Voter ou ne pas voter? Question existentielle qui hante l’esprit du citoyen libanais, désireux d’envoyer aux poubelles de l’histoire la caste dirigeante actuelle, tout en étant conscient qu’une telle association de malfaiteurs contrôle tous les leviers de commande du processus constitutionnel. En d’autres termes, le scrutin législatif du printemps, s’il a lieu, risque bien de ramener au pouvoir une belle brochette des figures les plus honnies de l’histoire du pays. Jamais pouvoir ne s’était livré, avec une telle impudence, au pillage systématique non seulement des fonds publics mais également des fonds privés. Et pourtant, les allégeances traditionnelles claniques, sectaires ou tribales risquent bien de permettre aux mafias politiques de s’auto-reproduire.

Pourquoi craindre une telle anomalie en dépit du soulèvement de 2019? Il y a d’abord la loi électorale de 2018, inique et scélérate qui transforme la notion même de démocratie en une crypto-oligarchie et fait du suffrage universel une opération de plébiscite démagogue et populiste. Il y a ensuite le mouvement dit de la "thawra" ou "révolution" atomisée en une multitude de groupes et de groupuscules qui se reconnaissent en un dénominateur commun que résume la distorsion sémantique de la notion de "société civile". Croyant se situer dans la foulée de Gramsci, cette frange du corps politique lui-même, se perçoit comme non concernée par la lutte pour la conquête du pouvoir dans la cité. Ce faisant, le pouvoir à saisir se retrouve être la chasse gardée d’une prétendue "société politique" qui est une vulgaire ploutocratie oligarchique. En clair, en s’interdisant le discours politique, en ne voulant pas renverser la situation anormale, en ménageant ceux qui ont kidnappé la volonté nationale, les groupes de la société dite civile ont préféré élaborer des plans d’action, fondés sur des études d’expertise, à l’image de ce que font les ONG, institutions non représentatives démocratiquement tout en étant utiles comme lobbies de pression.

C’est ainsi que la "thawra" a vu fleurir, au fil des jours, une multitude de propositions et de plans de réforme dans plus d’un secteur spécialisé, négligeant le cœur politique de la crise, à savoir le délitement des pouvoirs régaliens de l’État libanais par manque, voire par absence de souveraineté nationale.

C’est là que réside le mal inhérent au prochain scrutin législatif. L’État libanais est dépersonnalisé par un processus schizophrénique Son corps politique possède une seule nature géographique mais deux volontés souveraines simultanément actives, et non alternativement comme chez le Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Au pire des cas, une telle entité physique ressemblerait aux situations de gémellité connue sous le nom de "frères siamois" où deux personnalités bien distinctes se partagent, par trouble du développement, une réalité corporelle identique. Prosaïquement, ceci s’appelle "pays occupé". L’occupation iranienne du Liban, directement ou indirectement, ne trompe plus personne. En n’abordant pas cet aspect central de la crise, le soulèvement du 17 octobre a, angéliquement, servi les intérêts de l’oligo-ploutocratie qui le domine.

L’occupation d’un pays est une situation d’exception qui suspend toute vie politique nationale. Résister et survivre en tant que soi-même, ne se résument pas en des réformes et des simulacres de suffrage universel qui servent l’intérêt de l’occupant. On peut certes résister par les armes contre l’occupant étranger et ses agents. On doit surtout résister en protégeant sa propre personnalité afin qu’elle ne se désagrège pas. Ceci est un devoir de patriote qu’on peut résumer par "résistance culturelle passive et non-violente".

L’occupant organise un scrutin législatif sans valeur démocratique? Ne pas y participer constitue une erreur et un risque. La stratégie de la chaise vide est mortelle en politique. La question posée se formule ainsi : Comment y participer tout en sachant que les dés sont pipés? Comment y participer et, en même temps, miner ce scrutin scélérat de l’intérieur? Comment participer à un tel simulacre de suffrage universel et faire d’une telle participation un acte de résistance politique et non plus seulement culturelle?

Tel est le défi cornélien posé aux citoyens libre du Liban.

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