C’est un monde à part entière qui s’offre aux yeux des Beyrouthins qui y prêtent attention. Dans la capitale du Liban, les murs sont recouverts de graffitis aux couleurs et messages pluriels. Les artistes y peignent souvent en utilisant le lettrage arabe, revisitant ce mode d’expression venu d’Europe et des États-Unis. Un choix d’alphabet qui permet de refléter l’identité multiculturelle du Liban, tout en explorant de nouveaux horizons artistiques.
Ils s’appellent Moe, Quetzal, Ashekman ou Kabrit. Ou plutôt ils se surnomment de la sorte. Ces artistes, tous libanais, font partie de ceux qui ont développé la scène du graffiti à Beyrouth. Une scène qui se veut unique, car cet art n’y est pas totalement interdit, mais également en raison du fait qu'elle exploite le lettrage arabe, revisitant ainsi les codes traditionnels du graff occidental.
Historiquement, la scène libanaise du graffiti a explosé en 2006, dans le contexte de la guerre opposant Israël au Hezbollah. Avant, cette forme d’art urbain avait une existence timide. Voyant les rues vides, les artistes en ont profité pour marquer les murs de leurs bombes multicolores. Jusqu’en 2012, une première époque voit s’importer le graffiti au Liban, dans sa forme la plus classique. «On essayait de reproduire le style européen avec la lettre arabe», résume Kabrit, jeune graffeur libanais vivant aujourd’hui en France.
Adaptation du graffiti à la lettre arabe
Mais «nous ne nous retrouvions pas», ajoute de son côté Moe, graffeur ayant fait ses débuts en 2010. «Nous avons donc essayé d’aller plus profondément dans le concept et nous l’avons modelé à l’arabe», poursuit-il. C’est donc à partir de 2012 que la calligraphie arabe s’exprime en tant que telle. Il s'agit d'un développement également lié, selon Omar, l’un des frères du duo Ashekman, à l’utilisation des réseaux sociaux et des plateformes qui influencent les différentes scènes du monde arabe.
Les raisons de cette éclosion de la calligraphie arabe tiennent à de nombreux facteurs, même si beaucoup de graffeurs citent en premier lieu leur identité et leur culture. «L’arabe a été présent assez tôt dans notre art. J’aimais beaucoup l'arabe car je sentais qu’il était propre à notre culture et notre identité», raconte Quetzal, une Libano-Italienne ayant débuté le graff en 2017. La calligraphie est apparue naturellement, permettant d’avoir une identité visuelle plus proche de la culture des graffeurs et de ce qu’ils sont. Cette forme d’art reflète ainsi la diversité des populations, de l’architecture et des identités du Liban.
«Les graffitis permettent de se réapproprier cette culture-là, qui est plutôt associée au passé, à des choses classiques. Ils permettent de créer quelque chose de nouveau et de puissant avec, parce que je pense que notre culture est incroyablement riche», ajoute la jeune femme.
Un langage qui s’adresse à tous
Au-delà de ces questions identitaires, les graffeurs aiment s’approprier la calligraphie arabe parfce qu'elle leur permet de s’adresser à l’ensemble des Libanais. Tous aiment d’ailleurs le graffiti en ce sens qu’il est accessible à tout le monde, gratuitement, sans démarche personnelle. Durant la thawra (mouvement de contestation populaire du 17 octobre 2019), beaucoup de messages ont été exprimés en lettrage arabe pour cette raison.
Durant de tels événements, «laisser un message politique en arabe a beaucoup plus de sens, parce que la langue arabe est une chose qui nous unit en tant que peuple libanais», argumente Quetzal. Les slogans, appelant au départ de la classe politique avaient ainsi d’autant plus d’impact qu’ils étaient en arabe.
Sans s’opposer à ses confrères, Kabrit nuance cependant quelque peu leurs propos. Pour lui, l’utilisation de la calligraphie arabe tient moins à des revendications identitaires qu’à une exploration purement artistique. «Il y a quelque chose de très abstrait dans le lettrage arabe, plus important que dans le latin… C’est vraiment n’importe quoi», se réjouit-il! Il aime ainsi déconstruire les lettres et jouer avec pour découvrir de nouveaux horizons visuels.
Il invite aussi à se détacher des questions de sens sous-jacentes au choix de l’alphabet: «J’aime bien l’idée que la lettre ne soit qu’une technique. Elle démystifie le lettrage, cette question autour du choix de l’alphabet et cette idée générale autour de l’identité. Des fois, c’est juste un prétexte pour explorer.»
Un changement de perception
Pour les graffeurs, le fait que cet art soit si répandu est également un moyen de changer les préjugés vis-à-vis de la calligraphie arabe. Car celle-ci est souvent liée, dans l’imaginaire collectif occidental, au religieux, voire à son extrémisme.
«Quand les gens voient notre calligraphie, ils l’associent à l’islamisme extrémiste, ils pensent à Daech. Mais quand nous peignons avec des couleurs, cela change leur perception de la région», s’enthousiasme l’un des frères du duo Ashekman.
Cette volonté de déconstruire les a priori était notamment au cœur du projet «Salam», que les jumeaux ont mis en place en 2017 à Tripoli. Cette initiative consistait à peindre, avec l’aide d’habitants, le mot «paix» sur le toit de 85 immeubles des quartiers de Jabal Mohssen et Bab el-Tebbané.
Aujourd’hui incontournable, l’utilisation du lettrage arabe est devenue innée pour les graffeurs libanais. Même s'ils ne sont pas animés par les mêmes raisons, tous ont à cœur d’utiliser cet alphabet qui leur est cher, et qui fait des rues de Beyrouth une galerie à ciel ouvert où se mélangent tradition, revendications et modernité.
Ils s’appellent Moe, Quetzal, Ashekman ou Kabrit. Ou plutôt ils se surnomment de la sorte. Ces artistes, tous libanais, font partie de ceux qui ont développé la scène du graffiti à Beyrouth. Une scène qui se veut unique, car cet art n’y est pas totalement interdit, mais également en raison du fait qu'elle exploite le lettrage arabe, revisitant ainsi les codes traditionnels du graff occidental.
Historiquement, la scène libanaise du graffiti a explosé en 2006, dans le contexte de la guerre opposant Israël au Hezbollah. Avant, cette forme d’art urbain avait une existence timide. Voyant les rues vides, les artistes en ont profité pour marquer les murs de leurs bombes multicolores. Jusqu’en 2012, une première époque voit s’importer le graffiti au Liban, dans sa forme la plus classique. «On essayait de reproduire le style européen avec la lettre arabe», résume Kabrit, jeune graffeur libanais vivant aujourd’hui en France.
Adaptation du graffiti à la lettre arabe
Mais «nous ne nous retrouvions pas», ajoute de son côté Moe, graffeur ayant fait ses débuts en 2010. «Nous avons donc essayé d’aller plus profondément dans le concept et nous l’avons modelé à l’arabe», poursuit-il. C’est donc à partir de 2012 que la calligraphie arabe s’exprime en tant que telle. Il s'agit d'un développement également lié, selon Omar, l’un des frères du duo Ashekman, à l’utilisation des réseaux sociaux et des plateformes qui influencent les différentes scènes du monde arabe.
Les raisons de cette éclosion de la calligraphie arabe tiennent à de nombreux facteurs, même si beaucoup de graffeurs citent en premier lieu leur identité et leur culture. «L’arabe a été présent assez tôt dans notre art. J’aimais beaucoup l'arabe car je sentais qu’il était propre à notre culture et notre identité», raconte Quetzal, une Libano-Italienne ayant débuté le graff en 2017. La calligraphie est apparue naturellement, permettant d’avoir une identité visuelle plus proche de la culture des graffeurs et de ce qu’ils sont. Cette forme d’art reflète ainsi la diversité des populations, de l’architecture et des identités du Liban.
«Les graffitis permettent de se réapproprier cette culture-là, qui est plutôt associée au passé, à des choses classiques. Ils permettent de créer quelque chose de nouveau et de puissant avec, parce que je pense que notre culture est incroyablement riche», ajoute la jeune femme.
Un langage qui s’adresse à tous
Au-delà de ces questions identitaires, les graffeurs aiment s’approprier la calligraphie arabe parfce qu'elle leur permet de s’adresser à l’ensemble des Libanais. Tous aiment d’ailleurs le graffiti en ce sens qu’il est accessible à tout le monde, gratuitement, sans démarche personnelle. Durant la thawra (mouvement de contestation populaire du 17 octobre 2019), beaucoup de messages ont été exprimés en lettrage arabe pour cette raison.
Durant de tels événements, «laisser un message politique en arabe a beaucoup plus de sens, parce que la langue arabe est une chose qui nous unit en tant que peuple libanais», argumente Quetzal. Les slogans, appelant au départ de la classe politique avaient ainsi d’autant plus d’impact qu’ils étaient en arabe.
Sans s’opposer à ses confrères, Kabrit nuance cependant quelque peu leurs propos. Pour lui, l’utilisation de la calligraphie arabe tient moins à des revendications identitaires qu’à une exploration purement artistique. «Il y a quelque chose de très abstrait dans le lettrage arabe, plus important que dans le latin… C’est vraiment n’importe quoi», se réjouit-il! Il aime ainsi déconstruire les lettres et jouer avec pour découvrir de nouveaux horizons visuels.
Il invite aussi à se détacher des questions de sens sous-jacentes au choix de l’alphabet: «J’aime bien l’idée que la lettre ne soit qu’une technique. Elle démystifie le lettrage, cette question autour du choix de l’alphabet et cette idée générale autour de l’identité. Des fois, c’est juste un prétexte pour explorer.»
Un changement de perception
Pour les graffeurs, le fait que cet art soit si répandu est également un moyen de changer les préjugés vis-à-vis de la calligraphie arabe. Car celle-ci est souvent liée, dans l’imaginaire collectif occidental, au religieux, voire à son extrémisme.
«Quand les gens voient notre calligraphie, ils l’associent à l’islamisme extrémiste, ils pensent à Daech. Mais quand nous peignons avec des couleurs, cela change leur perception de la région», s’enthousiasme l’un des frères du duo Ashekman.
Cette volonté de déconstruire les a priori était notamment au cœur du projet «Salam», que les jumeaux ont mis en place en 2017 à Tripoli. Cette initiative consistait à peindre, avec l’aide d’habitants, le mot «paix» sur le toit de 85 immeubles des quartiers de Jabal Mohssen et Bab el-Tebbané.
Aujourd’hui incontournable, l’utilisation du lettrage arabe est devenue innée pour les graffeurs libanais. Même s'ils ne sont pas animés par les mêmes raisons, tous ont à cœur d’utiliser cet alphabet qui leur est cher, et qui fait des rues de Beyrouth une galerie à ciel ouvert où se mélangent tradition, revendications et modernité.
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