Le mandat d’arrêt international émis la semaine dernière par un magistrat de Nanterre à l’encontre de Carlos Ghosn dans une enquête pour abus de biens sociaux, blanchiment en bande organisée et corruption est l’aboutissement d’une coopération judiciaire difficile entre la France et le Liban.

"Il est évident qu’à partir du moment où la justice française demande à me parler, je me présenterai à la justice française. Je n’ai rien à me reprocher", avait assuré Carlos Ghosn depuis Beyrouth, en janvier 2020, après sa fuite du Japon où il devait être jugé pour malversations financières aggravées.

Rapidement après son arrivée, le patron déchu s’est vu retirer son passeport avec interdiction de quitter le Liban en raison de l’enquête japonaise le visant.

"On a l’air de considérer que je suis libre (…) Je dépends de la justice libanaise. C’est elle qui m’interdit de quitter le territoire", a affirmé sur BFMTV le 22 avril l’ancien grand patron âgé de 68 ans.

Ces difficultés procédurales étaient prévisibles puisqu’il n’existe pas de convention judiciaire entre le Liban et la France. "Malgré ses déclarations, tout semble suggérer que Carlos Ghosn organise soigneusement, méticuleusement, son inaccessibilité" en choisissant, fin décembre 2019, de se réfugier au Liban, tacle une source française proche du dossier.

Le Liban n’extrade pas ses ressortissants et M. Ghosn avait affirmé avoir choisi Beyrouth pour rejoindre sa femme.

A l’issue de négociations avec ses avocats et le parquet libanais, des magistrats de Nanterre et Paris ont pu se rendre à Beyrouth, en juin 2021, pour entendre Carlos Ghosn dans le cadre d’une entraide pénale internationale. Avant et après l’audition libre, sa défense avait assuré souhaiter sa mise en examen afin que son client puisse formuler, notamment, des requêtes en nullité.

Sauf que M. Ghosn n’a pas entrepris de "démarche positive" pour obtenir une levée de son interdiction de quitter le territoire afin de comparaître devant le juge d’instruction, estime le parquet de Nanterre, contacté par l’AFP. Pour Jean Tamalet, un de ses avocats, il s’agit plutôt d’un échec à "se mettre d’accord sur une solution procédurale" entre le juge d’instruction de Nanterre et le parquet libanais.

Après l’audition de M. Ghosn, la justice libanaise a refusé d’accorder à l’ancien PDG une autorisation temporaire pour se rendre à une convocation du juge d’instruction en décembre dernier – alors que ses avocats la réclamaient, assure Me Tamalet.

"Le parquet général de la Cour de cassation (libanaise) a refusé, car la décision de l’empêcher de voyager dans le cadre du dossier japonais est toujours en vigueur", explique à l’AFP un membre du parquet libanais. "S’il lui avait été permis de quitter le Liban, cela aurait signifié que nous avions tacitement accepté de le livrer", a-t-il estimé.

Le parquet libanais a ensuite refusé de procéder à une notification de ses charges, comme le souhaitaient les magistrats de Nanterre lors de leur second déplacement à Beyrouth.

"C’est contraire à la loi libanaise", a justifié la source au parquet libanais: "un corps judiciaire étranger ne peut pas juger un citoyen libanais sur le territoire libanais".

Le juge d’instruction français a donc émis un mandat d’arrêt pour acter les charges qui pèsent contre Carlos Ghosn et demandé son interpellation.

Si cette dernière avait lieu, l’étape suivante serait normalement la demande d’extradition, mais une fois encore, le Liban n’extrade pas ses ressortissants.

Si l’enquête aboutissait à un renvoi devant le tribunal correctionnel, M. Ghosn pourrait être jugé par défaut en France, représenté par ses avocats, ou être jugé au Liban, mais il faudrait pour cela que la justice française transmette son dossier.

(Murielle Kasprzak/AFP)