Le Liban a-t-il été entraîné encore une fois sur la voie d’une crise politique chronique, voire d’une crise constitutionnelle aux conséquences imprévisibles ? Des éléments de réponse à cette question – qui n’est pas nouvelle, en réalité – seront peut-être apportés à la lumière de la réunion que tiendront ce matin au palais de Baabda le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné Najib Mikati afin de faire le point sur la formule ministérielle que ce dernier a présentée mercredi matin au chef de l’État. Cette entrevue fait suite à un entretien téléphonique que les deux hommes ont eu jeudi, au cours duquel ils se seraient entendus de "maintenir le contact" ( !) entre eux.

En toute vraisemblance, le président Aoun exposera au Premier ministre désigné ses observations sur la mouture concoctée, en un temps record, par le chef du gouvernement. La nature de ces observations permettra de déterminer si nous sommes dans le cas de figure de tiraillements politiciens classiques qui apparaissent à chaque formation d’un nouveau gouvernement, ou si, au contraire, nous sommes engagés sur la voie d’une crise constitutionnelle…

Certains indices inhérents à la formule ministérielle mise sur le tapis tendent à indiquer que nous nous trouvons plutôt – sauf revirement de dernière minute – dans le second cas de figure. L’octroi du ministère de l’Énergie à une personnalité proche de M. Mikati, alors que le courant aouniste s’obstine depuis plus de dix ans à conserver ce portefeuille, semble refléter une volonté de croiser le fer avec le camp du président de la République.

Cet indice est consolidé par le fait que dans le même temps, le ministère des Finances est maintenu entre les mains de la communauté chiite, comme le réclame le leader du mouvement Amal et président de la Chambre, Nabih Berry, dont l’un des proches, l’ancien député Yassine Jaber, est proposé pour les Finances. Le Premier ministre désigné paraît ainsi vouloir confirmer de manière formelle ce qui s’impose de plus en plus comme une pratique quasi "constitutionnelle", à savoir l’octroi du portefeuille des Finances systématiquement à un chiite. Le tandem Amal-Hezbollah insiste à consacrer solidement cette pratique, car elle permet à la communauté chiite de s’imposer, par le biais de la signature incontournable du ministre des Finances, comme le troisième décideur au niveau du pouvoir exécutif, avec le président maronite et le Premier ministre sunnite.

La question aujourd’hui est de savoir si le camp présidentiel avalisera cette consécration accordée au tandem chiite alors que parallèlement le Premier ministre lui "arrache" à son propre profit le portefeuille de l’Énergie…

Un autre facteur risque en outre d’être soulevé par Baabda qui, auquel cas, entrainerait une fois de plus le pays dans un débat d’ordre constitutionnel, à quatre mois de la fin du mandat Aoun. Le chef de l’État pourrait ainsi contester sans détour le fait que le Premier ministre désigné lui ait soumis une formule ministérielle préparée et bien ficelée à l’avance sans consultation préalable et préliminaire avec le président. Cela pose un problème constitutionnel de taille au niveau des prérogatives du chef de l’État : le président de la République doit-il participer en amont à la mise sur pied de l’équipe gouvernementale avec le Premier ministre désigné, ou plutôt ce dernier est-il en droit de former seul (sans le président) le cabinet dont il soumet, par la suite, la formule au président ? Cette question de principe sera sans doute soulevée à nouveau aujourd’hui à l’occasion de la réunion prévue au palais de Baabda, ce qui ne manquera pas de retarder, voire de compromettre, la formation du gouvernement à court terme. Sauf si, par miracle, des considérations occultes, en rapport avec la conjoncture régionale actuelle, contraignent les deux camps en présence à mettre une sourdine à leurs appétits ministériels et à leur position de principe à connotation constitutionnelle.

S’il s’avère, le cas échéant, que c’est ce seul paramètre extérieur qui aurait provoqué un déblocage au niveau de l’exécutif, l’on ne pourrait alors que déplorer vivement que nos dirigeants n’aient pas été plutôt poussés à un sursaut national par l’enfer que vivent les Libanais au quotidien, heure par heure, dans les différents domaines de la vie de tous les jours, sans exception…