"La violation du champ gazier de Karish par l’État hébreu pourrait accélérer la formation du nouveau gouvernement", confie une source proche du Sérail à Ici Beyrouth.

Le Liban officiel est en émoi: un navire FPSO (Unité flottante de production, de stockage et de déchargement) de la société Energean Power a jeté l’ancre dimanche matin dans le champ gazier de Karish, au sud de la ligne 29 contestée entre le Liban et Israël en Méditerranée. Il est chargé d’une prospection gazière par l’État hébreu, ainsi que de l’installation de deux navires, l’un pour lutter contre les incendies et l’autre pour le transport des équipes et des employés.

Les réactions libanaises indignées ont aussitôt fusé et des contacts ont été rapidement entrepris, notamment avec l’Administration américaine – engagée dans une médiation entre le Liban et Israël pour la délimitation de la frontière maritime – afin de sonder les intentions israéliennes. Cela d’autant plus que l’État hébreu pourra d’ici à trois mois commencer à extraire du gaz, privant ainsi le Liban de sa part de ce champ gazier situé en partie dans une zone litigieuse, pour le cas où ses droits sur ce champ lui seraient accordés dans le cadre des négociations indirectes.

Le champ de Karish se situe entre la ligne 23 et la ligne 29. La ligne 23 délimite les 860 km² revendiqués par le Liban dans le cadre des négociations indirectes avec Israël entamées en 2020 sur base du décret 6433, alors que la ligne 29 accorde au Liban 1.430 km² supplémentaires, dont une partie du champ de Karish. Cette ligne a été revendiquée par des experts militaires dans le cadre des négociations sur base d’un rapport de l’entreprise britannique Hydrographic Office daté de 2011 qui en a fait état. Depuis, les appels se multiplient pour que le chef de l’État Michel Aoun signe le décret afin d’officialiser cette revendication auprès des Nations unies. Or à ce jour ce décret n’a pas encore été signé.

Les développements du jour font craindre une escalade à la frontière et soulèvent de multiples questions, notamment celles de savoir si l’amarrage de ce navire va accélérer une reprise des négociations indirectes entre le Liban et Israël, ou si au contraire le Hezbollah, dont les responsables ont multiplié les mises en garde contre Israël, va intervenir à ce niveau.

La voie diplomatique

Pour l’heure, c’est la voie diplomatique qui est suivie. Dimanche, Beyrouth a entamé une série de contacts avec les États-Unis, plus précisément avec l’ambassadrice Dorothy Shea, qui se trouve actuellement à Washington, en vue notamment d’une reprise des négociations indirectes entre le Liban et Israël sur la délimitation des frontières maritimes, et empêcher une quelconque escalade militaire. C’est n’est pas tant le lieu d’amarrage du FPSO qui suscite des inquiétudes. Ce qui pose problème, c’est la volonté israélienne de lancer la prospection gazière dans ce champ avant que la frontière ne soit clairement délimitée.

D’après des sources proches de Baabda, Michel Aoun s’est empressé de demander au commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, "des informations précises et détaillées sur ce sujet". "S’il s’avère que le navire est réellement entré dans la zone contestée, des mesures seront prises en conséquence", note-t-on de même source.

Selon des informations obtenues par Ici Beyrouth, le chef de l’État a examiné sérieusement au cours des dernières heures un amendement du décret délimitant la Zone exclusive économique (ZEE) du Liban de sorte à ce que celle-ci s’étende à la ligne 29. La question reste de savoir quelles seront les conséquences au cas où Tel Aviv insistait pour lancer la prospection gazière et pétrolière et que le Hezbollah décidait de mettre ses menaces à exécution et de l’en empêcher, surtout si le décret est signé. En d’autres termes, une signature du décret donnerait à la formation pro-iranienne un prétexte "légitime" pour frapper Israël. Mais on n’en est pas là pour l’instant.

Comme première étape, une lettre a déjà été adressée aux Nations unies dans laquelle le chef de l’État rappelle que le champ gazier de Karish se trouve dans une zone contestée. Il ne reste plus qu’à savoir si le négociateur américain Amos Hochstein se rendra au Liban dans les prochaines heures.

Pour rappel, M. Hochstein avait présenté lors de sa dernière visite au Liban une proposition de règlement au gouvernement libanais, qui tarde cependant à remettre au médiateur US sa réponse documentée et écrite à ce sujet. La proposition américaine portait sur un tracé dévié et non rectiligne de la ligne 23, ce qui accorde au Liban le champ de Cana, mais ampute en contrepartie une grande partie du bloc numéro 8 dans les eaux méridionales adjacentes à Israël.

Selon d’autres sources qui suivent le dossier, M. Aoun, qui avait déclaré en février que la frontière maritime légale du Liban se situe au niveau de la ligne 23, alors qu’il avait lui-même adressé une lettre aux Nations unies affirmant que le Liban s’en tenait à la ligne 29, étudierait sérieusement la modification du décret 6433.

Les accusations de Mikati

De son côté, le Premier ministre sortant Nagib Mikati a accusé l’État hébreu de vouloir provoquer "une nouvelle crise" avec le Liban en "empiétant sur ses richesses" et en cherchant à "imposer un fait accompli". Le Premier ministre sortant a aussi mis en garde contre les répercussions que cet incident pourrait avoir sur le plan sécuritaire, notamment avant la fin de la mission de M. Hochstein. Et d’appeler les Nations unies à exercer une pression sur Israël  pour arrêter "ses provocations"

C’est d’ailleurs dans ce contexte que le gouvernement coordonne avec l’ambassadrice du Liban à l’ONU, Amal Moudallali, pour s’opposer à la violation des frontières maritimes "quoique celle-ci pourrait accélérer la formation du nouveau gouvernement", selon une source proche du Sérail.

Mais quid du Hezbollah qui, à plusieurs reprises, a mis en garde les Israéliens contre toute atteinte aux droits du Liban sur ses ressources pétrolières et gazières. La formation chiite assure qu’elle "fera face à toute tentative israélienne d’extraction de gaz du champ de Karish, en dépit du fait que cette décision reviendrait au gouvernement libanais et aux autorités concernées". C’est ce qu’une source proche du parti pro-iranien a indiqué à Ici Beyrouth. "Si le Liban décide de représailles, la Résistance est prête", assure-t-on de même source. "Ce n’est un secret pour personne que nous sommes en état d’alerte, que ce soit au Liban ou en Israël. Nous attendons une intervention américaine ou internationale pour empêcher une éventuelle explosion et pour qu’on se concentre sur la délimitation des frontières", selon la même source.

D’ailleurs, Mohammed Raad, député du Hezbollah, a demandé que les autorités libanaises s’entendent sur une entreprise qui serait chargée "d’extraire le gaz de nos eaux territoriales quand nous voulons", sachant que "nous nous chargerons de gérer la réaction" d’Israël. De son côté, le chef du bureau exécutif du Hezbollah, Hachem Safieddine, a appelé l’État à trancher la question de la délimitation des frontières maritimes, en annonçant publiquement quelles sont les zones contestées.

Lundi, les députés du changement tiendront une conférence de presse au Parlement pour faire part de leur position sur cette affaire.