Les homélies dominicales du patriarche maronite Béchara Raï et du métropolite de Beyrouth Elias Audi ont été aussi virulentes que directes, critiquant ouvertement le mandat du président de la République Michel Aoun et appelant les électeurs à ne pas boycotter les élections et à y participer massivement pour effectuer un changement radical au sein de la Chambre.

À presque quarante jours de la tenue des élections législatives (prévues le 15 mai 2022), les autorités morales et religieuses chrétiennes du pays ont haussé le ton vis-à-vis de la classe politique dirigeante — qui a failli à ses responsabilités – mais aussi vis-à-vis des électeurs, qui devront faire le bon choix lors de l’ouverture des urnes.

Les homélies dominicales du patriarche maronite Béchara Raï et du métropolite de Beyrouth Elias Audi ont été aussi virulentes que directes, critiquant ouvertement le mandat du président de la République Michel Aoun et appelant les électeurs à ne pas boycotter les élections et à y participer massivement pour effectuer un changement radical au sein de la Chambre.

Le patriarche Raï a déclaré dans ce cadre que " les prochaines législatives seront déterminantes pour le Liban " ; il a mis en garde contre les slogans populistes auxquels ont recours certains candidats pour séduire l’électorat, en scandant que " voter signifie changer". En effet, ces élections seront cruciales, puisqu’elles permettront la formation d’une nouvelle Assemblée nationale qui aura pour principale mission non seulement d’élire le successeur de Michel Aoun, mais aussi de ratifier les accords avec le FMI et des accords en rapport avec la délimitation de la frontière maritime avec Israël. Ces trois jalons, d’importance capitale, ne devront pas tomber entre les mains de parties qui œuvrent sans relâche afin d’obtenir une nette majorité au Parlement, dans le but de changer l’identité du Liban et de légaliser la mainmise iranienne sur le pays. Le patriarche a ainsi exhorté le prochain président de la République d’être " un président pour tous les Libanais", en lançant une pique à peine voilée au président actuel, souvent accusé de favoriser ses partisans, et dont le mandat est fortement critiqué et impopulaire.

Quant à Mgr. Audi, il a appelé la population à se soulever contre la classe dirigeante dans les urnes, stigmatisant de la sorte la majorité au pouvoir ; il a exhorté les Libanais à " ne pas se soumettre à l’intimidation ou à baisser les bras à cause des menaces, de la faim et des contraintes croissantes du quotidien "; il a invité également les électeurs à " exercer leur droit de vote en toute transparence, sans se laisser soudoyer et sans faire preuve d’allégeance, mais en se fixant pour objectif le salut du pays ". Et Mgr. Audi d’insister sur l’importance " existentielle " de l’échéance de mai " qui ne doit pas être une étape passagère " dans la vie des Libanais.

Les réactions

Par ailleurs, les propos du patriarche Raï et du métropolite Audi ont été salués par plusieurs responsables politiques du camp souverainiste, autrefois connu sous le nom du 14 Mars. " Le discours du patriarche a encore une fois indiqué son refus d’un vide institutionnel – qu’il soit présidentiel et / ou gouvernemental – au lendemain des législatives. Mgr Audi a souligné en outre la nécessité pour la prochaine majorité parlementaire d’assumer ses responsabilités et d’œuvrer pour le changement du système politique qui mènera à un début de résolution de crise ", explique un politologue proche des Forces libanaises.

Un avis clairement partagé par l’ancien Premier ministre, Fouad Siniora, qui a indiqué à Ici Beyrouth que " le président fort est celui qui est considéré fort par tous, et qui respecte la Constitution ". Et d’ajouter : " Il y a un besoin pressant de mettre en place des réformes, car chaque jour de retard signifie un mois supplémentaire de coûts et de difficultés à supporter. Il faudra voter en masse aux prochaines élections pour les personnes accordant la priorité à la souveraineté, l’indépendance, la liberté et l’application de la Constitution. L’enjeu est de taille et si, par malheur, nous commettons une erreur cette fois-ci, elle sera irréversible et destructrice pour le Liban ", a-t-il conclu.

Quant au député sortant Moustapha Allouche, il a estimé que " les deux autorités religieuses chrétiennes sont clairement opposées aux politiques de M. Aoun sur plusieurs dossiers ", précisant que " les autorités religieuses sunnites et druzes sont du même avis ". M. Allouche a déploré que ces propos " ne dissuadent pas le Hezbollah et le président d’adopter des positions néfastes pour le Liban ".

Toutefois, un autre type de réaction a été recensé par une source proche du Courant patriotique libre (CPL) qui a perçu les homélies de Mgr. Raï et Mgr. Audi sous un autre angle. " Chacun interprète les choses à sa façon, c’est une question de perspective ", précise-t-il concernant les allusions faites à l’égard du CPL. " Que peut faire le président avec les prérogatives dont il dispose ? ", s’interroge la source aouniste en guise de réponse aux nombreuses critiques visant le mandat présidentiel de Michel Aoun.

" Après 17 ans d’expérience politique, je peux affirmer qu’il y a bel et bien un problème dans notre système politique, malgré le fait que nous l’avons essayé sous toutes ses formes, en tant que minorité et en tant que majorité ", souligne la source susmentionnée, notant qu’il n’y aura pas de majorité parlementaire au vrai sens du terme après les législatives (comme c’est le cas dans les pays européens), " mais plusieurs minorités qui se mettront d’accord sur certains points ".

Quoi qu’il en soit, les prochaines élections législatives seront cruciales et déterminantes pour le Liban, qui traverse la pire crise politique de son histoire. La nouvelle Chambre devra être à la hauteur des enjeux politiques, économiques et sociaux, et des attentes des Libanais, pour pouvoir sortir le pays des Cèdres de l’abîme et le replacer sur la scène internationale.