Dans un discours à la nation, à la veille des législatives, le chef de l’État Michel Aoun a appelé les électeurs à voter "massivement" et à "faire leur révolution dans les urnes", tout en essayant de décharger son camp de toute responsabilité par rapport à la crise qui sévit dans le pays depuis trois ans.

Dans un message à la nation à la veille des législatives du 15 mai 2022, le président de la République Michel Aoun a appelé les électeurs à voter "massivement", cherchant par la même occasion à se dédouaner de toute responsabilité par rapport à la crise économique et financière dans laquelle est plongée le pays depuis trois ans, alors que de nombreux électeurs s’apprêtent à effectuer des votes sanctions contre la classe au pouvoir dont Michel Aoun et son camp font partie.

"Exprimez votre opinion, choisissez ceux en qui vous avez confiance, ceux qui défendent vos droits et adoptent les lois qui les préservent et les protègent, d’autant que la prochaine chambre aura de lourdes responsabilités sur le plan législatif et des échéances constitutionnelles", a lancé M. Aoun, soulignant que "le vote n’est pas uniquement un droit, mais également le devoir de tout citoyen".

"C’est la voie vers le changement, a-t-il insisté. L’heure de la reddition des comptes a sonné. Elle passe par les urnes. C’est votre chance, ne la perdez pas, surtout après que les vérités aient éclaté au cours des deux dernières années et les mensonges dévoilés, permettant de mettre des visages et des noms à la corruption". M. Aoun fait ainsi allusion au gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, à qui son camp fait assumer la responsbailité de la crise qui sévit dans le pays.

"Trente ans durant, ils nous ont fait vivre un énorme mensonge, en nous persuadant que la livre libanaise se portait bien, que nous avions de l’argent et que notre situation financière était confortable", a encore lancé M. Aoun. "Ce mensonge était beau et confortable, mais il était évident que nous allions un jour en payer le prix. Plus le temps passe, plus le prix à payer sera élevé", a-t-il poursuivi, indiquant que "le mensonge a été dévoilé" et que "la dure vérité a éclaté au grand jour". "Nous pouvons désormais affronter la réalité pour trouver le moyen de s’en sortir", a insisté M. Aoun. Il a affirmé que contrairement aux campagnes qui sont en train d’être menées, le Liban "n’est pas en faillite", mais il a été "pillé" et "l’argent a été sorti illicitement du pays".

Savoir choisir ses représentants

"Aujourd’hui, on essaie de vous en faire payer les conséquences et de me faire assumer la responsabilité, alors que cela fait plus de 25 ans que je mets en garde contre des politiques économiques et financières" susceptibles de mener le pays vers la crise, s’est défendu M. Aoun. Il a estimé que "ce n’était pas au président de la République de poursuivre et de juger les corrompus". "Je peux indiquer le chemin qui permet de les identifier", a-t-il ajouté. Il a rappelé dans ce cadre que l’audit juricomptable des comptes et transactions de la banque centrale constitue le point de départ pour déterminer les responsabilités des uns et des autres. Il n’a cependant pas expliqué pourquoi aucune réforme n’a été menée durant les trois premières années de son mandat durant lesquelles les querelles politiques ont pris le dessus, ni après le début de la crise en 2019, alors que le monde entier pressait le Liban de se lancer sur cette voie, pour pouvoir lui porter assistance.

L’attachement du chef de l’État à dresser un bilan de son mandat à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote ne peut s’expliquer que par une volonté de mobiliser ses électeurs en faveur du parti qu’il a fondé, le Courant patriotique libre, en perte de vitesse au niveau populaire et qui a besoin des voix de l’électorat chiite, notamment du Hezbollah, pour pouvoir constituer un bloc décent à la Chambre.

Alors qu’il avait bloqué les permutations et nominations judiciaires proposées par le Conseil supérieur de la magistrature parce qu’elles ne correspondaient pas aux intérêts de son camp, Michel Aoun a invité "la justice à jouer son rôle pour redresser le pays", faisant remarquer qu’il ne pouvait pas "la remplacer", mais qu’il "la défendait". Il a également insisté sur le rôle que doit jouer l’inspection judiciaire à ce niveau.

M. Aoun a fait assumer par ailleurs aux députés la responsabilité de la situation dans laquelle se trouvent les déposants, d’autant, a-t-il estimé, qu’"ils n’ont pas voté les lois susceptibles de protéger leurs droits et leur argent".

S’adressant au peuple, M. Aoun a affirmé que le pays regorge de ressources et de capacités qui permettent au pays de se redresser, mais il faudrait, à cet effet, "bien choisir ses représentants" à l’hémicycle.

Défendre le Hezbollah

M. Aoun a en outre défendu le Hezbollah, affirmant que certaines parties essaient de faire croire aux jeunes qu’il "était possible d’éliminer une composante de la société libanaise tout en préservant la paix et la stabilité", en allusion notamment aux Forces libanaises qui appellent au désarmement du Hezbollah. Or cela ne peut qu’entraîner "une guerre civile", a-t-il martelé, mettant en garde contre " les discours de haine, les slogans incitant à la division et les rêves isolationnistes". Cela, alors que le chef du CPL et gendre du chef de l’État, Gebran Bassil, ne rate pas une occasion pour faire revivre les démons du passé et de la guerre civile.

Rappelant qu’il a passé sa vie à "défendre l’unité et la souveraineté du Liban" et qu’il a été "le premier à présenter une stratégie de défense nationale", M. Aoun a assuré qu’il ne permettra pas qu’aujourd’hui "la souveraineté du Liban soit bafouée" ou qu’elle fasse l’objet d’un quelconque marchandage.

M. Aoun a de nouveau appelé au rapatriement des réfugiés syriens, critiquant à cet égard un rapport récent des Nations unies qui ont recommandé d’accorder aux déplacés syriens et aux réfugiés palestiniens le droit de travailler au Liban et de bénéficier des prestations de la Caisse nationale de sécurité sociale. "Ce qui constitue une forme d’implantation", a-t-il mis en garde.

M. Aoun a invité les Libanais à ne pas accorder leur voix à "ceux qui ont mené le pays" en essayant ainsi de placer son camp en dehors de la structure politique décriée par les Libanais. Et de conclure en dénonçant "l’argent électoral" et appelant les électeurs à "faire leur révolution dans l’isoloir" contre cet argent, mais aussi contre "le chantage politique", "l’aliénation aux pays étrangers", "ceux qui ont volé votre argent", ceux qui "paralysent toute tentative de protéger ce qui reste de vos droits" et "ceux qui sèment la discorde".