettra au pape et au cardinal Parolin des exemplaires d’ouvrages publiés sur le drame, notamment Beyrouth Mon Amour, le collectif dirigé par Belinda Ibrahim.

François: "Avec vous, je demande vérité et justice"

"C’est avec émotion que je vous rencontre, ont été les premiers mots d’accueil du pape. J’ai tant prié pour vous et pour vos proches et je prie encore, unissant mes larmes aux vôtres. Aujourd’hui, je remercie Dieu de me permettre de vous rencontrer et de vous exprimer ma proximité en personne. Avec vous, je demande la vérité et la justice, qui n’est pas arrivée: vérité et justice (…) Quatre années se sont écoulées; le peuple libanais, et vous en premier, avez droit à des paroles et à des actes qui font preuve de responsabilité et de transparence.

Le pape devait également redire sa douleur de voir la guerre prévaloir dans la région. "Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé. La guerre est toujours un échec, un échec de la politique, un échec de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal."

"Le Liban, dira-t-il encore, doit rester un projet de paix (…) Sa vocation est d’être une terre où les diverses communautés cohabitent en faisant passer le bien commun avant les avantages particuliers, où les différentes religions et confessions se rencontrent dans la fraternité."

Quelques minutes avec chacun

Le pape devait réserver à ses hôtes la surprise de leur serrer la main et de passer quelques minutes avec chacun d’eux. La petite foule devait ensuite assister à une messe célébrée par le cardinal Pietro Parolin dans la chapelle Paolina et concélébrée par le prêtre libanais Victor Assouad, ancien provincial jésuite au Moyen-Orient. Une délégation de la brigade des pompiers du Vatican a assisté à l’office, en hommage aux pompiers libanais qui ont donné leur vie dans ce drame.

Le cardinal a rappelé aux présents qu’il avait été spécialement envoyé par le pape, le 3 septembre 2020, et qu’il avait pu "lire sur les visages" des Libanais leur immense douleur. "Cette explosion a brisé l’espérance de beaucoup et a fait sombrer l’économie du pays qui était déjà précaire depuis plusieurs années", a-t-il souligné.

"Mais, vous n’êtes pas seuls! Le Liban n’est pas seul, s’est-il exclamé.  À votre demande de faire la lumière  sur ce qui s’est passé au port de Beyrouth, le 4 août 2020, s’associe la même demande du pape et du Saint-Siège: que la vérité se fasse, que justice se fasse. J’exhorte tous ceux qui peuvent faire quelque chose à faire en sorte que cet appel soit entendu." Une longue réunion avec le cardinal Parolin a suivi l’office divin, au cours de laquelle tous ceux qui le souhaitaient ont pris la parole, faisant la lumière en particulier sur les obstacles légaux et illégaux mis au travail du juge d’instruction Tarek Bitar.

De source concordantes, on insiste sur le fait que les mots d’assurance et de réconfort entendus hier seront traduits en actes, et que "la démarche des parents des victimes obtiendra l’écho qu’elle mérite auprès des instances internationales".

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