Les Forces libanaises brandissent le slogan "nous sommes en mesure de libérer l’État", parallèlement à plusieurs autres affichés dans le cadre de leur campagne électorale actuelle. Le chef du Mouvement pour l’indépendance, Michel Moawad, candidat à l’un des sièges maronites de Liban-nord III (Bcharré-Zghorta-Koura-Batroun), place sa bataille électorale sous le thème de "la lutte contre la milice armée pour récupérer le Liban qui nous ressemble".

Nombreux sont ceux qui, comme les FL et Michel Moawad, se sont lancés dans la course électorale en plaçant la formation pro-iranienne et ses armes dans leur ligne de mire, ressuscitant de la sorte un thème qui a un air de déjà-vu et qui ne reflète en rien les véritables préoccupations des électeurs libanais, accablés par le poids des différentes crises.

Cependant, ceux qui accordent la priorité à ce dossier rétorquent que les armes du Hezbollah sont à l’origine des difficultés du Liban et considèrent qu’il est impossible d’édifier un État et d’entreprendre des réformes sans mettre fin à cet état de fait. Or ont-ils les moyens de leur politique ?

Le camp du 14 Mars, qui comprenait les Forces libanaises, les Kataëb, le Courant du Futur, le Parti socialiste progressiste et d’autres partis qui se présentent comme étant souverainistes et en confrontation ouverte avec le Hezbollah, a connu des jours heureux et une influence prépondérante après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005. Il avait en quelque sorte contribué à la libération du Liban de l’occupation syrienne avant de cibler le Hezbollah et ses armes. D’aucuns ont pensé à l’époque que ce camp, qui bénéficiait d’un soutien arabe et international inédit, était en mesure de contenir le parti et de le contraindre à rendre les armes. Les mois et les années ont passé et l’élan s’est essoufflé. Non seulement le Hezbollah n’a pas rendu ses armes mais il a développé un excès de force qui fait de lui aujourd’hui un éléphant sur une scène libanaise particulièrement fragile.

Certains ont renoncé aux thématiques souverainistes, quoiqu’à des périodes différentes, optant pour un désengagement avec le Hezbollah. C’est le cas notamment du PSP et du Courant du Futur, voire même des FL à un moment donné. Les trois étaient convaincus que la poursuite de la confrontation ouverte avec le parti ne mènerait nulle part en l’absence d’un plan et d’un mécanisme clairs pour atteindre leur objectif.

Sauf que depuis l’effondrement du pays, et surtout à l’approche des élections, ces trois partis se sont de nouveau positionnés dans une confrontation ouverte avec la formation chiite aux côtés de ceux qui n’ont jamais abandonné celle-ci. Parmi les fers de lance dans cette bataille, figure l’ancien député Fares Souaid et chef du "Rassemblement de Saydet el-Jabal", aujourd’hui candidat à l’un des sièges maronites dans la circonscription de Kesrouan-Jbeil (Mont-Liban I).  M. Souhaid croit ferme qu’"il n’y a pas de solution à la crise économique, politique, financière et sociale qui s’est abattue sur le pays tant que celui-ci n’a pas retrouvé son indépendance vis-à-vis d’une force d’occupation malveillante, en apparence interne et libanaise, appelée le Hezbollah, mais qui est l’instrument d’une occupation étrangère, parce que ses armes relèvent du commandement iranien". Soulignant dans un entretien avec Ici Beyrouth que "l’indépendance passe par la formation d’une unité interne autour d’elle ", il a affirmé : " Après la guerre, nous avons appris que l’unité des Libanais, chrétiens et musulmans, porte ses fruits lors de grandes étapes nationales. En 2005, par exemple, la demande de retrait de l’armée syrienne du Liban était éminemment chrétienne et c’est lorsqu’elle est devenue nationale que l’exploit (le retrait syrien) a pu être réalisé. Aujourd’hui, c’est sur cette même base que nous devons agir."

Farès Souhaid rappelle que "certains lancent des slogans tels que la décentralisation administrative, la partition du Liban et l’adoption du fédéralisme comme moyens de sortie de crise ". " Pourtant, dit-il, la solution à l’emporte-pièce, taillée sur mesure pour les communautés, n’existe pas. La seule solution réside dans la construction d’un État pour tous les Libanais. Or l’édification d’un tel État passe obligatoirement par l’indépendance, et il n’y aura pas d’indépendance sans la levée de l’occupation iranienne sur le Liban." L’ancien député reconnaît toutefois que "le chemin à parcourir pour atteindre cette libération risque d’être long, ce qui nous oblige à rester forts et à croire en ce pays".

Certains ont pensé que le Hezbollah avait profité du soulèvement du 17 octobre 2019 qui avait conduit à de nouveaux alignements dans le pays, dans la mesure où l’intensité de la bataille livrée contre lui a baissé à partir du moment où elle s’est canalisée contre toutes les forces politiques. Mais depuis quelques mois, on constate des tentatives de remettre les camps du 8 et du 14 mars sur la sellette, ce que les révolutionnaires considèrent comme une volonté de saper la révolution et de remonter le temps.

Candidat au siège maronite du Metn, le journaliste et écrivain Simon Abou Fadel affirme catégoriquement que les souverainistes du pays n’ont jamais renoncé à leurs options et à leurs convictions, faisant état de "certains obstacles ayant empêché un contrôle du champ d’action des armes ". Il cite entre autres le contexte régional et le compromis présidentiel qui a ouvert la voie du palais présidentiel à l’allié chrétien du Hezbollah, le général Michel Aoun. "Aujourd’hui, ajoute-t-il, c’est notre dernière chance d’empêcher le Hezbollah d’obtenir une majorité parlementaire et de dominer complètement le pays. Les électeurs doivent se rendre aux urnes le 15 mai pour voter avec discernement."  "Nous serons une équipe intégrée dans le nouveau Parlement, avec une sensibilité proche du 14 Mars, rejetant la corruption, et attachée à la reddition des comptes ", dit-il à Ici Beyrouth en insistant : " Abandonner est interdit. Nous pourrions réaliser le changement souhaité, bientôt ou ultérieurement. Mais, le plus important est de ne pas renoncer pour que le pays ne s’écroule pas complètement."

Il n’en demeure pas moins que beaucoup craignent que les négociations internationales, que ce soit à Vienne sur le dossier nucléaire iranien, ou sur le plan régional avec les pourparlers saoudo-iraniens, ne conduisent d’une manière ou d’une autre à la remise officielle du pays à Téhéran, comme il avait été cédé aux Syriens par le passé. Cependant, le directeur du Centre d’analyse militaire du Moyen-Orient et du Golfe (Enigma) Riad Kahwaji balaie ce risque en faisant état de changements du fait de la guerre en Ukraine mais reconnaît que ce sont surtout des parties libanaises " qui aident le Hezbollah à pousser le pays vers l’axe de la résistance ". " Les Américains, les Européens et les autres acteurs internationaux, sont, quant à eux, préoccupés ailleurs", estime-t-il.  "La guerre en Ukraine a changé beaucoup la donne sur la scène internationale, y compris l’accord avec l’Iran, gelé jusqu’à nouvel ordre. Quant à l’Arabie saoudite et aux États du Golfe, ils veulent faire barrage à l’expansionnisme de l’Iran. De ce fait, ils ne cèderont en aucun cas le Liban à Téhéran, bien au contraire.  L’action qui a suivi le repli de Saad Hariri et le retour récent des ambassadeurs du Golfe, leur soutien aux candidatures sunnites et leurs encouragements pour que des sunnites se présentent aux élections sont la preuve que la tournure des événements est en défaveur du Hezbollah", analyse-t-il. Toujours selon M. Kahwaji, "la communauté internationale parie à l’heure actuelle sur les prochaines élections législatives qui, de son point de vue, rétabliront l’équilibre au sein du Parlement grâce à l’augmentation du nombre de représentants des forces opposées à l’axe du Hezbollah et de ses alliés…Aussi, elle tirera, en temps opportun, les conséquences qui s’imposeront".