Près de deux ans après la double explosion meurtrière du 4 août 2020, qui a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés, les familles des victimes attendent toujours que justice leur soit rendue. À la veille de leur sit-in mensuel, les familles ont tenu vendredi soir à rendre public un rapport détaillé de tout l’aspect juridique du dossier. La rencontre a eu lieu sur le parvis de l’église Notre-Dame du Secours, quartier Medawar, à Beyrouth, devant un public formé principalement de députés. Ceux-ci ont été invités à cette rencontre pour s’être engagés durant leur campagne électorale à suivre ce dossier, comme l’explique en substance Cécile Roukoz, dont le frère a été tué dans la déflagration. Tous sauf deux, pour avoir refusé de comparaître devant la justice: Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil. Les deux députés avaient été interpellés, en 2020, par le juge Tarek Bitar, chargé de mener l’enquête sur l’explosion au port. D’ailleurs, deux chaises leur étaient consacrées, sur lesquelles on pouvait lire leurs noms cochés, avec la mention "annulé" en rouge (en référence aux bulletins annulés lors des élections, mardi dernier, du président et du vice-président de la Chambre).

"Organisée principalement par les parents, les proches et les amis des victimes qui ne font pas partie du cercle de ceux qui ont choisi d’être représentés par le bureau d’accusation du barreau de Beyrouth", selon une source juridique, la conférence de presse a regroupé également des représentants d’associations qui luttent pour les droits de l’homme.

Au fil des témoignages, les interlocuteurs s’effondraient en larmes. "Pendant des jours, mon frère gisait sous les décombres, respirant la poussière et inspirant son propre sang", s’est lamentée une jeune fille. "Ils m’ont ôté toute joie et toute envie de vivre! Mon fils de 15 ans a perdu la vie et ils en sont responsables", déplore une maman, accusant les politiciens d’avoir passé sous silence la présence du nitrate d’ammonium, des années durant, dans le port de Beyrouth. "Nous sommes ici aujourd’hui pour réclamer la mise en vigueur d’une loi sur l’indépendance de la magistrature, la levée des immunités de toute personne convoquée par la justice, l’interdiction de l’exercice de toute pression sur les forces de l’ordre pour les empêcher d’exécuter les mandats d’arrêt, l’amendement de la loi pour empêcher les abus dans les recours en dessaisissement des juges", martèle un parent de l’une des victimes.

À ces interjections, les réactions des députés présents se sont multipliées. Interrogé par Ici Beyrouth, Mark Daou a expliqué qu’avec sa collègue (ex-colisitère) Najat Saliba, il entend soumettre une demande pour "la création au sein de la Chambre d’une commission spéciale pour le suivi de ce dossier". Le même discours a été tenu par Michel Moawad, député de Zghorta. De son côté, le député Nadim Gemayel a insisté sur la nécessité d’"appliquer les lois en vigueur". Il a pointé du doigt le Hezbollah qui, par la menace des armes, paralyse le travail des institutions de l’État. "Qui a bloqué les sessions du Conseil de ministres pendant plus de 4 mois? Qui entrave la nomination des juges? s’est-il demandé. Les lois existent. Il suffit de les mettre au service de la justice et de la cause sociale.

Depuis plus de cinq mois, le juge Bitar est dans l’incapacité de poursuivre son enquête, en raison des multiples recours présentés contre lui par Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, députés et anciens ministres mis en cause dans ce dossier. De plus, le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, a refusé de signer le décret des nominations judiciaires de six des dix présidents des chambres de la Cour de cassation, approuvé par son collègue de la Justice, Henri Khoury. Ces nominations permettraient à la cour de retrouver son quorum et d’examiner les recours présentés contre le juge Bitar, afin qu’il puisse poursuivre son enquête.