La nonciature n’aurait pour l’heure reçu aucune instruction sur une visite du pape, annoncée pourtant par Baabda contre toutes les règles protocolaires.  

Une annonce faite unilatéralement par le chef de l’État libanais Michel Aoun, fixant à juin une visite du pape François au Liban, qui n’est pourtant qu’officieusement prévue et sans date claire pour l’instant, a vite été tempérée par une précision du porte-parole du Saint-Siège sur les réseaux sociaux. Cela n’a pas été sans susciter une série de questionnements sur les motifs de Baabda de déroger au protocole du Vatican, qui a seul l’initiative d’annoncer une visite du pape, ainsi que sa date et son programme.

Dans les faits, le directeur du bureau de presse du Saint-Siège a annoncé mardi en fin de journée qu’un déplacement du pape François au Liban était toujours "une hypothèse à l’étude", quelques heures après l’annonce controversée de la présidence libanaise. Celle-ci avait indiqué en milieu de journée sur son compte Twitter que "le nonce apostolique, Mgr Joseph Spiteri, a informé le président de la République Michel Aoun que le pape François se rendra au Liban en juin", pour une visite tant attendue par la population.

La précision du Vatican, diffusée à 19h50 heure locale, une "heure très peu habituelle pour le bureau de presse", révèle à la fois l’urgence de devoir rectifier la version fournie par Baabda, et le souci du Vatican de trouver les bons mots, selon un journaliste sur place contacté par Ici Beyrouth.

La question est d’autant plus sensible que le pape entendrait effectivement se rendre au Liban, mais ferait en sorte d’éviter toute récupération politique de sa visite, de sources concordantes proches du Vatican.

Le tweet de la présidence a fait suite à la visite mardi à Baabda du nonce apostolique qui a transmis au chef de l’État une lettre écrite du pape. Cette lettre est décrite par Baabda comme confirmant la date de la visite annoncée, ce qu’une source informée de la diplomatie du Vatican contactée par Ici Beyrouth met sérieusement en doute. "Il est de coutume que le pape adresse une lettre de remerciements à tout chef d’État qui lui rend visite et la lettre que le nonce apostolique a remise au président Aoun était un remerciement pour sa visite au Vatican le 22 mars dernier", selon cette source.

Si une visite possible a été évoquée entre les deux parties, il paraît invraisemblable qu’une date précise ait été communiquée au chef de l’État dans la lettre en question, ajoute-t-elle. "Aucune date n’a été mentionnée lors de la visite de Michel Aoun", assure pour sa part le journaliste basé au Vatican.

Rien d’officiel parvenu à la nonciature

Communiquer la date dans une lettre de remerciements contreviendrait à la démarche adoptée par le Vatican, seul compétent à confirmer officiellement la visite du pape, et d’en annoncer ultérieurement la date.

Or, la confirmation officielle de la visite ne s’est toujours pas faite. Seul le secrétaire pour les relations avec les États de la secrétairerie d’État du Vatican, l’archevêque Paul Richard Gallagher, a annoncé en février dernier aux membres du corps diplomatique accrédités auprès du Saint-Siège que le pape François pourrait se rendre au Liban avant la fin de l’année.

En outre, la nonciature apostolique au Liban n’aurait pour l’heure reçu "aucun avis",  aucune instruction" sur une visite du pape, même si cela n’exclut pas le souhait de ce dernier de se rendre au pays du Cèdre, révèlent plusieurs témoins informés de la diplomatie du Vatican.

Aux yeux d’observateurs étrangers basés au Vatican, Michel Aoun a semble-t-il voulu faire pression sur le Saint-Siège par les voies médiatiques, pour que la visite du pape ait lieu en juin.

Opération marketing

Le président Aoun parierait sur une telle visite pour se renflouer sur la scène chrétienne. Son annonce contre toutes les règles protocolaires serait une tentative de récupération de la visite du souverain pontife avant les législatives de mai. Une récupération qui aurait commencé d’ailleurs avec la visite au Vatican de Michel Aoun, de l’avis d’observateurs proches du Saint-Siège.

Cette visite a fait suite à la déclaration de Mgr Gallagher sur la possibilité que le pape se rende au Liban, sans qu’il ne soit clair si le pape effectuerait le cas échéant une visite pastorale ou d’État, le second cas rendant plus aisé une récupération politique de la visite par le président de la République. Le fait que le nonce apostolique n’ait pas accompagné le président libanais au Vatican, selon nos informations, serait le signe du caractère non officiel de la visite de Michel Aoun, et l’indice que la visite du pape pourrait n’être que pastorale, sur invitation du patriarcat maronite plutôt que de la présidence.

La visite de Michel Aoun au Vatican n’aurait été qu’ "une visite privée, de courtoisie, non d’État", facilitée par l’ambassadeur du Liban auprès du Saint-Siège, Farid Élias el-Khazen, ancien député du Courant patriotique libre et proche du président de la République. Des témoins rapportent d’ailleurs que les milieux du Vatican semblent même réduire la démarche du président libanais à sa stricte dimension de marketing politique.

"L’acharnement du Hezbollah"

Outre la récupération électorale qu’elle sous-entend, l’action de la présidence libanaise servirait surtout un forcing diplomatique, presque "un acharnement", par lequel le Hezbollah entend faire contrepoids au Vatican sur le dossier libanais au niveau international, rapporte un acteur civil proche du Vatican.

Il rappelle que Michel Aoun avait pris la défense du parti armé au Vatican en le présentant comme protégeant les chrétiens du Liban, dans une interview à la presse italienne. Et qu’au Liban, les médias répondant du Hezbollah, ont mené une campagne sur une prétendue réorientation de la politique du Vatican en faveur du parti pro-iranien.

Or, c’est en partie grâce au modèle de gestion du pluralisme que le Liban serait d’intérêt pour la diplomatie du Vatican. Précisément, par Taëf en tant que modèle constitutionnel basé sur un partenariat islamo-chrétien, fondé sur une idée d’équilibre et de complémentarité plutôt que de rivalités identitaires. Un modèle qui pourrait donner "sa forme concrète" au Document sur la fraternité humaine d’Abou Dhabi du 4 février 2019, signé par le pape François et le grand imam d’al-Azhar, Aḥmad al-Ṭayyeb. Un modèle qui passe aussi par la neutralité, défendue par Bkerké. Et que relaie le Vatican avec de plus en plus d’efficacité, face à une partie pro-iranienne qui aurait intérêt à le circonscrire…

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